Témoignage patient

Don de rein de son vivant : "C’est un acte d’amour que j’ai fait pour ma sœur"

Nathaly Haseya, auteure du livre "Le rein de cœur" (Editions Récits) a donné un de ses reins à sa petite sœur atteinte d’une grave insuffisance rénale. Elle se confie sur ce geste d’amour méconnu qui peut faire peur.

  • Par Sophie Raffin
  • Crédit : CLAIRE DUFFÉAL PHOTOGRAPHE LYON
  • 08 Nov 2024
  • A A

    “Mes reins sont en stade terminal, je vais avoir besoin de dialyse et d’être inscrite sur la liste des dons d’organe.” Lorsque Nathaly Haseya a entendu sa petite sœur lucie - atteinte d’une fibrose hépatite congénitale avec polikystose rénale, maladie génétique conduisant à l’insuffisance rénale - prononcer ces mots en 2014, elle a immédiatement proposé de lui donner un des siens. 

    Cette conversation téléphonique a lancé une aventure qui allait lier les deux sœurs à vie, au-dela de leur lien fraternel.

    Tests pour donner un rein : “C’est comme un grand check-up complet”

    “Cela a mis en marche toute une mécanique”, se souvient Nathaly. La première étape à passer a été le test de compatibilité entre le donneur et le receveur de rein. “Pour le test de compatibilité, il y avait une vingtaine tube à remplir lors de la prise de sang.” Les analyses effectuées à partir de ces prélèvements ont confirmé que les deux sœurs étaient bien compatibles. “Même en étant sœurs, il y avait un risque qu’on ne le soit pas. La famille n’est pas automatiquement compatible”, rappelle l’auteure.

    Puis d’autres examens médicaux ont suivi. “C’est comme un grand check-up complet. J’ai eu une batterie de tests : des échos, des scanners. Lors d’un don d’organe d’une personne vivante, les médecins s’assurent que le donneur est en parfaite santé avant de mettre sa santé en jeu pour aider un proche”, précise Nathaly. 

    En plus des examens, il y a également des démarches administratives et judiciaires importantes à faire, comme le passage devant un magistrat et le comité d’éthique. Leur objectif est de s’assurer que le donneur est conscient des risques et qu’il répond aux conditions fixées par la loi : être majeure et en bonne santé, être informé des risques et éventuelles complication, faire partie du cercle du receveur (famille ou proche pouvant prouver un lien affectif étroit et stable d’au moins deux ans), faire un don gratuit et librement consenti.

    Le choix a d’ailleurs été un sujet récurrent tout au long de cette procédure qui a duré 10 mois. “La question qui revenait à chacun des rendez-vous avec un médecin ou un spécialiste, c’était : est-ce que vous voulez toujours donner un rein à votre sœur ? Elle a vraiment été prononcée à chaque fois pendant ce long parcours. On a, en effet, le droit de changer d’avis à tout moment. Même juste avant l’opération."

    Don de rein de son vivant : "Il y a vraiment eu une valse d’émotions"

    Bien que sa volonté d’aider sa petite sœur qui avait tout juste 22 ans à l’époque, était vive, Nathaly reconnaît que le doute a aussi été présent pendant son chemin vers le don. “Il y a vraiment eu une valse entre d’un côté des sentiments d’amour profond pour ma soeur et ma volonté de lui donner un rein afin de la sauver, puis de l’autre la petite voix de l’ego qui faisait transparaître la peur et l'instinct de survie. Je me suis posée beaucoup de questions."

    La jeune femme n’a pas parlé volontairement de ces questionnements à sa famille. “C’était déjà compliqué de gérer mes propres angoisses, je n’avais pas envie qu’ils doutent à leur tour et me disent à nouveau : si tu veux, tu peux ne pas le faire.” En revanche, elle en a discuté sans filtre avec son meilleur ami et un de ses collègues. C’est d’ailleurs une conversation avec ce dernier qui lui a apporté une réponse définitive. "Il m’a confié que, même s’il adore son frère, il ne pourrait pas lui donner un rein dans une situation similaire, car il avait sa vie à vivre. Il m’a alors dit : tu as le droit de dire non aussi, si tu n’as pas envie. Ça m’a permis de réaliser que j’avais vraiment envie de lui donner un rein."

    "Je n’étais pas sur un tapis roulant qui m’emmenait jusqu’à l’opération sans que je ne contrôle plus rien. C’était bien un acte volontaire de ma part. Dans ma tête, j’ai repris les rênes et ça m’a aidé à être actrice de mon choix et à aller jusqu’au bout", se souvient Nathaly. 

    Greffe de rein : "Nous avons eu un fou rire"

    Et, le jour tant attendu est arrivé. “Avec ma sœur, nous avons été opérées le même jour. Moi, le matin, elle dans la foulée.” Et si les doutes n’étaient plus de la partie, le stress s’était invité dans sa chambre d'hôpital. “J’avais vraiment peur de l’opération.” Mais les craintes n’ont pas vraiment eu le temps de s’installer. La chirurgie était programmée à 7 heures du matin. “Le temps de se réveiller, de se préparer et c’était parti.”

    L’opération a duré 3 heures pour Nathaly, un peu plus pour Lucie… et pour l’une comme pour l'autre, tout s'est bien passé. Toutefois, leurs retrouvailles ont dû atteindre le lendemain afin qu’elles aient le temps de reprendre des forces.

    "Quand nous nous sommes vues pour la première fois après l’opération, nous avons eu un fou rire. Nous avions tellement stressé… Nous ne nous sommes pas dit des choses existentielles ce jour-là, je me suis juste assise à côté d’elle, on a rigolé puis on a parlé de choses et d'autres, tout simplement. Nous étions heureuses que cela soit passé, car cela faisait 10 mois que nous étions plongées dans cette succession d’examens et de démarches. Nous avions vraiment hâte que l’opération se fasse pour passer à autre chose dans nos vies."

    Greffe : “Il a fallu du temps à mon corps pour réaliser que l’opération était passée”

    Deux opérations réussies, deux sœurs en bonne santé physique… une belle histoire qui finit là ? Pas vraiment. Nathaly le reconnaît, la convalescence n’a pas été simple, psychologiquement principalement. 

    Ses nuits restaient peuplées de cauchemars. "J’ai été tellement stressée pendant 10 mois, qu’il a fallu du temps à mon corps pour accepter et réaliser que l’opération était passée." Les angoisses étaient aussi très présentes. "Je me posais beaucoup de questions : ”j’ai 29 ans, qu’est-ce que je vais pouvoir faire de grand après ça ? Qu’est-ce qui est essentiel pour moi ?” Je remettais par exemple mon travail en question. J’étais dans le milieu juridique et cela n’avait plus vraiment de sens…."

    Pour extérioriser ses peurs et ses questionnements, Nathaly s’est tourné vers son refuge quand elle était enfant : l'écriture. “Je ne voulais pas seulement écrire une jolie histoire qui se finit bien. Je voulais vraiment plonger dans tout ce que j’ai ressenti, mes doutes.” En s’appuyant sur son vécu et son histoire familiale, elle a ainsi imaginé l’histoire d’Alice qui donne un rein à sa petite sœur.

    “Il m’a fallu un an pour écrire le livre. Ça a été assez rapide, car tout était précis et clair dans ma tête. Une fois fini, je l’ai mis dans un tiroir, car pour moi, c’était une étape dans mon parcours d'acceptation et de guérison."

    Ce n’est finalement qu’en 2021 - lorsque ces questionnements l’ont finalement conduit à quitter le monde juridique pour devenir auteure et dessinatrice - qu’elle a repensé à ce roman. 

    "Je l’ai sorti du tiroir, je l’ai relu et je me suis dit que j’avais envie de le partager pour aider les gens qui se trouvent confrontés aux dons ou à la greffe. Le don de rein de son vivant est un acte méconnu du grand public. La question du don d’organe n’est pas simple… alors de son vivant, ça l’est encore moins."

    Avant de publier son livre intitulé “Le rein du cœur” Nathaly l’a complété en réalisant des illustrations puis a fait appel au musicien Noodles pour réaliser une bande son “comme les films”. "Cela permet de sensibiliser par différents moyens. Il y a des gens qui ne liront peut-être pas le livre, mais qui seront touchés par la musique ou les dessins."

    “On vit complètement normalement avec un seul rein”

    Dix ans après le don, tout va très bien pour Nathaly et Lucie. “On vit complètement normalement avec un seul rein. Les recommandations que l’on nous donne, ce sont exactement les recommandations d’hygiène de vie que l’on donne à tout le monde : boire au moins 1,5 litre d’eau par jour, manger équilibré, être actif…”, explique l’écrivaine. 

    Par ailleurs, elle ajoute : "Je n’ai peut-être plus qu’un rein. Mais dans ma tête, j’en ai toujours deux, car c’est un acte d’amour que j’ai fait pour ma sœur. Énergétiquement, mon rein est toujours là."

    En plus d’être un acte d’amour pour sa sœur, donner un rein a aussi été un véritable révélateur pour Nathaly. "À 29 ans, je me suis posé des questions importantes comme qu’est-ce qui est important pour moi ? Qu’est ce que j’ai envie de faire ? Est-ce que mon métier me plaît ?" 

    "Cela a été une petite graine de sagesse avant l’heure, ça m’a fait réfléchir à des choses qu’on réalise généralement vers 60 ans.""Le bouleversement de la greffe, m’a fait finalement m’interroger sur ma vie et revenir à mon côté artistique. Je vis beaucoup plus alignée avec ce que je ressens et ce que je veux désormais."

    Pour pour les personnes qui se trouveraient dans la situation qu’elle a connue il y a pile 10 ans, Nathaly a quelques mots : “Même si c’est difficile et long, que cela remet beaucoup en question notre vie et notre futur, si on a comme moteur profond l’amour, on arrive à aller jusqu’au bout du don.” 

    Pour laisser un commentaire, Connectez-vous par ici.
    
    -----