Psychiatrie

Psychédéliques : les Bad trips associés à un risque inquiétant de décès précoce

Le recours à des soins aigus (urgences ou hospitalisation) après consommation d’hallucinogènes serait associé à une mortalité plus élevée que dans la population générale, surtout par suicide. Le risque de décès serait 2,6 fois plus élevé que celui d'une personne similaire n'ayant pas eu d'hallucination. L’essor de ces substances exige donc une vigilance renforcée, y compris hors protocole clinique.

  • 05 Mar 2025
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    Les médias parlent beaucoup de résultats prometteurs et d’essais cliniques sur les psychothérapies assistées par psychédéliques. Depuis le milieu des années 2010, l’usage des hallucinogènes (LSD, psilocybine, DMT, MDMA….) connaît une nette progression, notamment en Amérique du Nord. S’il existe un intérêt thérapeutique potentiel pour certains troubles mentaux (études de phase précoce dans la dépression résistante ou le stress post-traumatique), le manque de données sur la mortalité associée à ces substances hors cadre clinique suscitait des interrogations.

    Une équipe de recherche canadienne s’est donc demandé comment les personnes qui ne sont pas exposés à ces psychédélique dans des essais cliniques pourraient réagir dans en vie réelle. Elle a de ce fait examiné des personnes qui ont eu une réaction indésirable grave (« bad trip ») lors de la consommation d’un hallucinogène et qui ont dû être hospitalisées en urgence afin d’évaluer si le fait de recourir à des services d’urgences ou une hospitalisation après consommation d’hallucinogènes accroissait le risque de décès. Une étude rétrospective a été menée en Ontario (Canada) sur plus de 11 millions de personnes (≥15 ans) entre 2006 et 2022.

    Une étude rétrospective en Ontario sur près de 8000 « bad trips »

    Sur les 11 415 713 personnes incluses, 7953 (0,07 %) ont eu un premier épisode de soins aigus après consommation d’hallucinogènes. Selon les résultats publiés dans CMAJ, par comparaison à la population générale (apariement sur l’âge, le sexe et d’autres facteurs), ces patients ont un risque de mortalité globale accru (HR=2,57 ; IC à 95 % : 2,09–3,15), avec une survie à 5 ans estimée à 93,9% versus 99,4% dans la population témoin.

    Le risque de décès par suicide est particulièrement élevé (HR=5,23 ; IC à 95 % : 1,38–19,74). Un excès de mortalité par overdose accidentelle (HR=2,03), maladies respiratoires (HR=2,46) et cancer (HR=2,88) est également mis en évidence. Enfin, comparés aux patients ayant des soins aigus après consommation d’alcool, ceux impliquant les hallucinogènes ont un risque de décès plus élevé ; cependant, le risque restait inférieur à celui observé chez les usagers d’opioïdes ou de stimulants.

    Pas de modification après exclusion des troubles mentaux

    En analyse de sensibilité, l’exclusion des personnes ayant un diagnostic de trouble mental ou d’usage de substances n’a pas modifié substantiellement l’élévation du risque de mortalité (HR=3,25 ; IC à 95 % : 2,27–4,63). Cette observation suggère que la surmortalité n’est pas uniquement portée par la comorbidité psychiatrique ou l’usage d’autres drogues, même si ces facteurs restent potentiellement imbriqués.

    Par ailleurs, les auteurs n’ont pas pu distinguer le type précis d’hallucinogènes dans les dossiers (LSD, psilocybine, PCP...), ni déterminer la fréquence ou la dose consommée, ce qui limite la possibilité d’identifier plus finement les profils à risque. Aucune augmentation notoire de la mortalité n’a été rapportée pour d’autres causes (p. ex. accidents de la route), mais les pathologies respiratoires et les cancers, possiblement corrélés à un usage de tabac ou de substances multiples, contribuent de manière notable à l’excès de décès.

    Importance de repérer les situations de vulnérabilité psychiatrique ou sociale avec la consommation d'hallucinogènes

    Cette étude de cohorte repose sur le chaînage des bases médico-administratives de l’Ontario, couvrant l’essentiel des séjours hospitaliers et passages aux urgences. Les auteurs ont inclus toutes les personnes âgées de 15 ans ou plus entre 2006 et 2022, en identifiant les épisodes « hallucinogènes » par les diagnostics codés dans les bases de données (exposition validée a posteriori via les registres de décès). Malgré l’ampleur de l’échantillon et un suivi médian de 7 ans, plusieurs limites existent : absence de validation clinique des dossiers, manque de précisions sur le mode de consommation (nature, dose, contexte d’usage) et possibles facteurs confondants (tabagisme, situation socio-économique, etc.). Toutefois, la robustesse du résultat (E-value élevé) conforte l’hypothèse d’un lien réel entre l’usage problématique d’hallucinogènes et le risque de mortalité, surtout par suicide.

    Selon les auteurs, ces travaux soulignent l’importance de repérer les patients en situation de vulnérabilité psychiatrique ou sociale qui consomment des hallucinogènes et d’envisager des stratégies préventives adaptées (dépistage systématique des idées suicidaires, orientation vers des soins spécialisés, évaluation des pratiques associées...). Par ailleurs, le contraste avec les essais cliniques (où le risque de mortalité n’apparaît pas augmenté) rappelle que l’usage en milieu contrôlé et l’usage spontané dans la population générale sont deux réalités très différentes.

    Les recherches futures devront clarifier la part spécifique des différentes substances (LSD vs. MDMA vs. dissociatifs) dans cet excès de risque et explorer les mécanismes sous-jacents (décompensation psychiatrique, comorbidités addictives, comportement à risque). Dans un contexte d’essor rapide de l’usage dit « récréatif » et d’intérêt croissant pour la psychothérapie assistée par psychédéliques, ces résultats invitent à une surveillance renforcée, tout en poursuivant l’évaluation scientifique rigoureuse de leurs bénéfices et de leurs dangers.

     

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    JDF

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