Cardiologie
Fibrillation atriale : 1ère étape pour découpler risque de thrombose et risque hémorragique
La fibrillation atriale (FA) nécessite une anticoagulation préventive, mais le risque hémorragique constitue une limite à son usage. Cibler spécifiquement le facteur XI de la voie intrinsèque de la coagulation pourrait réduire significativement les saignements sans altérer l’efficacité sur la prévention des accidents thromboemboliques.
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La fibrillation atriale est l’arythmie la plus fréquente dans le monde, avec un risque d’AVC multiplié par cinq comparativement à une population sans FA. Dans ce cadre, la prévention des thromboses de l’oreillette et des AVC secondaires repose sur des traitements anticoagulants, dominés par les AOD (anticoagulants oraux directs) qui agissent sur la voie intrinsèque de la coagulation. Malgré leur intérêt majeur (efficacité et réduction des hémorragies intracrâniennes par rapport aux antivitamines K), les AOD exposent à un risque de saignements, notamment digestifs et cérébraux, ce qui conduit parfois à une sous-prescription.
Les avancées récentes en biologie de la coagulation désignent le facteur XI comme une cible potentiellement plus sûre que le facteur Xa. Contrairement à celui-ci qui est essentiel à l’hémostase, le facteur XI semble moins indispensable pour le maintien de l’équilibre hémostatique, alors qu’il joue un rôle plus spécifique dans les processus thrombotiques. C’est dans ce contexte qu’un anticorps monoclonal, l’abelacimab (bloquant le facteur XI inactif et inhibant son activation en facteur XIa) a été testé chez des patients atteints de FA à risque modéré ou élevé d’AVC. Dans l’étude de phase 2b, AZALEA–TIMI 71, 1287 patients ont été randomisés pour recevoir mensuellement 150 mg ou 90 mg d’abelacimab par voie sous-cutanée (en double aveugle) ou 20 mg/j de rivaroxaban (en ouvert).
Les résultats, qui sont publiés dans le New England Journal of Medicine, ont été suffisamment convaincants pour que l’essai soit arrêté précocement : après trois mois, les niveaux de facteur XI étaient réduits en médiane de 99 % (dose de 150 mg) et de 97 % (dose de 90 mg). Corrélativement, l’incidence des hémorragies majeures ou non majeures cliniquement pertinentes s’est élevée à 3,2 événements pour 100 personnes-années (150 mg), 2,6 événements (90 mg) versus 8,4 événements pour rivaroxaban. Les hazard ratios sont de 0,38 (IC à 95 % : 0,24–0,60) pour la dose de 150 mg et de 0,31 (IC à 95 % : 0,19–0,51) pour la dose de 90 mg (p < 0,001), démontrant ainsi une réduction du risque de saignement entre 62 % et 69 % selon la dose, sans majoration du risque de thrombose.
Un blocage de la voie intrinsèque de la coagulation
L’incidence globale des effets indésirables, incluant les événements hémorragiques et non hémorragiques, est restée similaire dans les trois bras (abelacimab 150 mg, 90 mg, ou rivaroxaban). Le mécanisme d’action d’abelacimab, en bloquant la voie intrinsèque de la coagulation sans interagir avec le métabolisme hépatique et rénal de façon marquée, peut expliquer ce profil favorable. En tant qu'anticorps monoclonal, l'abélacimab n'est pas métabolisé par le système du cytochrome P-450 et n'est pas un substrat de la glycoprotéine P, ce qui réduit le risque d'interactions médicamenteuses. Il n'est pas nécessaire d'ajuster la dose en fonction de l'âge ou de l'état rénal ou hépatique. Il est également souligné que la simplicité d’administration (une injection mensuelle sous-cutanée) et l’absence d’ajustement posologique en fonction de l’âge constituent des atouts supplémentaires pour les patients.
Bien que la réduction des saignements soit évidente, l’efficacité antithrombotique d’abelacimab demeure à confirmer par des essais de phase III ciblant spécifiquement les taux d’événements cardioemboliques (AVC ischémique, embolies systémiques). Des études en cours, comme LILAC–TIMI 76 (chez des patients jugés non éligibles à un AOD ou à une occlusion de l’appendice auriculaire gauche), ou encore ASTER et MAGNOLIA (prévention de la maladie veineuse thromboembolique en contexte oncologique), permettront d’approfondir l’analyse du rapport bénéfice-risque d’abelacimab dans des populations plus larges et diverses.
Reconsidérer la place de l’inhibition du facteur XI dans la coagulation
Les données rapportées proviennent d’un essai randomisé multicentrique de phase 2b, comparant deux posologies d’abelacimab en double aveugle à une posologie standard de rivaroxaban en ouvert. L’objectif principal portait sur la survenue d’hémorragies majeures ou non majeures pertinentes, selon des critères validés (TIMI). La décision d’arrêter l’étude prématurément fait suite à la recommandation d’un comité indépendant de surveillance, considérant une réduction significative et inattendue du risque de saignement. Malgré cette interruption anticipée, le nombre total de patients inclus (n = 1287) et la diversité de leurs profils (âge médian de 74 ans, proportion de femmes à 44 %) confèrent une représentativité raisonnable, même si des validations supplémentaires demeurent nécessaires dans des contextes cliniques variés ou des sous-groupes spécifiques (par exemple, insuffisance rénale plus avancée).
Selon un éditorial associé, ces résultats appellent à reconsidérer la place future de l’inhibition du facteur XI dans la stratégie de prévention thromboembolique chez les patients en FA à haut risque. Une anticoagulation mieux tolérée pourrait encourager un recours plus large à la prophylaxie, en particulier chez les patients jugés « fragiles » ou chez ceux qui renoncent à un traitement oral par crainte d’hémorragie. Avant tout changement de paradigme, l’efficacité clinique d’abelacimab pour prévenir les thromboses et les AVC devra être confirmée.
Enfin, d’autres voies d’inhibition du facteur XI (inhibiteurs oraux, anticorps monoclonaux ciblant le facteur XIa, oligonucleotides antisens...) sont en développement avancé et pourraient concurrencer ou compléter l’offre thérapeutique. À terme, la recherche s’oriente vers une anticoagulation « idéalement sélective », prévenant efficacement le risque thrombotique tout en préservant la fonction hémostatique physiologique.
Au total, ces données renforcent l’idée que l’inhibition sélective du facteur XI est une stratégie possible pour améliorer le rapport bénéfice-risque dans la fibrillation atriale. Les perspectives de développement d’abelacimab, ainsi que d’autres inhibiteurs du facteur XI, augurent d’une évolution thérapeutique prometteuse, potentiellement généralisable à d’autres indications telles que la thrombose veineuse ou la prévention des complications cardiovasculaires dans certains cancers.