Rhumatologie
Prévention des fractures post-ménopausiques : un nouveau paradigme
Chez les femmes en début de ménopause et sans ostéoporose densitométrique, deux perfusions de zoledronate espacées de cinq ans suffiraient pour prévenir les fractures vertébrales et pour maintenir la densité osseuse sur dix ans. Cette approche peu contraignante offre une nouvelle stratégie de prévention primaire des fractures ostéoporotiques dans cette population.
- shurkin_son/istock
À partir de la ménopause, plus de la moitié des femmes sont exposées à un risque de fracture pour le reste de leur vie. Cette probabilité s’explique en partie par la baisse de la densité osseuse, qui débute avant la ménopause et se poursuit en moyenne à un rythme de 0,5 à 1% par an.
Malgré l’attention accordée aux populations âgées ou ayant une ostéoporose avérée, on estime que seulement 20 à 25% des fractures surviennent chez les femmes dont la mesure de la densité minérale osseuse indique une « ostéoporose densitométrique » (T score < 2,5). Il paraît donc intéressant d’intervenir plus tôt, chez des femmes non-ostéoporotiques et avec une architecture osseuse encore épargnée, afin de préserver une qualité osseuse proche de celle de la population plus jeune et ainsi prévenir les fractures ultérieures.
L’intérêt d’une inhibition de la résorption osseuse à minima sur 10 ans
Le zoledronate (5 mg en perfusion intraveineuse) possède plusieurs caractéristiques intéressantes : il diminue le risque de fracture lorsqu’il est administré tous les 12 à 18 mois, et son action persiste bien au-delà de 5 ans après une seule dose. Des analyses antérieures suggèrent que les effets protecteurs sur la densité osseuse durent plusieurs années après l’arrêt du traitement.
L’étude présentée ici visait à déterminer si une administration très espacée (à l’inclusion et à 5 ans) de zoledronate chez des femmes ménopausées récemment (âgées de 50 à 60 ans, sans ostéoporose densitométrique mais avec une densité osseuse légèrement abaissée) prévient effectivement les fractures vertébrales, sur une période totale de 10 ans.
Les participantes ont été randomisées pour recevoir une perfusion de zolédronate à une dose de 5 mg à l'inclusion et à 5 ans (groupe zolédronate-zolédronate), du zolédronate à une dose de 5 mg à l'inclusion et un placebo à 5 ans (groupe zolédronate-placebo), ou un placebo à la fois à l'inclusion et à 5 ans (groupe placebo-placebo).
Les résultats, publiés dans le New England Journal of Medicine, montrent que parmi les 1054 femmes incluses, l’administration de zoledronate au début de l’étude et à 5 ans réduit de près de 44% l’incidence des fractures vertébrales morphométriques à dix ans par rapport au groupe placebo–placebo (6,3% versus 11,1%, soit un risque relatif de 0,56 ; p=0,04). Même un schéma à dose unique (zoledronate–placebo) apporte un bénéfice notable, avec un risque relatif de 0,59 (p=0,08) pour les fractures vertébrales, traduisant une persistance d’effet après cinq ans. La tolérance globale s’est avérée bonne, la plupart des participantes (95,2 %) ayant mené l’essai à son terme.
Un bénéfice sur les fractures et la densité osseuse
En plus de la prévention des fractures vertébrales morphométriques, l’étude a évalué différents types de fractures. Les analyses indiquent que, par rapport au groupe placebo-placebo, les participantes ayant reçu deux doses espacées de zoledronate (au début et à 5 ans) ont une réduction du risque de 28% pour les fractures de fragilité (0,72 [IC à 95%, 0,55-0,93]), de 30% pour l’ensemble des fractures (0,70 [0,56-0,88]) et de 40% pour les fractures ostéoporotiques majeures (0,60 [0,42-0,86]).
Même le groupe n’ayant reçu qu’une seule perfusion de zoledronate au début de l’essai (zoledronate–placebo) montre une tendance à la diminution du risque pour ces divers critères (avec des risques relatifs allant de 0,59 à 0,79 selon les catégories de fractures), suggérant un effet prolongé même sans seconde perfusion. À dix ans, la DMO est supérieure de 5 à 9 points de pourcentage dans les groupes zoledronate par rapport au groupe placebo–placebo. Le groupe zoledronate–zoledronate bénéficie d’un léger avantage supplémentaire de l’ordre de 2,5 points par rapport au groupe zoledronate–placebo, même si l’on note qu’une seconde dose administrée alors que les marqueurs de remodelage étaient encore bas n’a pas réellement fait progresser la DMO, suggérant un possible effet plafond.
La tolérance est globalement satisfaisante. Les données déjà connues sur le zoledronate font état d’une sécurité d’emploi jusqu’à 9 ans avec une fréquence annuelle d’administration. Dans l’étude actuelle, à 10 ans, aucun surcroît majeur de complications n’a été mis en évidence, et la persistance de l’effet sur la densité osseuse à cinq puis dix ans renforce l’idée d’un mécanisme d’action prolongé. Des événements indésirables (syndrome pseudo-grippal, douleurs transitoires) ont pu survenir après la perfusion, mais ils n’entraînent pas d’augmentation significative du risque d’abandon.
Un essai d’espacement de doses, randomisé et en double aveugle
La démarche méthodologique repose sur un essai prospectif, randomisé, en double aveugle et contrôlé par placebo. Les participantes étaient des femmes ménopausées récemment, âgées de 50 à 60 ans, dont le T-score osseux au rachis lombaire ou au fémur se situait entre 0 et −2,5 (c’est-à-dire des patientes ostéopéniques (Tscore entre 1 et 2,5) et non-ostéopéniques (Tscore < 1), sans avoir une ostéoporose densitométrique). Les radiographies rachidiennes, pratiquées au départ, à 5 ans puis à 10 ans, servaient de base pour le diagnostic des fractures morphométriques selon une définition stricte (perte d’au moins 20% de la hauteur vertébrale). Cette conception rigoureuse du critère de jugement principal, associée à un suivi prolongé de 10 ans, confère une bonne validité interne à l’essai. Par ailleurs, plus de 95% des femmes ont mené l’étude jusqu’à la fin, ce qui limite le risque de biais d’attrition et renforce la robustesse des conclusions.
En général, un traitement anti-ostéoporotique n'est pas proposé aux femmes du groupe le plus important, car l'absence d'ostéoporose évidente est interprétée à tort comme signifiant l'absence de fragilité osseuse. Du point de vue clinique, ces résultats suggèrent qu’une stratégie de prévention précoce, via une ou deux perfusions espacées de 5 ans de zoledronate, permettrait de maintenir la densité osseuse et de réduire le risque de fracture vertébrale, voire d’autres fractures majeures. Le risque relatif de fracture total observé (0,70 ou 0,77 selon le groupe) rappelle les données obtenues chez des populations plus âgées ou à risque fracturaire plus élevé. Enfin, le coût, tant pour la patiente que pour le système de santé, demeure faible : la molécule est génériquée et les perfusions sont peu fréquentes.
Un éditorial associé rappelle que s’il est largement admis que les médicaments contre l'ostéoporose sont surtout efficaces chez les femmes dont les T scores, une méta-analyse récente des données individuelles de 25 essais d’anti-ostéoporotiques a montré qu’ils réduisaient le risque de fractures indépendamment de la densité minérale osseuse du col du fémur à l’inclusion, même si les effets tendaient à être plus importants chez les patientes ayant les T scores les plus bas. Une méta-analyse en réseau de 69 essais a également montré que les agents antirésorptifs et les agents ostéoformateurs prévenaient les fractures indépendamment de la densité minérale osseuse au niveau de la colonne vertébrale à l'inclusion. En outre, une réduction significative d'un tiers des fractures de fragilité a été observée dans un essai randomisé consacré à la prévention des fractures, spécifiquement chez les femmes de plus de 65 ans souffrant d'ostéopénie, avec l'utilisation du zolédronate tous les 18 mois pendant 6 ans.
La prévention de l'ostéoporose et des fractures reposait précédemment sur l'utilisation d'un traitement hormonal substitutif, une approche qui a été remise en cause après que les résultats d'essais randomisés aient fait apparaître un risque accru de maladies cardiovasculaires et de cancer du sein chez les femmes recevant ce traitement. Ce schéma thérapeutique simple et bien toléré pourrait améliorer la prévention primaire des fractures ostéoporotiques. Il devient donc envisageable de renforcer le dépistage du risque fracturaire en l’élargissant aux femmes en début de ménopause avec une densité osseuse déjà en baisse, afin de cibler celles qui, dans une perspective de prévention primaire, bénéficieront le plus d’un traitement minimaliste mais prolongé.
À l’avenir, des études pourraient affiner la sélection des candidates (en tenant compte du score de risque et de facteurs cliniques). Il serait également intéressant d’explorer si une troisième perfusion de zoledronate, par exemple au-delà de la 10ème année, procure un bénéfice supplémentaire ou si l’effet cumulatif reste significatif avec seulement deux administrations.