Rhumatologie

Survivants d’un cancer pédiatrique : le risque de fractures osseuses est sous-estimé

Les survivants d’un cancer de l’enfant ont fréquemment une densité minérale osseuse (DMO) basse à l’âge adulte, une situation plus invalidante qu’il n’y paraît. Le dépistage précoce, la prise en charge des comorbidités endocriniennes acquises et la modification de comportements à risque comme le tabagisme, pourraient limiter l’aggravation de ces troubles.

  • YakobchukOlena/istock
  • 11 Jan 2025
  • A A

    Grâce aux avancées thérapeutiques, plus de 85 % des enfants atteints de cancer survivent cinq ans ou plus après leur diagnostic. Toutefois, ces survivants demeurent exposés à des complications tardives, dont des atteintes osseuses précoces et évolutives. Les traitements anticancéreux (chimiothérapies, radiothérapies, corticothérapie à forte dose) durant une période cruciale pour l’acquisition du capital osseux peuvent perturber la maturation squelettique et conduire à des déficits de densité minérale osseuse (DMO). De fait, environ 30% des survivants souffrent d’une DMO pathologique dans les premières années suivant la fin du traitement.

    Dans l’étude publiée dans JAMA Network Open, réalisée au sein de la cohorte St Jude Lifetime (SJLIFE), les auteurs ont évalué la fréquence, la gravité et l’évolution dans le temps des déficits de DMO chez 3919 survivants de cancers pédiatriques (âge médian : 31,7 ans). Les résultats mettent en évidence une prévalence de 21,7% de baisses modérées (DMO ≤ −1 DS) et de 6,9 % de baisses sévères (DMO ≤ −2 DS).

    Les expositions aux traitements anticancéreux, notamment la radiothérapie crânienne à fortes doses ou pelvienne/testiculaire, ainsi que certaines comorbidités endocriniennes (hypogonadisme, déficit en hormone de croissance) et des comportements à risque comme le tabagisme et la sédentarité, expliquent une part substantielle de ces DMO réduites. Les patients qui ont une DMO très basse souffrent également plus souvent d’un symptôme dépressif, avec un moindre niveau d’indépendance fonctionnelle et une qualité de vie réduite.

    Les corticoïdes et la radiothérapie crânienne sont les principaux facteurs de risque

    L’analyse approfondie montre que les survivants exposés à des doses élevées de corticoïdes ou à une irradiation crânienne (≥ 30 Gy) restent particulièrement vulnérables : même ceux qui conservent une DMO normale ont un risque accru de développer ultérieurement des baisses modérées ou sévères de la DMO.

    Les modèles statistiques révèlent que 55% des déficits sévères sont attribuables aux traitements anticancéreux (dont 33 % à la radiothérapie crânienne ≥ 30 Gy), 51% aux comorbidités (notamment l’hypogonadisme et le déficit en hormone de croissance), et près de 10% au tabagisme ou à la sédentarité.

    Concernant l’évolution de la DMO, les données indiquent que certains survivants peuvent passer d’une DMO normale à des déficits importants en quelques années. La présence de comorbidités (maladies endocriniennes, inflammatoires ou métaboliques) et un mode de vie défavorable (faible activité physique, consommation de tabac) apparaissent comme des facteurs modifiables qui accélèrent le déclin osseux.

    Sur le plan fonctionnel, les survivants atteints de baisses marquées de la DMO sont plus susceptibles d’avoir besoin d’une assistance pour les activités quotidiennes et de signaler un repli social ou des symptômes dépressifs. Ces observations suggèrent que la perte de masse osseuse chez ces patients ne se limite pas à un simple marqueur radiologique, mais qu’elle affecte de manière tangible leur qualité de vie globale.

    SJLIFE, une cohorte prospective sur les survivants de plus de 5 ans

    Cette étude repose sur les données de la cohorte SJLIFE (diagnostics entre 1962 et 2012, suivi prospectif depuis 2007), qui inclut des survivants d’un cancer pédiatrique ayant survécu au moins cinq ans. Les investigateurs ont évalué la DMO via tomodensitométrie quantitative (QCT) lombaire, classant les résultats selon l’écart par rapport à aux normes pour l’âge et le sexe (Z score). Les facteurs de risque (expositions thérapeutiques, maladies endocriniennes, comportements) ont été corrélés aux niveaux de DMO observés. Bien que cette large cohorte confère une robustesse à l’analyse, des biais de sélection (participation potentiellement moindre de certains sous-groupes) et l’impossibilité de considérer toutes les expositions passées (fractures traumatiques, périodes d’immobilisation prolongée) limitent l’extrapolation. En outre, les mécanismes génétiques prédisposant à un faible pic de masse osseuse n’ont pas été inclus dans les modèles.

    En pratique, selon les auteurs et en accord avec les recommandations du Children’s Oncology Group (COG), ces résultats soulignent la pertinence d’un dépistage précoce et régulier dans le temps de la DMO chez les survivants de cancer de l’enfant, particulièrement ceux ayant reçu une radiothérapie crânienne et/ou des corticoïdes à forte dose. Les comorbidités endocriniennes (hypogonadisme, déficit en hormone de croissance chez presque 50% des survivants de cancers pédiatriques qui atteignent l’âge de 45 ans) doivent être dépistées et corrigées lorsque possible, tandis que le sevrage tabagique et la promotion d’une activité physique régulière (notamment sollicitant le squelette) sont à encourager pour limiter l’aggravation des déficits.

    Enfin, des études complémentaires, notamment des essais cliniques randomisés, sur l’usage des bisphosphonates, du denosumab ou sur le rôle d’interventions nutritionnelles (vitamine D, calcium, vitamine K) et mécaniques (vibrations de faible amplitude, exercice physique de renforcement musculaire) sont nécessaires pour mieux définir les stratégies de prévention et de prise en charge osseuse chez ces patients à risque. À terme, l’intégration de marqueurs génétiques dans ces approches personnalisées pourrait affiner le repérage des profils à haut risque et guider la prise de décision thérapeutique.

     

    Pour laisser un commentaire, Connectez-vous par ici.
    
    -----