Pédiatrie
Sclérose en plaques de l’adolescent : des signes prodromiques différents
Les enfants et adolescents qui vont avoir une sclérose en plaques (SEP) ont divers troubles métaboliques, sensoriels, oculaires, musculosquelettiques, gastro-intestinaux et cardiovasculaires, jusqu’à 5 ans avant le diagnostic. Identifier ces signes précoces et/ou prodromiques pourrait favoriser un repérage anticipé et améliorer la prise en charge de la SEP pédiatrique.
- Andrii Iemelyanenko/istock
La sclérose en plaques (SEP) est une maladie inflammatoire chronique du système nerveux central, dont la survenue se produit habituellement entre 20 et 30 ans. Cependant, 10 % des cas commencent avant l’âge de 18 ans, et moins de 1 % avant 10 ans. Différentes études ont déjà mis en évidence l’existence possible d’une phase prodromique, marquée par des signes ou symptômes parfois peu spécifiques, qui précèdent de plusieurs années la première manifestation démyélinisante. Une étude de population au Canada avait montré que la proportion d’enfants hospitalisés l’année précédant le diagnostic de SEP était plus élevée que chez des cas-témoins. Certaines recherches ont souligné une consommation accrue de soins de santé (consultations et hospitalisations) chez les futurs patients atteints de SEP, ainsi qu’une utilisation plus fréquente de médicaments (antivertigineux, antiépileptiques...) dans les années précédant le diagnostic.
Dans ce contexte, peu de données existent sur les signes prodromiques de la SEP pédiatrique. Pour combler ce manque d’informations, une étude cas-témoins appariée a été conduite en Allemagne, à partir de données nationales de l’assurance maladie, afin de rechercher, chez les patients de moins de 18 ans, toutes les maladies ou symptômes diagnostiqués dans les 5 ans précédant le diagnostic initial de SEP. Les résultats principaux, publiés dans JAMA Network Open, confirment que plusieurs pathologies ou symptômes étaient significativement plus fréquents chez les patients qui allaient ultérieurement développer une SEP.
Outre l’obésité, déjà décrite comme un facteur de risque de SEP chez l’adulte et l’enfant, les symptômes retrouvés comprennent des anomalies cardiologiques (troubles du rythme), des diagnostics gastro-intestinaux (gastrite, nausées et vomissements), ainsi que des troubles sensoriels ou oculaires. Tous ces signes, souvent considérés comme non spécifiques, pourraient constituer des signaux d’alerte pour un diagnostic plus précoce de la SEP.
Nombreux troubles métaboliques, oculaires ou de la sensibilité
Dans cette étude réalisée auprès de 1091 enfants et adolescents atteints de SEP, 10 910 contrôles sans SEP et 1068 contrôles souffrant d’arthrite juvénile idiopathique (AJI), environ 72% des cas de SEP étaient des filles, et l’âge moyen au diagnostic de 15,7 ± 1,7 ans.
Au total, 163 codes CIM-10-GM ont été passés en revue. Neuf codes sont ressortis comme significativement plus présents chez les futurs patients SEP, dans les 5 ans précédant le diagnostic, par rapport aux contrôles sans SEP : obésité (odds ratio ajusté [AOR], 1,70 ; IC à 95%, 1,42-2,02), troubles de la réfraction oculaire et de l'accommodation (AOR, 1,26 ; IC à 95%, 1,09-1,47), troubles visuels (AOR, 1,31 ; IC à 95%, 1,10-1,55), gastrite et duodénite (AOR, 1,35 ; IC à 95%, 1,08-1,70), syndrome rotulien (AOR, 1. 47 ; IC à 95%, 1,13-1,90), anomalies du rythme cardiaque (AOR, 1,94 ; IC à 95%, 1,27-2,96), flatulences (AOR, 1,43 ; IC à 95%, 1,01-2,01), troubles de la sensation cutanée (AOR, 12,93 ; IC à 95%, 8,98-18,62), ainsi qu'étourdissements et vertiges (AOR, 1,52 ; IC à 95%, 1,22-1,89).
En comparaison avec les patients atteints d’AJI, quatre diagnostics restent significativement plus fréquents dans le groupe SEP : l’obésité (AOR=3,19 ; IC à 95% 2,03-5,02), les troubles de la réfraction/accommodation (AOR=3,08 ; IC à 95 à % 2,33-4,08), les troubles visuels (AOR=1,62 ; IC95 à % 1,13-2,33), et surtout les perturbations de la sensibilité cutanée (AOR=27,70 ; IC à 95% 6,52-117,64).
Une étude rétrospective sur les données de l’assurance maladie allemande
L’étude repose sur des bases de données de l’assurance maladie en Allemagne, couvrant la quasi-totalité des enfants et adolescents assurés au niveau national entre 2010 et 2020. Les cas de SEP ont été inclus selon une définition stricte (au moins deux diagnostics confirmés sur deux trimestres différents, dont un par un neurologue) afin de limiter les faux positifs. Les contrôles correspondaient à des enfants sans SEP, appariés sur l’âge et le sexe, et à un groupe de comparateurs atteints d’arthrite juvénile idiopathique pour évaluer la spécificité de certaines associations liées aux processus inflammatoires auto-immuns.
Le recours à une telle source de données administratives permet de disposer d’un échantillon conséquent (plus de 1000 cas de SEP pédiatriques), offrant une bonne puissance statistique pour identifier des associations de faible amplitude. Néanmoins, il subsiste un risque de surreprésentation de certains diagnostics, du fait d’une utilisation accrue des services médicaux par les patients en période prédiagnostique. De plus, les données se limitent à la facturation en ambulatoire (hors hospitalisation) et n’incluent pas les personnes assurées en privé.
En pratique
Ces résultats soulignent la nécessité d’une attention accrue, chez l’enfant et l’adolescent, pour des symptômes inhabituels tels que les troubles de la sensibilité cutanée, les vertiges, certaines anomalies oculaires ou encore l’obésité marquée. Une meilleure caractérisation de ces signes précoces ou prodromiques pourrait influer sur la précocité du diagnostic et la prise en charge thérapeutique de la SEP pédiatrique, avec potentiellement un impact sur l’évolution à long terme.
Les perspectives de recherche incluent la confirmation de ces observations dans d’autres populations et l’exploration de mécanismes physiopathologiques spécifiques (par exemple, le rôle de l’inflammation systémique, les modulations immunitaires liées à l’obésité ou aux troubles sensoriels). L’intégration d’autres données cliniques (comme l’imagerie cérébrale précoce ou les marqueurs biologiques) pourrait affiner la compréhension de la phase prodromique et ouvrir la voie à des interventions préventives ou à une détection plus rapide de la SEP chez l’enfant et l’adolescent.