Aérosol
Bioterrorisme : des Français créent un antidote à la ricine
Des chercheurs français ont développé un aérosol capable d’administrer rapidement un antidote contre la ricine. Il s'agit d'un produit toxique, très redouté en cas de bioterrorisme.
A six mois de l'Euro 2016 de football, Manuel Valls ne cachait pas son inquiétude. Fin novembre, devant l'Assemblée nationale, il déclarait que « L’imagination macabre des donneurs d’ordre est sans limite ». Avec des détails, le Premier ministre évoquait les différents procédés envisagés par les groupes terroristes pour mettre en œuvre des attentats. Au menu : « Fusil d’assaut, décapitation, armes blanches, bombe humaine...» mais aussi des attaques chimiques et biologiques. Dans ce contexte d'extrême inquiétude, des chercheurs français ont travaillé sans relâche.
Trois ans : c’est le temps qu’il a fallu à une équipe de scientifiques, pour développer un aérosol capable de déposer un antidote contre la ricine au plus profond des poumons. Ce travail a été réalisé dans le cadre d’un consortium international, impliquant notamment l’université de Tours, l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) et la société DTF medical (Saint-Etienne), spécialisée dans les dispositifs médicaux innovants.
Un produit "très toxique"
L’enjeu était de taille. Dans un communiqué, l'Inserm rappelle que la ricine est une substance « très toxique » lorsqu’elle est inhalée. « Elle gagne rapidement les poumons, puis les alvéoles. De là, elle détruit les cellules de l’hôte et entraine successivement œdème pulmonaire, insuffisance respiratoire aiguë, et le décès en quelques jours ».
Comble de l'inquiétude, cette substance est extraite d’une plante largement répandue dans le monde, et très facile à produire. Une attaque bioterroriste par la diffusion aérienne de ricine est donc redoutée dans de nombreux pays. Surtout qu'à ce jour, aucun antidote n’était disponible en cas d’attaque, rappelle l'Inserm.
En attendant l'arrivée d'un vaccin préventif (en cours de développement) l’armée a sollicité l’aide d’un laboratoire Inserm spécialisé dans l’administration de biomédicaments par voie respiratoire. Le projet a été financé par la Direction générale de l'armement. Les chercheurs ont commencé par modifier l’anticorps pour améliorer son utilisation chez l’homme.
100 % des animaux intoxiqués sauvés
Ils ont ensuite testé son efficacité chez l’animal et montré qu’il peut être administré jusqu’à six heures après l’intoxication à la ricine. Dans ces conditions, 100 % des animaux intoxiqués ont en effet été sauvés. Mais le véritable défi de cette équipe résidait dans la fabrication d’un dispositif d’administration adapté.
Pour y arriver, l’armée a imposé d'une part : un cahier des charges, « incluant des détails pratiques comme le stockage de l’antidote dans des lieux et situations de combat ». D’autre part, les chercheurs savaient que l’aérosolisation altère souvent les produits biologiques inhalés.
Sur le site de l'Inserm, le Dr Nathalie Heuzé-Vourc’h, responsable des travaux, explique : « L’aérosolisation stresse les anticorps, qui se dénaturent et peuvent perdre leur fonction ou être mal tolérés en raison de la formation d’agrégats ». Elle ajoute que : « chaque détail devait être spécifique du produit et a été pensé pour un dépôt efficace dans les alvéoles : la taille des gouttelettes, leur nombre, la technologie du générateur de l’aérosol, la composition de l’anticorps...»
La balle dans le camp de l'armée
Et après un premier succès sur des singes, reste à vérifier qu’il en est de même chez l’homme, souligne prudemment le Dr Nathalie Heuzé-Vourc’h. Des étapes compliquées à franchir tant l’utilisation de la ricine est contrôlée en France. « Les décisions qui permettront de poursuivre le projet appartiennent maintenant à l’armée », conclut l'Inserm. Peut-être pour la convaincre, l'Institut de Veille Sanitaire (InVS) rappelait récemment sur son site qu'un dixième de grammes de ricine est suffisant pour tuer un homme de 100 kilos !
Forts de leur expertise, les chercheurs français ont développé un nébuliseur inédit. Il permet de mélanger la poudre d’anticorps, stockée dans une grande seringue, avec une solution adaptée pour son aérosolisation. Le tout est automatiquement transféré dans le réservoir d’un générateur d’aérosol qui fonctionne sur piles. L’aérosol généré est stocké dans une chambre d’inhalation, pour maximiser la quantité d’antidote délivrée à la victime. Celle-ci y inspire et y expire pendant plusieurs minutes, de sorte qu’il n’y a pas de perte de produit et que ce dernier pénètre profondément dans le tractus pulmonaire.
Source : Inserm
(1) Unité 1100 Inserm/université François Rabelais, Centre d’étude des pathologies respiratoires, Tours