Facturation de certaines interventions

Pompiers : l'initiative du Calvados suscite la colère des urgentistes

Suite à la mise en place dans le Calvados d'une facturation des interventions non-urgentes, les urgentistes dénoncent une décision dangereuse pour la santé des personnes. 

  • Par Caroline Delavault avec Bruno Martrette
  • JOBARD/SIPA
  • 31 Mar 2016
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    « Une décision injuste, dangereuse et inefficace », mais aussi « une atteinte inacceptable aux principes fondamentaux du service public », c'est en ces termes que les pompiers de la FNSPF (1)  et les urgentistes de l'AMUF (2) ont dénoncé mercredi la mise en place par le SDIS (3) du Calvados (Normandie) d’une facturation des interventions non-urgentes des sapeurs-pompiers.

    Effective à compter du vendredi 1er avril, cette tarification vise 8 types d’intervention. Parmi elles, les appels abusifs avec engagement (410 euros), les levées de doute d’alarme incendie (463 euros), la prise en charge des personnes en état d’ébriété (sauf en cas d'urgence ou d'insolvabilité) ou encore les relevages à domicile sans transport. Les deux dernières seront tarifées 241 euros.

    Tarifs de certaines interventions des pompiers du Calvados à partir du 1er avril


    « Pour chacune de ces interventions, l’objectif consiste avant tout à dissuader le requérant de faire systématiquement appel aux sapeurs-pompiers quand la situation ne l’exige pas », est-il écrit dans un communiqué.

    Une tarification au cas par cas 

    Joint par Pourquoidocteur, le commandant Romain Pasqualotti, chef du groupement des opérations dans le Calvados, défend cette décision : « On est pas du tout sur une remise en cause des interventions obligatoires et urgentes. Mais aujourd'hui, force est de constater qu'on a recours de plus en plus à nos services pour des interventions à la limite de notre mission de service public ».

    Pour tenter d'éteindre la polémique, ce pompier précise le cadre « restreint » des interventions bientôt facturées dans le département. « S'agissant des relevages à domicile sans transport, on fait parfois face à des gens qui nous appellent presque tous les jours. J'ai l'exemple d'un monsieur qui nous a sollicités à 36 reprises en l'espace de deux mois, souvent juste pour relever son oreiller. Je crois que ce type de demandes ne nécessite pas la présence de 3 pompiers ». Bref, des appels « abusifs », selon lui, qui devraient être facturés. 

    Afin d'éviter les critiques de ses confrères, le Commandant explique néanmoins qu'il n'y aura rien d'automatique dans l'application de ces nouvelles règles. « A titre exceptionnel, la facturation des relevages à domicile sera l'ultime étape, et il y aura une démarche d'alerte avant », indique-t-il.
    Cette dernière pourrait se faire par un courrier de mise en demeure à l'intéressé, ou à ses ayants droits, lorsqu'il y a eu des recours répétitifs et abusifs aux sapeurs pompiers. Le but de la manoeuvre, « préserver les moyens pour l'urgence réelle, c'est-à-dire l'incendie ou le secours à la personne », conclut Romain Pasqualotti.

    Une délégation prévue dans la loi   

    Malgré ces précautions, la décision ne passe toujours pas du côté du FNSPF et de l'AMUF. Les deux organisations continuent de regretter que ce projet aille bien au-delà des pratiques actuelles avec lesquelles les pompiers facturent uniquement des interventions de confort ou des prestations privées susceptibles d’être assurées par des entreprises. Un exemple de celles-ci nous est donné dans le Val-d’Oise (95), où cette délégation (autorisée par la loi il y a vingt ans) a été mise en place.

    Pierre, sapeur-pompier dans ce département depuis 6 ans, raconte. « Il nous arrive fréquemment de faire payer nos déplacements. Principalement pour des ascenseurs bloqués, des ouvertures de portes ou pour des destructions de nids d’hyménoptères (guêpes, abeilles) ».
    Mais quand il intervient avec ses collègues sur ces missions, « l'opérateur prévient le requérant au préalable, afin qu'il ait conscience que ce n'est pas gratuit, cela avant l'engagement de moyens », détaille-t-il. Ensuite, le chef d’agrégation, qui encadre l’intervention, « vérifie par dessus que la personne ait bien compris les conditions ». Si tel est le cas, les documents relatifs à la facturation sont signés, et les manoeuvres peuvent démarrer.

    Et Pierre se verrait même aller plus loin. Pour lui, les nouvelles mesures annoncées par le SDIS 14 sont justifiées : « Est-ce que l'état d'ébriété est un motif d’urgence ? Est-ce que les gens, contrairement à une maladie, ne choisissent pas eux-mêmes de finir dans cet état ? On est pas là pour ramasser les gens qui ne peuvent pas assumer leurs fins de soirée », lâche-t-il.

    Des personnes en danger ?

    Ces mots, Patrick Hertgen, vice-président de la FNSPFS, aura sans doute du mal à les entendre. Lui déplore le pas supplémentaire ici franchi avec, « pour la première fois, le choix de monnayer les missions d’assistance aux personnes en danger ».

    Contacté par la rédaction, ce médecin-colonel craint ainsi que les personnes concernées, souvent de conditions modestes (personnes âgées, isolées, dépendantes, en situation de précarité sociale...), risquent dorénavant d'hésiter à appeler les secours, « au prix de risques pour leur santé voire leur vie ».

    Le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l'AMUF, enfonce le clou, en rappelant que ce n'est pas au patient de faire son propre diagnostic et d'évaluer s'il y a urgence ou pas. « Dans l'immense majorité de cas, les gens n'appellent pas pour n'importe quoi », fait-il remarquer.
    L'urgentiste de l’Hôpital Avicenne (93) s'inquiète par exemple d'un patient alcoolisé qui risquerait de finir en coma éthylique, possiblement mortel. 

    Ecoutez...
    Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l'AMUF : « C'est scandaleux. L'ébriété peut être considérée comme une maladie, c'est une addiction prise en charge...»

    Ce dernier dit toutefois comprendre que la contrainte budgétaire exige des pouvoirs publics (Etat, collectivités territoriales, Assurance maladie) « une adaptation de la réponse et une meilleure coordination de la prise en charge médico-sociale des personnes », « mais cette réponse ne saurait se trouver dans la mise en cause des principes essentiels de solidarité qui sont le ciment du pacte républicain et de notre vivre-ensemble », ajoute-t-il.   

    Et ce pacte républicain, d'autres départements s'apprêtent à y toucher. A compter du 1er mai 2016, le SDIS de Meurthe-et-Moselle (54) envisage également de facturer 260 euros le transport par les pompiers de toutes ivresses sur la voie publique, « hors urgences vitales ». « Cela n'atteint pas le principe de gratuité des secours car nous sommes ici dans le cas d'une substitution à notre service », confie le commandant Bertrand Lepoutère du SDIS 54. L'argument ne convainc toujours pas le Dr Patrick Hertgen qui reste malgré tout confiant. Pour lui, « la mesure est tout simplement "inapplicable", les pompiers ne relèvent en effet pas l'identité des gens ! »

    Ecoutez...
    Dr Patrick Hertgen, vice-président de la FNSPF : « Je ne sais pas comment on va facturer l'état d'ivresse... »

     
    (1) Fédération Nationale des Sapeurs Pompiers de France

    (2) Association des Médecins Urgentistes de France

    (3) Service Départemental d'Incendie et de Secours

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