L’interview du week-end
Guillaume de Tonquédec : "Dans la prise en charge de la sclérose en plaques, tout est empirique"
À la veille de la journée mondiale consacrée à la sclérose en plaques ce 30 mai, Guillaume de Tonquédec, comédien et parrain de l’Institut du cerveau, se confie sur cette maladie dont souffre sa mère.
- Pourquoi Docteur : En France, 100.000 personnes sont atteintes de la sclérose en plaques, dont environ 75.000 femmes. C’est le cas de votre mère. À quel âge a-t-elle appris qu’elle souffrait de cette maladie auto-immune ?
Guillaume de Tonquédec : Dans ma famille, j’ai malheureusement le trio gagnant : Alzheimer, Parkinson et sclérose en plaques. Il y a un petit peu plus de 30 ans, les médecins ont annoncé à ma mère qu’elle était atteinte de la sclérose en plaques. Elle a été diagnostiquée à 50 ans, relativement tardivement, heureusement pour elle et pour nous.
- Comment cette pathologie s’est-elle manifestée chez votre mère ?
Maman avait une excellente vue, même supérieure à la moyenne. Un jour, elle a brutalement perdu la vue et est presque devenue aveugle en quelques heures. Pour nous, la famille, c’était assez inquiétant et choquant parce que l’on ne comprenait pas ce qu’il se passait. Mais pour les médecins, il était clair qu’elle souffrait de sclérose en plaques. Ensuite, elle a recouvert la vue petit à petit.
Après cette première poussée visible, des signes moteurs sont apparus. Maman avait du mal à marcher. Elle a donc utilisé une canne, puis un déambulateur et ensuite une chaise roulante manuelle. Aujourd’hui, elle a recours à une chaise roulante électrique, qui lui permet de se mettre debout, car elle ne peut plus se lever et n’a plus de force dans les bras pour pouvoir faire rouler sa propre chaise. Maman a aussi un nouveau lit médicalisé.
Dans le cadre de cette maladie, tout est empirique. En clair, on découvre l’affection, on se renseigne et on se rend compte qu’il faut accompagner tous les changements qui ont lieu à cause de la sclérose en plaques. Par exemple, toute la géographie de la maison de mes parents a changé. Il a fallu élargir les portes, adapter la chambre et les toilettes. Depuis plusieurs années, maman prend plusieurs médicaments, dont les dosages changent avec la découverte des effets secondaires possibles. Dans le cas de la sclérose en plaques, on tâtonne en permanence. C’est assez touchant de voir les médecins essayer de trouver un moyen de soigner les patients, mais il n’existe pas de certitudes.
- Comment avez-vous réagi lorsque vous avez su que votre mère était malade ?
Lorsque ça nous est tombé dessus, on ne connaissait pas cette maladie. Pour nous, à savoir mon père et mes trois frères et sœurs, cette annonce a été terrible. Elle a bouleversé l’équilibre de la famille et a généré des interrogations, des incompréhensions, des tensions, des inquiétudes et de l’angoisse.
Dans notre famille, le non-dit est assez puissant. Dans un premier temps, nos parents ne voulaient pas nous l’annoncer pour nous protéger. Mais est-ce qu’il vaut mieux ménager ses enfants pour ne pas les inquiéter ou de tout leur dire ? C’est un vrai débat. On s’est posé cette question en famille.
De mon côté, je me demandais aussi si je devais annoncer publiquement que ma maman souffrait de cette pathologie. Pendant un temps, je ne l’ai pas dit, mais j’étais déjà parrain à l’Institut du cerveau. Quand la sclérose en plaques de ma mère a évolué, mon père m’a incité à le dire. Mais je voulais protéger ma famille. Cette fois-ci, les rôles se sont inversés. Désormais, c’était l’enfant qui voulait protéger ses parents. Après avoir discuté avec eux à plusieurs reprises, j’ai décidé d’annoncer que ma mère était touchée par cette affection auto-immune, car cela peut aider de nombreux patients. Lorsqu’une personnalité publique s’engage et devient le parrain d’une association ou d’un institut, s’il existe un lien avec son histoire et qu’elle le raconte, c’est plus porteur.
- Cette annonce a-t-elle perturbé vos liens familiaux ?
Oui ! Cette maladie nous a poussé avec nos frères et sœurs à nous poser plusieurs questions, en particulier sur la vie de notre père âgé de plus de 80 ans, qui est admirablement dévoué à la protection et à l’accompagnement de notre mère. On a de la chance de l’avoir. Sans notre père, je ne sais pas comment on aurait fait. Maman aurait dû aller dans un institut pour être soignée. Nous, les enfants, on a tous notre vie. De plus, nous ne sommes pas dans les mêmes lieux géographiques. Mes parents et une de mes sœurs sont en Bretagne. Quant aux autres membres de la famille, nous habitons à Paris. Ça aurait été très compliqué sans mon père.
L’annonce de cette pathologie a provoqué des disputes, mais elle nous a aussi rapproché. Nous avons créé un petit groupe avec mes frères et sœurs. Sur ce dernier, on discute de l’évolution de la sclérose en plaques dont souffre maman, car on est inquiet pour nos parents. Lorsque l’on apprend une mauvaise nouvelle, on échange beaucoup désormais. En réalité, la pathologie de maman a brisé la chaîne du non-dit. Elle nous a aussi permis d’avoir le temps de nous dire ‘je t’aime’. Beaucoup de personnes ne se le disent pas assez. Dites-le à vos proches, n’hésitez pas, un peu d’amour ça fait du bien ! Depuis cette annonce, je me suis rendu compte que tous les moments passés en famille sont remplis d’émotions.
- Comment vous organisez-vous avec vos frères et vos sœurs pour prendre soin de votre mère ? Est-ce que vous lui rendez visite lorsque des poussées surviennent ?
Nous, "les Parisiens", nous essayons de rendre visite à notre mère le plus souvent possible. On ne veut pas que tout repose sur un seul membre de la famille, à savoir ma sœur en Bretagne qui a besoin d’un coup de main. Lorsque l’on va voir notre maman, le plus douloureux est de ne pas pouvoir lui confier ses petits-enfants, car elle ne peut pas ramasser leurs jouets ou courir après eux. Il était compliqué de créer ce lien grand-mère et enfant. Une personne qui se déplace en chaise roulante, c’est moins marrant qu’une grand-mère qui peut voyager, jouer ou faire un manège. Du coup, on invente d’autres façons de partager. Maman adore dessiner, ses petits-enfants viennent donc dessiner avec elle.
On essaye de l’inclure et de vivre un maximum de moments avec notre mère. On organise les grands événements familiaux autour d’elle, en sachant qu’il faut un lieu où la chaise roulante puisse rentrer et où les toilettes sont adaptées, car il existe beaucoup d’équipements handicapés qui sont inutilisables. Il y a une méconnaissance des besoins réels des personnes handicapées.
- Depuis plus de 30 ans, votre père n’a cessé de s’occuper votre mère souffrant de la sclérose en plaques. Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux personnes qui accompagnent les patients au quotidien ?
Je rends un hommage aux aidants qui sont précieux pour les malades, leurs proches, mais également pour la société et les finances de la Sécurité sociale ! Ces aidants doivent penser à eux, car c’est épuisant d’accompagner un proche malade ! Mon père n’a pas décelé qu’il avait fait un infarctus, car il ne s’occupait plus de lui. Il a failli y passer. À ce moment-là, toute la famille s’était de nouveau mobilisée et on essaye désormais de trouver un équilibre pour avoir des moments avec notre père. Par exemple, ces derniers jours, un aidant temporaire l’a remplacé, car il est venu à Paris, durant trois jours, pour voir la pièce de théâtre dans laquelle je joue. C’est un exploit pour lui de se séparer de maman pendant autant de temps. Ça lui a fait un bien fou !
En clair, les aidant les patients touchés par la sclérose en plaques doivent aussi prendre soin d’eux, physiquement et moralement, ce n’est pas une trahison de vouloir vivre sa vie ! Après avoir fait une activité ou pris du temps pour soi, on est d’autant plus riche. Lorsque l’on revient auprès de notre proche malade, on a des choses à lui raconter. Il est important que chacun trouve son équilibre, car plus l’accompagnant est en forme, plus le patient pourra compter sur lui.
Si mon père avait disparu à cause de son infarctus, toute l’organisation autour de notre mère aurait dû être remise en question. Dans ce cas, d’autres problèmes seraient apparus. Il est préférable pour un patient de pouvoir rester chez lui, d’avoir de l’affection et de l’amour. Mais pour cela, il ne faut pas que l’aidant ne s’épuise pas à la tâche. La fatigue ou l’énervement ne doit pas provoquer une chute dans les escaliers ou un infarctus, car il ne s’est pas occupé de lui. Je sais que les aidants peuvent ressentir un sentiment de culpabilité lorsqu’ils ne sont pas auprès de leur proche malade, mais il est important qu’ils pensent à eux.