Témoignage
Journée mondiale : "L’obésité, c’est un combat quotidien"
A l'occasion de la journée mondiale de l'obésité, Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d'obèses (CNAO), nous raconte son combat contre la maladie.
- Pourquoi docteur - Vous avez aujourd'hui 50 ans. Depuis quand souffrez-vous d’obésité ?
Anne-Sophie Joly - J’ai commencé à prendre du poids vers 16 ans. A l’époque, je suivais des études supérieures d’architecture stressantes, où on me faisait souvent remarquer que je n’étais pas à ma place, à cause de mon jeune âge. Le fait d’être une femme, dans un milieu très masculin, m’était aussi souvent reproché. La charge de travail était par ailleurs très conséquente, et la nourriture que nous fournissait le couvent dans lequel je vivais n’était pas très diététique. Pour arriver à travailler jusqu’à minuit/une heure du matin, je grignotais beaucoup. J’ai ainsi régulièrement augmenté ma taille de vêtements, jusqu’à ne plus réussir à m’habiller dans les magasins classiques. J’ai fini mes études en allant me vêtir chez Décathlon, car sur Paris, il n’y avait que cette marque qui faisait des grandes tailles.
- Quelles sont les conséquences de la maladie sur votre quotidien ?
Elles sont multiples. Professionnellement, j’ai souvent été discriminée à l’embauche à cause de mon poids. Sur le plan sentimental, j’ai eu des compagnons qui n’assumaient pas de sortir avec moi en public, du fait de mon physique. Le regard des gens, notamment des jeunes de mon quartier, est aussi très pesant au quotidien. Dans l’imaginaire collectif, une personne souffrant d’obésité est forcément faible mentalement, alors que ce n’est pas vrai. C’est même souvent l’inverse, car face à l’adversité, on s’endurcit. L’obésité, c’est un combat de tous les jours.
- Vous faites-vous suivre médicalement ?
Je ne suis entourée que de médecins : médecin généraliste, chirurgiens, gastroentérologues, nutritionnistes (même si généralement, les personnes obèses s’y connaissent très bien en alimentation).
- Avez-vous déjà eu recours à la chirurgie ?
Le 2 avril 2000, j’ai fait ce qu’on appelle un maissone (l’ancêtre de la sleeve), suite à quoi j’ai perdu 50 kilos. Malheureusement, j’ai eu un morceau de poulet qui s’est pris dans les agrafes et m’a arraché le haut de l’estomac. Deux ans et demi après l’intervention, j’ai donc fait poser sur le premier dispositif un anneau gastrique. Là, j’ai encore perdu 25 kilos, et j’ai stabilisé mon poids pendant douze ans. Mais mes seins s’étant très évidés, on m’a posé des prothèses PIP, que j’ai dû par la suite retirer. Lors de l’opération, on a dû me desserrer l’anneau, et je n’ai jamais réussi à le resserrer pour cause d’aphagie (impossibilité de déglutir). J’ai donc repris 50 kilos, et je suis repassée en situation d’obésité.
- Vous êtes maman d'un petit garçon. Votre obésité a-t-elle eu un impact sur votre maternité ?
Contre toute attente, je suis tombée enceinte naturellement à 42 ans. J’ai alors extrêmement cadré mon alimentation, tout en faisant de l’exercice physique. J’ai réussi à perdre 12 kilos les cinq premiers mois de grossesse, que j’ai ensuite repris.
- Êtes-vous satisfaite de votre prise en charge en France ?
Oui, mais j’aurais souhaité que mes consultations de premier recours chez les médecins généralistes soient plus bienveillantes, moins culpabilisantes, moins discriminantes et moins centrées sur les pathologies associées à l’obésité. J’ai par exemple un professionnel de santé qui m’a conseillé « d’arrêter de me bâfrer » pour mettre fin à mes douleurs aux chevilles, alors que le problème est beaucoup plus complexe que ça. Personne ne désire être obèse, ce n’est pas qu’un problème de volonté.
- L’origine de l’obésité est-elle juste un problème d’alimentation ?
L’obésité est multifactorielle. Chez moi par exemple, son origine est génétique et psychologique.
L’alimentation joue aussi un rôle essentiel, tout comme la sédentarité. Avec les produits ultra-transformés, on mange beaucoup moins bien aujourd’hui qu’il y a un siècle, et on bouge aussi beaucoup moins, notamment au travail. Les personnes obèses sont victimes de notre progrès.
- La Covid-19 est-elle plus particulièrement difficile à vivre pour une personne souffrant d’obésité ?
Tout à fait, car les personnes souffrant d’obésité ont plus de risques de mourir de la Covid-19, ou de développer une forme grave et des complications. 80% des malades qui vont en réanimation ont des problèmes de poids. Beaucoup de personnes souffrant d’obésité ne sortent donc plus, car elles ont peur de la maladie. De ce fait, elles s’isolent, et beaucoup sont dans une grande détresse psychologique. Certaines développent des troubles du comportement alimentaire ; d’autres vont même parfois jusqu’au suicide.
Mais la Covid-19 a tout de même été, concernant l’obésité, le révélateur de plein de problèmes que personne ne voulait voir jusqu’ici.
- Que pensez-vous de l’émission "Opération renaissance", présentée par Karine Le Marchand sur M6 ?
J'ai un avis très négatif, car c’est une émission grossophobe, qui s’appuie sur des experts qui n’en sont pas. Personnellement, je ne les croise jamais, ni dans les congrès, ni dans les sociétés savantes et encore moins dans les groupes de travail.
La façon dont l’obésité a été traitée par cette émission ne valorise en aucun cas l’éducation thérapeutique, c’est du voyeurisme à l’état pur. Par ailleurs, l’image longiligne de Karine Le Marchand instaure un dialogue non verbal avec les personnes souffrant d’obésité qui ont participé à l’émission. Son physique leur dit : "tu vois, toi tu es obèse et moi je ne le suis pas". Pour moi, c’est un concept médiatique abominable, et je m’inquiète pour les personnes qui y ont pris part. Est-ce qu’on monterait une émission similaire avec quelqu’un qui a un cancer du cerveau ou une polyarthrite ? Je ne pense pas.