Médecine générale

Douleur persistante après entorse : penser à l’entorse du médiotarse

L’entorse de cheville en inversion est banale mais sa prise en charge doit être rigoureuse pour ne pas passer à côté d’une fracture de l’apophyse du 5ème métatarsien par avulsion, d’un diastasis tibio-fibulaire ou d’une entorse du médio-tarse.

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  • 09 Jul 2024
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    Les athlètes pratiquant des sports à fort impact, comme le football et le rugby, sont exposés à un risque accru de lésions du médio-pied, notamment des entorses médio-tarsiennes, ou entorses de Chopart, dont l’incidence représenterait de 5 % à 33 % des lésion lors d’un traumatisme en inversion de la cheville.

    Les structures ligamentaires stabilisatrices latérales étant souvent la priorité du médecin traitant et du kinésithérapeute, les entorses médio-tarsiennes sont initialement manquées chez jusqu'à 41% des patients, entraînant ainsi un retard préjudiciable dans leur traitement.

    Ces lésions, bien que moins courantes, sont souvent associées aux entorses de la cheville. Une entorse isolée du médio-pied survient dans environ 5,5 % des cas d’entorses de la cheville, mais certaines études suggèrent que ce chiffre pourrait atteindre 33 % lors de blessures par inversion de la cheville.

    Le complexe articulaire de Chopart

    Les entorses médio-tarsiennes sont des lésions qui affectent les 2 articulations du complexe articulaire de Chopart. L’articulation transverse du tarse, encore appelée articulation de Chopart, se compose de donc deux articulations distinctes juxtaposées : l’une médiale, l’articulation talo-naviculaire, l’autre latérale, l’articulation calcanéo-cuboïdienne. Vu de sa face dorsale, l’articulation transverse du tarse prend l’aspect d’un « S » italique. L’entorse latérale, calcanéo-cuboïdienne, est de loin la plus fréquente. L’atteinte médiale, talo-naviculaire, est rarement isolée et s’intègre habituellement dans les lésions complètes du médio-pied.

    Articulation talonaviculaire : la tête convexe du talus vient s’emboîter sur la face postérieure concave de l’os naviculaire, sur la facette antéro-médiale de la face dorsale du calcanéus et sur le ligament calcanéo-naviculaire inférieur pour former l’articulation talonaviculaire. Trois ligaments stabilisent : les ligament calcanéo-naviculaires inférieur, supérieur et latéral.

    Articulation calcanéo-cuboïdienne : la surface articulaire du calcanéus, orientée en avant et en dedans, est convexe transversalement et concave dans le sens vertical. La surface articulaire du cuboïde présente une double courbure qui s’oppose à celle de la surface du calcanéus. Elle est concave transversalement et convexe dans le sens vertical, prenant une disposition dite en « selle ». Trois ligaments stabilisent également cette articulation : les ligaments calcanéo-cuboïdiens dorsal, médial et inférieur.

    Un diagnostic délicat en clinique

    Diagnostiquer avec précision ces blessures est complexe, comme en témoigne l'incidence rapportée des entorses médio-tarsiennes. Pour détecter efficacement les entorses aiguës du médio-pied, une grande vigilance clinique est nécessaire.
    • Douleur aiguë : localisée principalement sur la face dorsale ou plantaire du médio-pied. La douleur peut être exacerbée par la mise en charge ou la palpation des ligaments médio-tarsiens.
    • Œdème : un gonflement visible peut apparaître autour de la région médio-tarsienne, souvent associé à une ecchymose.
    • Déficit fonctionnel : les patients peuvent avoir une boiterie ou une incapacité à supporter le poids sur le pied affecté.
    • Sensation d’instabilité : les patients peuvent ressentir une instabilité ou une sensation de « donner » du pied, surtout lors des mouvements de torsion.

    L’examen clinique doit être soigneux après avoir éliminé les autres lésions associées à une entorse de cheville en inversion (diastasis tibio-fibulaire, fracture de l’apophyse du 5ème métatarsien par avulsion) :
    • Palpation douloureuse des structures ligamentaires médio-tarsiennes, notamment le ligament bifurqué et le ligament calcanéo-naviculaire.
    • Test de stress en inversion et éversion : peut reproduire la douleur et parfois révéler une laxité anormale.
    • Diminution de l'amplitude de mouvement du pied en raison de la douleur et de l'œdème.

    Plusieurs autres pathologies peuvent être proches cliniquement

    Les symptômes des entorses médio-tarsiennes peuvent mimer plusieurs autres pathologies, nécessitant une différenciation précise. Les principaux diagnostics différentiels incluent :
    • Entorse de la cheville : l'entorse de la cheville latérale est courante et peut être associée à une douleur et un œdème qui sont similaires, bien que localisés différemment.
    • Fracture du cuboïde : une fracture par avulsion ou une fracture de stress du cuboïde peut présenter des symptômes semblables.
    • Syndrome du cuboïde : désalignement ou subluxation du cuboïde causant une douleur latérale au pied.
    • Fracture du métatarse : si la fracture de l’apophyse du 5ème métatarsien par avulsion ou la fracture diaphyso-métaphysaire sont visibles en radiographie simple, il n’en est pas de même au début avec les fractures de stress qui peuvent se manifester par une douleur insidieuse et progressive.
    • Tendinite des péroniers : la douleur est souvent localisée derrière la malléole latérale et peut irradier vers le médio-pied.
    • Bien que les entorses médio-tarsiennes et les entorses de l'articulation de Lisfranc partagent certaines similitudes, elles diffèrent par leurs localisations anatomiques (articulations tarsométatarsiennes, en particulier la deuxième avec lésion du ligament de Lisfranc, qui relie la base du deuxième métatarsien au cunéiforme médial), mécanismes de blessure (souvent causée par une force axiale appliquée sur un pied en hyperflexion plantaire ou par une torsion violente lors d’accidents de la circulation, de chutes de hauteur ou de traumatismes directs), présentations cliniques (douleurs et œdème au niveau du dos du pied et de la voûte plantaire en regard des articulations tarso-métatarsiennes qui sont douloureuses à la mobilisation) et approches thérapeutiques (chirurgie souvent nécessaire en cas de fractures associées de la base du 2ème métatarse, du 1er cunéiforme ou du cuboïde).

    Importance d’un examen d’imagerie adapté

    Les radiologues doivent se familiariser avec les caractéristiques d'imagerie de l'anatomie normale et pathologique du médio-pied afin d'éviter des conséquences indésirables telles que la douleur et l'instabilité.

    Les radiographies standard de la cheville et du pied peuvent aider à exclure les fractures associées et à évaluer l’alignement articulaire, bien que leur utilité pour diagnostiquer les lésions ligamentaires soit limitée. On analysera en particulier l’alignement des os médio-tarsiens à la recherche d’un décalage ou d’un déplacement des articulations talo-naviculaires et calcanéo-cuboïdes qui peut être un indicateur indirect d'une lésion ligamentaire. On recherchera des fractures associées par avulsion au niveau des insertions ligamentaires, telles que celles du cuboïde ou de l'os naviculaire, peuvent être visibles.

    L'IRM est la modalité de choix pour l'évaluation des lésions ligamentaires du médio-pied. Elle permet une visualisation détaillée des tissus mous et des structures osseuses, offrant des informations précises sur l'intégrité des ligaments et la présence de lésions associées. Un épaississement, une déchirure partielle ou complète du ligament calcanéo-naviculaire (spring ligament) peut être visible, souvent associé à un œdème des tissus mous environnants. Le ligament bifurqué (calcanéo-naviculaire et calcanéo-cuboïde) peut présenter des signes de déchirure ou de rupture, avec une accumulation de liquide autour des ligaments affectés. Il est possible de détecter la présence d'un œdème osseux au niveau des os adjacents à l'articulation lésée (talus, calcanéus, naviculaire, cuboïde) qui peut témoigner d’une entorse sévère. L'IRM peut montrer les variations anatomiques normales, ainsi que les signes spécifiques de blessure comme des hématomes intra-ligamentaires et des anomalies structurelles.

    Une étude a souligné que l’utilisation de l’échographie, en plus de l’IRM, peut améliorer la précision diagnostique, en particulier lorsque l’échographie se concentre sur les ligaments du médio-pied, souvent négligés lors de l’évaluation des entorses de la cheville. L’échographie permet également une évaluation dynamique des ligaments, mettant en évidence une mobilité anormale, ce qui peut révéler des lésions subtiles non visibles sur les images statiques.

    Un traitement qui doit être précoce

    Avec une prise en charge appropriée, la plupart des patients récupèrent pleinement. Toutefois, la vigilance clinique est essentielle pour éviter les complications telles que l’instabilité chronique et la douleur persistante.

    Le traitement des entorses médio-tarsiennes suit des principes similaires à ceux des autres entorses, mais avec des particularités spécifiques en raison de la complexité anatomique de la région.

    • Phase aiguë (24-72 heures) :
    - Repos, glace, compression et élévation (RICE) afin de réduire la douleur et l’œdème.
    - Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) en cure courte pour contrôler la douleur et l’inflammation.

    • Phase subaiguë et rééducation :
    - Immobilisation : utilisation d’une attelle ou d’une botte de marche pour protéger le pied et permettre la cicatrisation ligamentaire.
    - Kinésithérapie : exercices de mobilité, renforcement musculaire, et proprioception pour restaurer la fonction et prévenir les récidives.
    - Orthèses : supports plantaires pour stabiliser le médio-pied et corriger les anomalies biomécaniques.
    - Traitement chirurgical : il est rarement nécessaire, mais peut être envisagé en cas de lésions ligamentaires sévères ou d’instabilité chronique ne répondant pas au traitement conservateur.

    Les entorses médio-tarsiennes, bien que souvent négligées, nécessitent une attention clinique particulière. Une évaluation minutieuse et une gestion appropriée sont cruciales pour prévenir les complications et assurer une récupération optimale chez les athlètes. L'imagerie avancée et la prise en charge multidisciplinaire jouent un rôle clé dans l'optimisation des résultats pour ces patients.

     

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