Cardiologie

Maladie coronaire : l’inflammation cesse d’être la face cachée du risque d’infarctus

De nombreux infarctus du myocarde se produisent sans lésion coronaire sténosante majeure et le rôle de l’inflammation n’est pas suffisamment pris en compte en raison des scores actuels de risque cardiovasculaires qui sont démodés au regard de la mise en évidence récente de cette composante. Un nouveau score ORFAN, prenant en compte cet aspect inflammatoire a été testé dans une cohorte par l’Université d’Oxford, et est proposé afin d’être validé dans une étude randomisée de stratégie thérapeutique.

  • mr.suphachai praserdumrongchai/istock
  • 18 Jun 2024
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    Devant des douleurs thoraciques stables, les recommandations cliniques actuelles favorisent l'utilisation de l'angiographie par tomodensitométrie des coronaires (Angio-scanner) comme examen de première ligne, afin d'identifier les patients nécessitant une revascularisation coronarienne, en raison du risque de maladie coronaire obstructive (CAD). Cependant, cette approche trouve également de nombreux patients sans maladie coronaire obstructive, ainsi que d’autres sans athérome coronarien visible. Ces derniers sont souvent rassurés et renvoyés sans traitement ou suivi spécifique, car leur prise en charge et leur pronostic restent mal définis.

    Pourtant, l'inflammation vasculaire joue un rôle crucial dans l'athérogenèse coronaire et peut déclencher des syndromes coronariens aigus, même en l'absence de maladie coronaire obstructive. L'identification et le traitement des patients ayant des artères coronaires inflammatoires, avec ou sans plaques athéroscléreuses, notamment en l'absence de CAD obstructive, représentent donc un besoin majeur non satisfait en médecine préventive.

    Preuves du rôle de l’inflammation dans la maladie coronaire

    À partir de PubMed, une équipe de chercheurs d’Oxford a relevé 7366 publications avant novembre 2023 pour les termes : “inflammation” AND “coronary artery disease” AND “coronary computed tomography”, dont 155 articles décrivant le phénotypage de l'inflammation coronarienne par angio-scanner coronarien. Les études cliniques et translationnelles ont établi ce rôle de l'inflammation à tous les stades de l'athérogenèse, y compris l'infarctus du myocarde aigu secondaire à une thrombose coronaire sur rupture de plaque. Des méta-analyses récentes de grands essais cliniques (PROMINENT, REDUCE-IT, et STRENGTH) ont montré que l'inflammation vasculaire est un moteur fort des événements cardiovasculaires chez les patients recevant déjà des traitements hypolipidémiants.

    Même chez les patients capables de tolérer un traitement intensif par statines, l'inflammation contribue de manière significative au risque cardiovasculaire. Différents agents anti-inflammatoires ont montré en adjuvant une réduction significative des événements cardiovasculaires (colchicine dans LoDoCo et COLCOT, et le canakinumab, un anti-interleukine-1β, dans CANTOS). La protéine C-réactive ultrasensible peut servir de biomarqueur de l'inflammation systémique, mais ne rend pas compte spécifiquement de l'inflammation artérielle.

    Une nouvelle technique de mesure de l’inflammation

    Jusqu’ici, donc, aucun outil d'imagerie validé et robuste ne permettait de stratifier le risque chez les patients sans maladie coronaire obstructive en angioscanner, bien que ces personnes restent à risque élevé d'événements cardiovasculaires. L'inflammation sous-jacente peut provoquer de tels événements en rendant les plaques non obstructives vulnérables à la rupture.

    Une technologie récemment développée permet la mesure standardisée de l'inflammation coronarienne à partir d’un angio-scanner coronaire de routine, en analysant les changements spatiaux dans le tissu adipeux périvasculaire, induits par les signaux inflammatoires émanant de l'artère adjacente.

    L'indice d'atténuation de la graisse (Fat Attenuation Index ou FAI) et son métrique standardisé, le FAI Score, permettent de quantifier ces changements, offrant ainsi une estimation utile de l'inflammation des artères coronariennes. De plus, un algorithme récemment développé et assisté par l'intelligence artificielle (AI-Risk) intègre le FAI Score de chaque artère coronaire dans un algorithme pronostique, en plus de la charge de plaque athéroscléreuse coronaire et des facteurs de risque traditionnels, pour une estimation améliorée du risque cardiovasculaire.

    Une étude nationale de stratification du risque par angio-scanner coronaire

    L'étude Oxford Risk Factors And Non-invasive imaging (ORFAN) est la plus grande cohorte prospective mondiale de patients ayant eu un angio-scanner coronaire indiqué cliniquement, et suivi pendant plus d'une décennie après leur scanner initial vis-à-vis des événements cardiovasculaires. Cette étude visait à tester le rôle de l'inflammation dans la pathogenèse des événements cardiovasculaires chez les personnes avec et sans athérosclérose visible à l’angioscanner coronaire, et à évaluer la capacité de l'algorithme pronostique AI-Risk à prédire les futurs événements cardiovasculaires et à guider la gestion clinique dans la population ORFAN.

    Dans une cohorte de 40 091 patients consécutifs subissant un angioscanner coronaire pour douleur thoracique stable dans huit hôpitaux britanniques, il y avait presque deux fois plus de décès cardiaques et d'événements cardiaques majeurs (en nombre absolu) parmi le groupe sans maladie coronaire obstructive (un groupe représentant 81,1% de la cohorte), par rapport à ceux avec obstruction, sur une période de suivi médiane de 2,7 ans. Cela souligne le besoin non satisfait de développer des outils pour identifier les patients à risque, notamment parmi ceux sans maladie coronaire obstructive.

    Une analyse de sous-groupe sur 3393 patients avec un suivi plus long (médiane de 7,7 ans) montre que l'inflammation coronarienne évaluée par le FAI Score dans n'importe quelle artère coronaire prédirait les événements cardiovasculaires indésirables et la mortalité cardiaque de manière additive et dose-dépendante pour le nombre d'artères coronariennes enflammées, et est indépendante de la présence ou de la gravité de la maladie coronaire obstructive ou des facteurs de risque traditionnels.

    Des implications majeures en pratique

    Pour mieux comprendre comment la standardisation de l’angio-scanner coronaire pourrait affecter la pratique cardiologique, cette étude a effectué une validation nationale à l'échelle du Royaume-Uni de l'algorithme AI-Risk, qui intègre le FAI Score avec les facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels et la charge de plaque athéroscléreuse coronaire, préalablement entraîné pour capturer le risque absolu d'un événement cardiaque fatal sur une période de 8 ans dans une population américaine. L'algorithme AI-Risk a classé les individus en très haut risque (≥10% de risque à 8 ans pour des événements cardiaques fatals), haut risque (5% à <10%), et faible ou moyen risque (<5%), avec une bonne concordance entre les événements prédits et observés, conduisant à une reclassification significative du risque, notamment parmi ceux sans CAD obstructive sur CCTA.

    Les outils traditionnels d'évaluation du risque ont été construits et calibrés avant l'ère moderne de l'imagerie non invasive, et la dichotomie précédente entre prévention primaire et secondaire pourrait être améliorée en quantifiant avec précision la charge en plaque athéroscléreuse et l'étendue de l'inflammation dans les coronaires à l'aide de l'imagerie non invasive. Les auteurs soulignent le besoin de nouveaux outils qui calibrent le risque à travers le spectre de l'histoire naturelle de la maladie coronaire obstructive, depuis les premiers stades de l'inflammation jusqu'au développement de plaques à haut risque. Le FAI Score et la nouvelle classification AI-Risk utilisent l’angioscanner coronaire de routine pour identifier les personnes à risque élevé en partie à cause de l'inflammation, malgré l'absence de maladie coronarienne obstructive. Cette approche offre une évaluation plus précise du risque cardiovasculaire et pourrait informer la gestion des patients en optimisant les traitements hypolipidémiants actuels ou en allouant des traitements anti-inflammatoires supplémentaires. Ces résultats sont à valider de façon prospective dans des essais randomisés rigoureux de stratégie testant différents traitements anti-inflammatoires ou de réduction du risque cardiovasculaire.

     

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