Jacques Malet, Recherches & Solidarités
Solidarité : 2 Français sur 3 sont engagés dans une action collective
ENTRETIEN - Alors que l'actualité semble indiquer un profond repli de la société française sur elle-même, Jacques Malet revient sur l'état de la solidarité en France.
Triste scène que celle livrée par les riverains du très chic XVIe arrondissement de Paris, où le projet d’un centre d’accueil pour personnes sans-abris a déclenché l’hystérie collective. Même dépit à Marseille, où la Fondation Abbé Pierre doit braver la fronde d’habitants opposés à l’installation de douches publiques pour ceux qui vivent fans la rue. De quoi s’interroger : les Français sont-ils devenus parfaitement égoïstes ?
L’idée, séduisante, se heurte à une donnée : les dons aux associations caritatives sont en hausse (+ 4 % entre 2013 et 2014), selon le dernier baromètre « La Générosité des Français » réalisé par Recherches et Solidarités, un réseau d’universitaires et d’experts de la solidarité. Jacques Malet, son président, revient sur ce paradoxe à la française.
La tendance semble être au repli sur soi… c’est la crise ?
Jacques Malet : C’est sûr que la crise, en distillant un sentiment d’insécurité, n’a pas facilité les choses. Mais en réalité, s’il y a en chaque personne un égoïste profond - c’est ainsi que la nature humain est construite – il y a aussi un acteur, qui a envie de faire des choses de manière collective, dans une forme de solidarité et d’effacement de soi au profit du groupe. Ces deux identités ne cessent de fluctuer au cours de la vie et face à des événements personnels ou collectifs.
On ne peut pas juger les choses si on ne prend pas en compte ces composantes plurielles de l’être humain. Certains sont très majoritairement égoïstes ; d’autres à l’inverse sont trop généreuses – typiquement, celui qui prend par le bras le malvoyant pour lui faire traverser la rue alors qu’il n’en avait pas du tout l’intention ! Mais ces deux extrêmes restent plutôt rares.
La plupart des personnes fluctuent entre ces différents états. Elles expriment un repli quand elles ont l’impression que leur assiette ou leur jardin est menacé - c’est ce qui s’est passé dans le 16e arrondissement. Mais elles manifestent des émotions profondes face à des catastrophes, comme le témoigne l’afflux de dons après un événement marquant, choquant ou traumatisant.
Mais les images de familles de réfugiés tassées dans les camps devraient accentuer l’altruisme, ce qui ne semble pas être le cas ?
Jacques Malet. : On ne peut être solidaire que si l’on est bien dans ses baskets. Et l’on est bien dans ses baskets que si l’on pense à soi. Solidarité et individualisme ne sont pas du tout incompatibles, tous les bénévoles des associations le savent – on agit pour autrui, mais avant tout pour soi.
En l’occurrence, l’exemple vient de là-haut. Nous sommes face à une classe dirigeante – politique, syndicat… – qui manifeste une logique du chacun pour soi, chacun pour sa boutique. Quand quelqu’un de droite est insensible aux idées de gauche parce qu’elles sont de gauche (et vis versa), non seulement on montre qu’on ne réfléchit qu’avec une partie du cerveau, mais en plus, on renforce un climat d’égoïsme. Ce n’est pas très incitatif pour la population.
A cela s’ajoute un discours médiatique très négatif, qui a tendance à se concentrer sur les problèmes, les difficultés. Du coup, beaucoup de personnes sont dans l’expectatif : avant d’être généreux, attendons de voir à quoi ressemblera l’avenir. Les perspectives étaient différentes il y a quelques décennies, après les Trente Glorieuse ; la population était beaucoup moins craintive.
Alors il faut attendre des jours meilleurs pour être généreux… ?
Jacques Malet. En France, une personne sur quatre donne de son temps gratuitement à une association. Par ailleurs, une autre personne sur quatre (mais peut-être est-ce la même ?) donne de l’argent à ces associations, et ces dons sont en hausse. On peut dire que 25 % des Français sont durablement solidaires, d’une manière ou d’une autre.
Dans nos travaux, nous avons montré que deux Français sur trois sont engagés dans une projet collectif et solidaire – auprès d’une association, d’une mairie, d’une église, d’un syndicat, d’une école… Il s’agit d’un formidable levier. Nous avons signé une tribune pour interpeller les hommes politiques sur cette attente très intense au sein de la population, qui exige un discours sincère, courageux et constructif. Car tout ça, ce n’est rien d’autre que de la solidarité ; in fine, l’objectif, c’est l’intérêt commun, la cohésion sociale, la réussite de toute une société. En fait, en France, il y a un trésor qui dort.