Première en Suisse
Antibiorésistance : un patient guéri par des virus tueurs de bactéries
Un patient de 41 ans atteint d'une infection pulmonaire récidivante résistante aux antibiotiques a été guéri grâce à la phagothérapie, un traitement utilisant des virus prédateurs des bactéries.
L'antibiorésistance est un problème de santé publique important. Et la solution pourrait venir de virus mangeurs de bactéries, inoffensifs pour les humains, appelés phages (ou bactériophages). Des médecins suisses ont eu l'idée de les utiliser pour traiter un patient atteint d'une infection pulmonaire récidivante et résistante aux antibiotiques. Cette pratique, connue sous le terme de phagothérapie, n'est pas véritablement une nouveauté. Si elle avait été délaissée par la plupart des médecins occidentaux dans les années 60, elle est toujours utilisée dans les pays de l'Europe de l'Est, et pourrait être une réponse à l'antiorésistance.
Phages : un traitement de dernière chance
José-Maria Vidal est atteint du syndrome de Kartagener. Cette maladie génétique qui affecte les voies respiratoires et empêche l’expulsion du mucus par les cellules ciliées, favorise le développement d'infections pulmonaires récidivantes. Les surinfections sont devenues plus nombreuses chez le patient lorsque qu'un accident de VTT l'a rendu tétraplégique à 36 ans. C'est ainsi qu'une pneumonie l'a conduit à être hospitalisé entre décembre 2019 et mai 2020 aux Hôpitaux universitaires de Genève.
Malgré un traitement antibiotique par intraveineuse en continu, aucune amélioration n'était observée. Face à cette situation désespérée, les médecins ont proposé au quadragénaire d'essayer une phagothérapie.
"Lorsque l’on essayait d’arrêter l’antibiothérapie, je faisais des pics de fièvre à 40 qui ne redescendaient pas, mes poumons s’engorgeaient de mucus que je n’arrivais pas à expectorer, j’étouffais. On a testé ce protocole (antibiotiques, administrés par intraveineuse en continu, 24h/24, 7j/7, NDLR) durant un ou deux mois, mais rien ne marchait... je n’avais plus la force de me battre. C’est à ce moment-là que l’on m’a proposé d’essayer un traitement à base de phage", s'est souvenu le patient âgé aujourd'hui de 45 ans, dans les pages du journal suisse Le Temps.Infection antiorésistante : la recherche du phage le plus adapté
Pour que la phagothérapie soit efficace, il est essentiel de déterminer quel phage a la capacité de détruire la bactérie en cause dans l'infection récidivante. Dans le cas de José-Maria Vidal, la bactérie responsable était Pseudomonas aeruginosa. Les médecins ont donc entrepris de chercher le bactériophage le plus adapté dans les banques de phages des laboratoires scientifiques du monde entier. Finalement, il a été identifié et trouvé à l'Université de Yale aux États-Unis.
"L’équipe américaine nous a mis ce phage à disposition sans contrepartie et nous avons donc pu commencer le traitement en l’administrant par aérosols, tout en continuant les antibiotiques. Pour être honnête, je n’étais pas totalement rassuré au début, mais après trois jours le patient respirait déjà nettement mieux, au bout de quatre il ne produisait plus de mucus. Le résultat a été impressionnant, et hormis une petite fièvre le premier jour, aucun autre effet secondaire n’a été signalé et nous avons rapidement pu diminuer la prise d’antibiotiques intraveineux à un jour sur deux", a expliqué le professeur Christian Van Delden, médecin adjoint agrégé au service des maladies infectieuses des HUG et auteur de la recherche au journal Le Temps.Un second cycle de traitement par phages a été réalisé un an et demi plus tard lors d'un retour de l'infection. Il a permis au patient de continuer la prise d'antibiotiques uniquement sous la forme d'aérosols à domicile.
Phagothérapie : un long parcours avant le feu vert des agences réglementaires
Bien que les résultats de cette étude de cas publiée dans la revue Nature Communications soient prometteurs, la phagothérapie doit encore franchir de nombreuses étapes avant de devenir un traitement couramment proposé dans les hôpitaux occidentaux. Les agences réglementaires européennes et américaines tardent en effet à accorder les autorisations nécessaires pour l'utilisation de cette méthode. La raison ? Pour être efficace, ce type de traitement doit être individualisé pour chaque patient ce qui complique la mise en place d'essais randomisés.
"Nous espérons que notre publication rassure les agences sanitaires sur l’efficacité et l’innocuité de la phagothérapie, facilitant ainsi le développement de cette stratégique à plus large échelle", a confié le Pr Christian Van Delden à la revue suisse.