Cardiologie

Maladie thromboembolique veineuse : les AOD à dose réduite sur le long cours

Dans une population à haut risque de récidive de thromboembolie veineuse (TEV), la dose réduite d’anticoagulant oral direct (AOD) n’a pas démontré la non-infériorité vis-à-vis de la pleine dose pour prévenir les récidives. Toutefois, le taux de récidives reste faible dans les deux groupes et la dose réduite diminue nettement le risque hémorragique.

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  • 07 Mar 2025
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    La maladie thromboembolique veineuse (MTEV), regroupant la thrombose veineuse profonde (TVP) proximale et l’embolie pulmonaire (EP), constitue l’une des principales causes de morbidité et de mortalité évitables. Après un premier épisode aigu, la durée minimale d’anticoagulation recommandée est de 3 mois. Chez les patients à haut risque de récidive (ex. TEV non provoquée, TEV récidivante, ou facteurs de risque persistants), l’extension du traitement anticoagulant au-delà de 6 à 12 mois est souvent proposée. Cependant, prolonger un traitement à pleine dose expose à un risque hémorragique linéairement croissant.

    Des essais antérieurs ayant testé des schémas posologiques réduits d’antivitamines K n’avaient pas abouti à un équilibre satisfaisant entre efficacité et sécurité. En revanche, deux études (AMPLIFY-EXT et EINSTEIN-CHOICE) ont exploré la possibilité de maintenir la protection anticoagulante par un AOD à dose réduite, avec une efficacité apparente similaire à la pleine dose, et une meilleure sécurité comparativement au placebo ou à l’aspirine. Néanmoins, ces travaux n’étaient pas spécifiquement conçus ou suffisamment puissants pour comparer directement la dose réduite et la dose complète chez les patients nécessitant formellement un traitement prolongé.

    RENOVE : une étude de non-infériorité sur le long cours

    C’est dans ce contexte que l’essai RENOVE a été mis en place, avec pour objectif d’évaluer la non-infériorité de la dose réduite d’AOD (apixaban 2,5 mg x 2/j ou rivaroxaban 10 mg/j) par rapport à la dose complète (apixaban 5 mg x 2/j ou rivaroxaban 20 mg/j), en termes de prévention des récidives symptomatiques de TEV chez des patients déjà traités durant 6 à 24 mois à pleine dose et qui nécessitent la prolongation de leur traitement. Entre novembre 2017 et juillet 2022, 2768 patients ont été inclus et randomisés (1:1) entre la dose réduite (n=1383) et la dose complète (n=1385). La majorité avaient des embolies pulmonaires (souvent non provoquées) et un haut risque de récidive.

    Après un suivi médian de 37 mois, selon les résultats publiés dans The Lancet, le critère principal (rechute de TEV) s’est produit chez 19 patients (2,2 % à 5 ans) dans le groupe dose réduite, versus 15 patients (1,8 % à 5 ans) dans le groupe dose complète, correspondant à un hazard ratio (HR) ajusté de 1,32 (IC à 95 % : 0,67–2,60), sans démonstration de la non-infériorité (p=0,23). En parallèle, la survenue d’hémorragies majeures ou cliniquement pertinentes a nettement diminué avec la dose réduite : HR=0,61 (IC à 95 % : 0,48–0,79) et une incidence cumulée à 5 ans de 9,9 % contre 15,2 % sous dose complète.

    Réduction de tous les types d’hémorragies

    Les analyses secondaires confirment que la dose réduite s’associe à une baisse significative du risque hémorragique, qu’il s’agisse d’hémorragies majeures ou mineures cliniquement pertinentes. Le bénéfice en termes de « net clinical benefit » (TEV récurrente ou saignement cliniquement pertinent) se traduit par une réduction de 33%. Les taux de décès et d’événements artériels (accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde) demeurent faibles dans les deux groupes.

    Malgré l’absence de démonstration statistique formelle de la non-infériorité sur la récidive thromboembolique, les auteurs soulignent que la faiblesse des taux de récidive dans chaque bras (environ 2% à 5 ans), suggérant une efficacité globalement élevée, potentiellement liée à la bonne observance du traitement AOD dans cette étude randomisée avec suivi optimisé. Les analyses en sous-groupes, bien que limitées par une puissance statistique restreinte, n’identifient pas de population où l’option « dose réduite » serait clairement délétère, même si la prudence reste de mise chez certains profils (obésité, EP à haut risque).

    Sur le plan de la tolérance, le protocole ouvert pouvait soulever la crainte d’un biais de déclaration, mais les événements critiques (récidives, saignements majeurs) ont été validés par un comité indépendant en aveugle. Globalement, le taux d’effets indésirables, toutes causes confondues, est similaire, avec toutefois moins d’événements hémorragiques sous dose réduite.

    Un essai prospectif, randomisé, sur 3 ans

    L’essai RENOVE est un essai prospectif, multicentrique, randomisé, de phase IV, en ouvert mais avec évaluation des critères de jugement en aveugle, mené dans 47 hôpitaux français. Les patients devaient avoir une TEV aiguë symptomatique (EP ou TVP proximale) et avoir reçu 6 à 24 mois d’anticoagulation à pleine dose, avec une indication formelle de maintien prolongé. Le critère principal combiné (survenue d’une récidive de TEV symptomatique) était évalué selon un suivi médian de plus de 3 ans, soit l’une des plus longues durées d’observation dans ce contexte. La méthode de randomisation centralisée et la validation en aveugle des événements confèrent une solide fiabilité aux résultats. Une limite notable tient au fait que, la non-infériorité n’étant pas atteinte, on ne peut totalement exclure un léger sur-risque de récidive à la dose réduite, d’autant que les intervalles de confiance sont larges.

    Selon les auteurs, ces données invitent à un arbitrage personnalisé. La dose réduite diminue considérablement le risque hémorragique tout en conservant un taux de récidive thromboembolique globalement très bas, mais l’absence de confirmation statistique de la non-infériorité impose une prudence chez certains profils à risque très élevé. Les recommandations futures pourraient être amenées à proposer un schéma dose réduite comme alternative pour nombre de patients nécessitant un traitement prolongé, en particulier ceux qui ont un risque hémorragique plus élevé ou une adhérence satisfaisante. Il reste à préciser si certaines sous-populations, par exemple les patients obèses, ou porteurs de certaines comorbidités, devraient rester à la pleine dose.

    En conclusion, l’essai RENOVE souligne la pertinence d’un schéma d’AOD à dose réduite chez les patients justifiant une anticoagulation prolongée, avec un risque hémorragique significativement moindre et un taux de récidive de TEV restant faible. Toutefois, l’objectif de non-infériorité n’a pas été atteint, suggérant que, dans certaines situations, la pleine dose reste préférable. Des études complémentaires seront nécessaires pour affiner l’identification des profils répondant le mieux à une réduction de dose, et pour mieux cerner les éventuels risques dans certaines sous-populations.

     

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    JDF

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