Infectiologie

Grippe aviaire H5N1 : on se rapproche pas à pas de la transmission inter-humaine

Selon la compilation de données récentes sur le virus influenza H5N1 en Amérique du Nord, il apparaît que celui-ci se rapproche de plus en plus d’une forme compatible avec un virus épidémique. Selon deux experts du National Institute of Health, nous ne sommes pas dénués de moyens de défense mais une surveillance génotypique plus détaillée doit être apportée.

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  • 02 Jan 2025
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    Le virus influenza aviaire hautement pathogène A(H5N1) a été pour la première fois identifié en Écosse en 1997 dans un élevage de volailles, marquant le début d’une diffusion à l’échelle mondiale facilitée par les oiseaux migrateurs. Désormais, la maladie touche tous les continents, avec une nouvelle souche (clade 2.3.4.4b) apparue en 2021, responsable d’infections mortelles chez les volailles et certains mammifères marins et terrestres. Plus récemment, début 2024, une souche de ce virus « highly pathogenic avian influenza » (HPAI) a été détectée pour la première fois chez des vaches laitières souffrant de mammite au Texas. L’infection bovine s’est rapidement étendue aux États-Unis, affectant plus de 875 troupeaux répartis dans 16 États. Il s’agit principalement de virus de génotype B3.13, tandis que la majorité des flambées chez les oiseaux sauvages et les volailles sont liées au génotype D1.1.

    Deux études récentes menées aux États-Unis et au Canada s’intéressent plus particulièrement aux cas humains d’infection par l’A(H5N1) dans ce contexte en pleine évolution. Dans l’étude américaine, les auteurs rapportent une série de 46 patients infectés par le virus A(H5N1). Parmi eux, 20 avaient été exposés à la volaille, 25 aux vaches laitières, et 1 patient n’avait pas d’exposition clairement définie. Chez les sujets en contact professionnel avec des animaux infectés, le port d’équipements de protection individuelle (EPI) n’était pas systématique. Les manifestations cliniques les plus fréquentes étaient la conjonctivite, suivie par la fièvre et, plus rarement, des symptômes respiratoires modérés. Tous les patients ont néanmoins guéri. Un seul patient, dont la source d’exposition reste inconnue, a dû être hospitalisé, mais pour un motif sans lien direct avec une atteinte respiratoire. Les analyses génétiques ont majoritairement identifié un virus de génotype B3.13, à l’exception de quatre cas liés à la volaille, présentant le génotype D1.1.

    Dans l’étude canadienne, il est rapporté le cas d’une patiente âgée de 13 ans, souffrant d’un léger asthme et d’obésité, qui a initialement eu une conjonctivite et de la fièvre, avant de développer une insuffisance respiratoire nécessitant une ventilation mécanique et une oxygénation extracorporelle (ECMO veino-veineuse). Le traitement (oseltamivir, amantadine et baloxavir) a permis sa guérison. Le génotype isolé était D1.1 et, huit jours après le début des symptômes, on a détecté trois mutations (E627K dans PB2, E186D et Q222H dans l’hémagglutinine H5) pouvant favoriser la virulence et l’adaptation humaine. L’origine de ces mutations (présentes initialement ou apparues au cours de l’infection) n’est pas encore établie.

    Au-delà de la description de ces deux cohortes de patients, un éditorial associé pointe quatre actions nécessaires à la bonne gestion de la menace H5N1 et la prévention d’une éventuelle transmission humaine élargie.

    Le premier enseignement est l’importance cruciale de la coopération entre les secteurs de la médecine humaine et vétérinaire, de la santé publique, des autorités professionnelles (notamment agricoles) et des soignants. L’approche « One Health » favorise la détection précoce de cas et le partage d’informations épidémiologiques. Aux États-Unis, un protocole standardisé de surveillance pour les souches de grippe non saisonnières a permis d’identifier efficacement les patients atteints de l’influenza A(H5N1). Cette vigilance dépend aussi de la confiance établie avec les populations exposées, qui doivent consulter rapidement en cas de symptômes, même bénins (ex. conjonctivite).

    Le cas canadien, avec des mutations associées à une éventuelle adaptation humaine, rappelle l’urgence de surveiller activement l’émergence de variants susceptibles de faciliter une transmission interhumaine. Or, si les souches animales sont régulièrement séquencées, il manque souvent des métadonnées indispensables (origine géographique précise, date de prélèvement), entravant l’analyse phylogénétique et la compréhension fine des voies de dissémination. Une veille génétique plus complète, couplée à ces informations, est essentielle pour détecter rapidement toute mutation potentiellement critique (comme celles favorisant l’affinité pour l’épithélium respiratoire humain).

    Troisième point clé, la poursuite du développement et de l’évaluation des vaccins A(H5N1) reste cruciale. Les essais montrent une neutralisation satisfaisante des souches circulantes, et des vaccins nécessitant deux doses avec adjuvant pourraient s’avérer indispensables en cas de pandémie. Parallèlement, des vaccins innovants, dont des vaccins à ARN messager ciblant un large spectre de virus grippaux, sont en cours d’étude. Concernant les traitements antiviraux, les souches A(H5N1) demeurent sensibles aux inhibiteurs de la neuraminidase, aux adamantanes et au baloxavir marboxil, bien que la résistance puisse survenir chez les patients hospitalisés ou traités de manière prolongée. Les autorités sanitaires recommandent donc souvent l’association de deux agents antiviraux chez les cas graves pour limiter l’apparition de résistances.

    Enfin, l’importance des précautions visant à prévenir l’infection ne doit pas être négligée. L’usage correct et régulier d’équipements de protection individuelle dans les environnements agricoles ou lors de la manipulation d’animaux malades demeure prioritaire. Les conditions de travail (élevages non climatisés, présence de poussière, utilisation de gros ventilateurs) compliquent toutefois l’application stricte de ces mesures. L’éducation des travailleurs et des communautés rurales, ainsi que la mise à disposition d’équipements de protection appropriés, constituent donc un axe majeur de prévention.

    Au final, ces deux études illustrent à la fois la variabilité clinique des infections à H5N1 et les difficultés persistantes à anticiper le potentiel pandémique de ce virus. Les cas rapportés, bien qu’encourageants en termes de taux de guérison, laissent subsister de nombreuses inconnues quant à l’éventuelle émergence d’une souche plus transmissible à l’homme. Les autorités sanitaires, comme les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) aux États-Unis, considèrent que le risque demeure faible pour la majorité de la population. Néanmoins, seule une surveillance continue, associée à un effort collectif de recherche, de mise au point de vaccins et de formation des professionnels, permettra de limiter l’impact sanitaire d’un virus qui a déjà prouvé sa capacité à franchir les barrières d’espèce et à se propager sur plusieurs continents.

     

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