Oto-rhino-laryngologie

Cannabis et cancers ORL : une association largement sous-estimée

La consommation excessive de cannabis pourrait être associée à une augmentation du risque de cancers des voies aérodigestives supérieures (bouche, oropharynx, larynx). Des données multicentriques plaident en ce sens et soulignent l’importance d’une meilleure prévention et d’études approfondies sur la consommation de cannabis.

  • Alina Rosanova/istock
  • 26 Déc 2024
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    Le cancer des voies aérodigestives supérieures, incluant les localisations buccale, pharyngée et laryngée, est un problème de santé publique majeur avec plus de 870 000 nouveaux cas dans le monde en 2020. Historiquement, il est fortement lié à la consommation de tabac et d’alcool. Une hausse relative des cancers ORL liés au papillomavirus (HPV) a également été observée. Parmi les facteurs de risque potentiellement modifiables, la consommation de tabac reste prépondérante, et celle de cannabis a été envisagée comme un risque additionnel, compte tenu des similarités carcinogéniques entre la fumée de tabac et celle de cannabis.

    Dans une étude, publiée dans The JAMA Otolaryngology-Head & Neck Surgery, et réalisée à partir de la base de données électronique TriNetX (64 centres, plus de 20 ans de suivi, plus de 4 millions de patients inclus), les chercheurs ont comparé un groupe de 116 076 patients avec un trouble lié à l’usage de cannabis (CUD, Cannabis Use Disorder) à un groupe de 3 985 286 individus ne présentant pas ce trouble.

    Après ajustement par appariement sur l’âge, le sexe et la consommation d’alcool et de tabac, le risque relatif (RR) d’être diagnostiqué d’un cancer ORL (toutes localisations confondues) est significativement plus élevé dans le groupe cannabis (RR : 3,49 ; IC95% : 2,78-4,39). Les localisations spécifiques les plus concernées sont la cavité buccale (RR : 2,51 ; IC95% : 1,81-3,47), l’oropharynx (RR : 4,90 ; IC95% : 2,99-8,02) et le larynx (RR : 8,39 ; IC95% : 4,72-14,90). La force de cette association persiste à la fois chez les sujets de moins de 60 ans et ceux de 60 ans et plus.

    Une association forte entre cannabis et cancers ORL

    Lors de l’analyse en sous-groupes, y compris après exclusion des cas de cancer diagnostiqués dans l’année suivant le diagnostic de CUD (pour limiter les biais chronologiques), l’association semble même se renforcer. En revanche, lorsque l’on porte le délai d’analyse à plus de 5 ans après le diagnostic de CUD, la magnitude du risque diminue, possiblement en raison d’un effectif réduit ou d’éventuelles modifications de consommation dans le temps. À noter que la seule localisation où l’association n’a pas été retrouvée de façon robuste est le carrefour hypopharyngé, peut-être par manque de puissance statistique étant donné la rareté de ce type de cancer.

    Les données concernant la tolérance globale ne constituent pas l’objectif principal de l’étude, mais plusieurs publications précédentes ont souligné que la consommation chronique de cannabis peut être associée à des troubles psychiatriques (risques psychotiques, troubles cognitifs) et à un potentiel addictif non négligeable. Par ailleurs, un bénéfice a aussi été décrit chez des patients atteints de cancer, notamment sur la réduction de la douleur et des nausées. Ces éléments soulignent la nécessité de peser les risques et bénéfices de l’usage du cannabis, particulièrement lorsqu’il est associé à d’autres facteurs de risque carcinogènes comme l’alcool et le tabac.

    Une très large base de données américaine

    Les résultats sont issus de TriNetX, un réseau fédéré d’établissements de santé agrégeant des dossiers médicaux électroniques anonymisés. Cette méthodologie de big data permet une large représentativité de la population, améliorant la puissance statistique pour évaluer le lien potentiel entre consommation de cannabis et cancers ORL. Cependant, il existe plusieurs limites inhérentes : (1) la qualité hétérogène de la codification des diagnostics (y compris CUD) ; (2) l’absence d’évaluation précise des doses et des modes de consommation ; (3) le risque d’erreurs de classification, certains patients non déclarés utilisateurs pouvant être considérés à tort comme non-consommateurs. Malgré ces écueils, la taille de l’échantillon et l’ajustement par appariement sur des facteurs clés renforcent la solidité des résultats.

    En termes d’applications cliniques, ces données incitent à une vigilance accrue quant à la consommation de cannabis chez les patients, notamment ceux déjà exposés à d’autres facteurs de risque (tabac, alcool). Les professionnels de santé devraient inclure le dépistage de l’usage de cannabis dans leur pratique, en particulier dans les consultations de prévention et de suivi ORL. Du point de vue de la recherche, ces résultats soulignent l’importance de mener des études prospectives visant à préciser l’impact des différentes formes de consommation de cannabis (fumée, vaporisation, ingestion) et à étudier plus en détail les mécanismes physiopathologiques, qu’ils soient liés aux propriétés cancérigènes de la fumée ou aux voies inflammatoires activées par les cannabinoïdes. À terme, une meilleure connaissance du rôle du cannabis dans l’étiologie des cancers ORL permettra d’optimiser les stratégies de prévention et de dépistage, et d’éclairer les décideurs sur les évolutions législatives encadrant son usage médical et récréatif.

     

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