Infectiologie
Covid-19 et surmortalité : impact crucial des interventions précoces et de la vaccination
Lors de la pandémie de Covid-19, la comparaison entre les différents pays européens fait apparaître que la mise en œuvre rapide des interventions non pharmaceutiques, comme le confinement, et le déploiement accéléré des vaccins pour les populations les plus à risque, ont permis de limiter la surmortalité liée à la Covid-19. Des facteurs structurels, comme la confiance dans les autorités et les inégalités sociales, ont également influé sur les résultats observés.
- Olivier DJIANN/istock
La pandémie de Covid-19 a provoqué une surmortalité considérable à travers le monde, avec près de 14,9 millions de décès en excès estimés fin 2021, dont environ 750 000 en Europe de l’Ouest. Pourtant, les disparités de taux de mortalités entre les pays européens restent marquées, même en tenant compte de l’âge de la population. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ces contrastes, notamment les délais différents d’application des politiques sanitaires et des mesures de santé publique, ainsi que des différences structurelles (proximité avec le foyer initial, systèmes de soins, densité de population, indicateurs socio-économiques).
Dans cette étude de l’institut Pasteur, publiée dans BMC Global and Public Health, les analyses ont porté sur 13 pays d’Europe de l’Ouest (Belgique, Danemark, France, Allemagne, Irlande, Italie, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Espagne, Suède, Suisse, Royaume-Uni). Ces travaux fondamentaux permettent d'évaluer précisément l'impact des mesures non-pharmaceutiques prises par les autorités de ces 13 pays d'Europe de l'Ouest au cours des premières années d'une pandémie, stratifiées par « époques » de dominance des variants majeurs du SARS-CoV-2 (Wuhan / Alpha / Delta+Omicron). Les analyses ont également été effectuées par classe d'âge et par sexe.
Les résultats montrent d’abord une très grande variabilité lors de la première vague (début 2020) et au moment de l’émergence du variant Alpha (fin 2020 – début 2021). En tenant compte du fait que les foyers majeurs sont apparus en Italie, en Espagne, en France et au Royaume-Uni, les pays qui ont adopté rapidement des mesures de restriction sociale ont sauvé davantage de vies tout en préservant mieux leur économie. Le Danemark, par exemple, a eu une surmortalité relativement faible lors de ces premières phases grâce à une mise en œuvre précoce des mesures restrictives, à la différence de la Suède pourtant toute proche. À partir de juillet 2021, les différences entre pays se sont estompées, suggérant un rôle déterminant de la disponibilité et de l’efficacité des vaccins, ainsi que du niveau de mise en place des mesures non pharmaceutiques.
Le confinement précoce a sauvé des vies avec un moindre impact économique
Lors de l’analyse en sous-groupes, plusieurs facteurs se sont révélés associés à une moindre surmortalité. Premièrement, une corrélation positive est mise en évidence entre l’instauration rapide de interventions non pharmaceutiques (confinement) lorsque les hospitalisations restaient encore faibles et la réduction de la surmortalité (coefficient de corrélation ρ=0,65rho = 0{,}65ρ=0,65, p = 0,03). Lors de la première vague, les pays scandinaves (Danemark, Norvège) et l’Allemagne ont connu les plus faibles surmortalités, avec moins de 1 décès supplémentaire pour 1 000 habitants. Ils avaient instauré leurs mesures de confinement alors que les niveaux d’hospitalisations restaient faibles. Le Royaume-Uni, qui a confiné tardivement le 24 mars 2020, a également connu une surmortalité élevée, bien qu’il n’ait pas fourni de données hospitalières pour cette période. La Suède, souvent citée en exemple par les négationnistes de tout bord, et qui a opté pour des recommandations plutôt que des mesures contraignantes, a initialement fait nettement moins bien que ses voisins scandinaves (Norvège, Danemark), avant d’améliorer ses taux de mortalité secondairement avec l’ajustement des mesures de santé publique. À l’issue des deux ans et demi, la Suède se situe dans la moyenne des pays analysés.
Deuxièmement, la rapidité du déploiement vaccinal chez les populations âgées a joué un rôle protecteur majeur (ρ=−0,76rho = -0{,}76ρ=−0,76, p = 0,002). De plus, les pays ayant des indicateurs de confiance gouvernementale élevés (ρ=−0,77rho = -0{,}77ρ=−0,77, p = 0,002) et un faible taux de population exposée à la pauvreté (ρ=0,55rho = 0{,}55ρ=0,55, p = 0,05) ont significativement mieux contrôlé leur mortalité excédentaire. Ainsi, entre février et mai 2021, la France et l’Italie ont peiné à vacciner les plus de 80 ans, ce qui pourrait expliquer en partie leurs excès de mortalité élevés au printemps 2021. En revanche, les pays scandinaves, mieux organisés, ont nettement limité l’impact des vagues suivantes grâce à la vaccination. Au cours de la phase Delta + Omicron, la Norvège et la Suède dont les autorités ont voulu rattraper les erreurs faites depuis le début ont réussi à mobiliser leur population pour le rappel vaccinal permettant d'éviter un nouveau pic de surmortalité lié aux retards de déploiement comme en Allemagne et en Suisse.
Enfin, malgré la crainte de pertes économiques liées à des restrictions sociales sévères, les données suggèrent que les pays ayant anticipé et renforcé tôt leurs mesures préventives n’ont pas subi de conséquences financières plus lourdes en 2020 (ρ=−0,55rho = -0{,}55ρ=−0,55, p = 0,08). L’étude révèle ainsi un lien entre la rapidité des mesures de restriction et les pertes économiques : les pays ayant agi tôt, comme le Danemark, l’Allemagne et la Norvège, ont enregistré des baisses limitées de leur PIB en 2020 (moins de 5 %). À l’inverse, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne, où les mesures sont intervenues tardivement, ont vu leur PIB chuter d’environ 10 %. Les auteurs soulignent ainsi que ces résultats réfutent l’idée selon laquelle les restrictions sociales nuisent à l’économie, affirmant qu’une réaction rapide est bénéfique sur les deux fronts. Ces éléments soulignent l’importance à la fois d’une gestion sanitaire proactive et de politiques sociales équitables.
Une étude importante pour la réponse aux futures pandémies
Les données présentées proviennent d’un modèle qui s’appuie sur une période de référence pré-pandémique de dix ans (2010–2019), afin d’intégrer les tendances de fond en matière de mortalité et d’éviter de biaiser les estimations par des années atypiques, telles que 2015 qui avait connu un pic de décès lié à une forte épidémie grippale et à la canicule estivale. Les taux de mortalité attendus ont été ajustés sur l’âge et le sexe à l’aide de la population standard européenne de 2013, minimisant ainsi l’influence d’éventuelles différences démographiques entre pays. Bien que cette approche offre une bonne comparabilité, il convient de garder à l’esprit les limites classiques des analyses écologiques : elles n’identifient pas précisément les mécanismes causaux et peuvent être influencées par des facteurs confondants non mesurés.
Sur le plan de la pratique médicale, ces résultats plaident pour la mise en place rapide d’actions de santé publique lorsque la charge hospitalière commence à augmenter. Une stratégie proactive, avec le déploiement ciblé des vaccins chez les plus fragiles, contribue non seulement à diminuer la mortalité excédentaire, mais pourrait aussi limiter l’impact économique global lié à la crise sanitaire. À plus long terme, des recherches plus granulaires (par exemple à l’échelle régionale ou départementale) seront nécessaires pour préciser l’influence de facteurs tels que la gestion des établissements médico-sociaux, la densité de population ou encore la couverture vaccinale réelle. Ces analyses offriront des éléments clés afin d’adapter les plans de préparation aux futures pandémies, en intégrant notamment l’équité sociale et la confiance du public dans les mesures proposées.
Pourtante risque pandémique n’est pas mieux maîtrisé à ce jour
A posteriori, la France, qui a été très vite au centre du maelström pandémique, n’a pas fait si mal initialement, sauf pour les personnes âgées de plus de 80 ans. Par contre, les taux de mortalité se sont dégradés ultérieurement, au fil des vagues des liées aux différents sous-variants et de l’érosion de la confiance de la population dans les institutions.
L’évaluation de la surmortalité liée à la Covid-19 en Europe de l’Ouest met en évidence l’importance cruciale d’interventions non pharmaceutiques précoces, d’une vaccination rapide des populations vulnérables et d’un soutien institutionnel fort pour limiter les conséquences sanitaires et économiques. Les pays qui ont des inégalités sociales moindres et une confiance élevée dans leurs gouvernements semblent avoir mieux maîtrisé la mortalité excédentaire, rappelant la nécessité d’inclure la réduction des inégalités et la cohésion sociale dans les stratégies de préparation aux crises sanitaires à venir.
Ce point est essentiel car, l’étude souligne que peu de progrès ont été réalisés pour prévenir de futures pandémies. En particulier, les pratiques toujours risquées, comme le trafic d’animaux sauvages sur les marchés chinois ou l’élevage intensif, persistent aujourd’hui et augmentent les risques de transmission des virus à l’homme. La diffusion chez les mammifères et l’homme du virus H5N1 de la grippe aviaire en témoigne.