Rhumatologie
Syndrome de Cyriax : des douleurs pseudo-abdominales du grill costal antéro-inférieur
Le « syndrome de la côte glissante », ou syndrome de Cyriax, est une subluxation des fausses côtes (8e, 9e et 10e) qui peut être responsable de douleurs thoraciques antérieurs ou pseudo-digestives, d’un des hypochondres, avec, à la clé, un retard diagnostic fréquent.
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Le syndrome de Cyriax, ou syndrome de la côte glissante (« slipping rib »), est une affection mal connue des cliniciens et décrite pour la première fois en 1919 par Cyriax, un chirurgien orthopédiste anglais.
Il s’agit d’une douleur qui siège au niveau du bord antéro-inférieur d’un des côtés de la cage thoracique (8e, 9e ou 10e côtes = fausses côtes), déclenchée lors de l'exécution de mouvements des membres supérieurs, d’une toux, d'un éternuement ou d’une antéflexion du tronc. Un claquement est parfois ressenti par le patient, lorsque le cartilage luxé reprend sa place.
Il s’agit d’une douleur initialement aiguë, qui peut devenir chronique en cas de retard diagnostique. Lors du diagnostic, elle évolue souvent depuis plusieurs mois, entre 6 et 40 mois selon les séries. D’autres appellations sont en usage : côte claquante (« clicking rib »), syndrome de l’extrémité costale (« rib tip syndrome ») ou encore syndrome de la côte douloureuse (« painful rib syndrome »).
Une compression dynamique d’un nerf intercostal
La douleur est liée à une compression ou une irritation d’un nerf intercostal secondaire à une subluxation d’une des fausses côtes (8e, 9e ou 10e) par rapport au cartilage des extrémités antérieures.
Les cartilages costaux des 7 premières côtes s'articulent directement avec le sternum alors que pour les 3 dernières vraies côtes (8e, 9e ou 10e), ce cartilage costal s'articule avec le cartilage costal du dessus jusqu'à celui de la 7e côte. Chacune se termine par un segment cartilagineux qui s’articule sur le cartilage sus-jacent par une articulation chondro-chondrale constituée de deux petites facettes oblongues qui se font face. Chaque articulation comporte une capsule fibreuse doublée d’une membrane synoviale et renforcée latéralement et médialement par un ligament inter-chondral. Ces articulations donnent à la cage thoracique un surcroît de mobilité mais constituent une zone de fragilité.
La déchirure de l’une de ces membranes va donner à la côte concernée une mobilité anormale à type de subluxation, exceptionnellement vers l’avant, vers l’arrière le plus souvent. Ceci coince les tissus mous sous la côte supérieure, dont le nerf intercostal (7e, 8e et 9e nerf intercostal), à l'origine d’une douleur abdominale projettée au dessus de l'ombilic et dans l'hypochondre (les nerfs intercostaux 7 à 9 innervent l’abdomen au-dessus de l’ombilic alors que T10, qui n'est pas concerné par le Cyriax, innerve l’ombilic). Ce déplacement, ou sa réduction brusque, s’accompagne parfois d’un claquement très évocateur et bien sûr d’une douleur. Les causes d’une telle déchirure sont en principe traumatiques : choc direct unique ou pressions répétées sur la côte (port de charges, travail penché en avant contre un rebord de table, etc.) ou encore mouvement soudain de torsion du tronc (tennis, golf…).
La plupart des données épidémiologiques dont nous disposons sont contradictoires et surtout anecdotiques, mais l’incidence de ce syndrome lors d’une consultation pour douleurs abdominales chroniques serait de 1 à 1,5% dans les séries. Il existerait un sex-ratio de 2 à 3 en faveur des femmes et avec un âge de survenue plutôt autour de la cinquantaine. Un traumatisme direct serait trouvé dans 7 cas sur 10 et indirect dans 2 cas sur 10.
Une douleur basi-thoracique ou abdominale
La douleur se manifeste par l'apparition soudaine d'une douleur qui peut être localisée, irradiée entre la xyphoïde et l'ombillic, ou viscérale diffuse. Plus typiquement, la douleur est basi-thoracique, semblable à celle d'un coup de couteau, irradiant en ceinture, avec un caractère mécanique net au départ. La douleur siège sur le rebord costal inférieur, au niveau de la luxation, mais elle peut irradier à distance vers le haut (région préchordiale), le bas (hypochondre), la ligne médiane (épigastre) ou l’arrière (en hémi-ceinture), autant d’irradiations trompeuses qui font que les gastro-entérologues sont souvent consultés en premier.
Le support anatomique de ces irradiations trompeuses est une compression du nerf intercostal sus-jacent par la côte déplacée sous-jacente et souvent la 9e). Ces nerfs intercostaux ont en effet une composante sensitivo-motrice et une composante sympathique, et c'est cette dernière qui serait responsable du caractère « viscéral » de la douleur. L’évolution est chronique, probablement du fait de l’absence de réparation de la lésion cartilagineuse. Des cas ayant évolué pendant plusieurs décennies sont rapportés dans la littérature.
La douleur est typiquement déclenchée par les mouvements du tronc en avant et les efforts, notamment une inspiration profonde, une manœuvre de Valsalva ou la toux. Elle est souvent soulagée par des positions qui déchargent le nerf touché. L’atteinte est le plus souvent unilatérale à droite (70% des cas) et localisée à la dixième côte.
Les facteurs déclenchants incluent les traumatismes et les activités sportives de haute intensité. Le traumatisme peut en effet être direct (coup de poing, chute, accident de la voie publique) ou indirect (traction sur les muscles intercostaux et abdominaux, notamment lors de certains sports comme la gymnastique, le golf, ou le tennis), ou la douleur peut survenir à la suite de microtraumatismes répétés.
Un diagnostic clinique et échographique
Le diagnostic est clinique, et peut être aidé par l'échographie dynamique qui objective la subluxation vers le haut de la côte par rapport au cartilage, lors d'un effort de Valsalva. Une manœuvre de crochetage a été décrite, sur le malade en position couchée sur le dos, les muscles abdominaux détendus, le clinicien placant le pouce sur la côte douloureuse et les autres doigts sous le rebord inférieur de la cage thoracique et tirant doucement vers le haut et l'extérieur, ou d'avant en arrière, ce qui a pour conséquence de luxer la côte et pincer le nerf. Une douleur et une sensation de click ou de claquement des côtes et du cartilage concernés indiquent un test positif.
Cet examen serait quasi pathognomonique du syndrome de Cyriax ce qui a fait proposer une triade diagnostique : douleur basi-thoracique unilatérale (ou épigastrique), point douloureux exquis du rebord costal et reproduction de la douleur par la manœuvre du crochetage.
Le syndrome de Cyriax pouvant évoquer de nombreuses affections thoraciques, abdominales et/ou viscérales (les nerfs intercostaux C7 à C9 innervent la paroi abdominale entre la xyphoïde (T6T7) et l'ombilic (T10), il est fréquemment à l’origine d’une longue errance diagnostique. Dans un tiers des cas les douleurs peuvent être étiquetées d’origine psychogène et peuvent même conduire à une évaluation psychologique.
Parmi les diagnostics différentiels pariétaux, on retrouve les fractures de côtes, le syndrome de Tietze (inflammation douloureuse des articulations chondrocostales mais qui touche plutôt les articulations chondrocostales supérieures), la xyphoïdalgie (douleur sternale déclenchée par les mouvements, reproduite par la pression sur l’appendice xiphoïde) et la compression des nerfs cutanés abdominaux dans leur trajet dans la gaine fibreuse du muscle grand droit.
Performance de l’échographie dynamique
Des progrès ont été réalisés dans le diagnostic du syndrome de la côte glissante grâce à l'échographie dynamique.
En plus de la radiographie du gril costal, l'échographie standard peut identifier les anomalies de l'anatomie des côtes et du cartilage, ainsi que le gonflement des tissus mous. Peu répandue du fait de la faible fréquence du syndrome de Cyriax, l’échographie dynamique avec un opérateur entraîné permettra la visualisation de la mobilité anormale de la côte avec subluxation lors de la contraction d'une manœuvre de Valsalva ou de la manœuvre du crochetage. Le test est positif si la côte affectée se déplace vers le haut et recouvre la côte située au-dessus d'elle.
L'échographie peut s'accompagner d'une infiltration de xylocaïne au niveau de la luxation et en regard du nerf qui constitue un test diagnostic si elle supprime la douleur. Outre le diagnostic, l'échographie peut fournir au chirurgien des données morphologiques et des informations sur les autres côtes à risque, ce qui facilite la planification opératoire.
Traitement en évolution
L’attitude thérapeutique est loin d’être codifiée. La plupart des auteurs conseillent de traiter en fonction de l’intensité des douleurs.
Dans les douleurs récentes et modérées, les explications détaillées sur la maladie et le port d’un demi-bandage élastique pendant 1 à 2 semaines, associé à des antalgiques per os peut suffire. Les AINS et les manipulations ostéopathiques sont peu évalués.
Dans les douleurs vives, l’infiltration locale de corticoïdes plus ou moins associée à de la lidocaïne à 1% fait céder immédiatement la douleur et peut permettre le diagnostic. Cependant, la guérison peut nécessiter plusieurs infiltrations (1 à 6) et dans ce cas, il convient de privilégier les injections isolées de xylocaïne. L’effet antalgique durerait plus longtemps que le simple effet anesthésique et la répétition de ces infiltrations (jusqu’à 5 ou 6) permettrait une réduction durable de la douleur. L’amélioration de la douleur sur le long terme est variable. L'infiltration peut être réalisée au mieux sous échographie.
Les injections de toxine botulique dans les muscles qui tirent la côte vers le bas (muscles grand-droit, oblique externe, transverse de l’abdomen et carré des lombes) ont été tentées avec succès mais avec un effet temporaire.
L’échec du traitement médical peut conduire au traitement chirurgical qui consiste classiquement en la résection des 5 derniers centimètres de la côte luxée. L’examen anatomo-pathologique des pièces de résection ne trouve en général aucune anomalie particulière. Ce traitement radical, bien que rarement réalisé (0 à 4% selon les séries), semble avoir une efficacité proche de 100%. Mais la stabilisation des côtes est une option désormais émergente pour les symptômes de Cyriax récurrents.
En pratique, une meilleure connaissance du syndrome de Cyriax pourrait éviter nombre de retards diagnostiques, devant une douleur abdominale chronique des hypochondres ou de l’ombilic.
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