Psychiatrie
Psychose : la consommation d’hallucinogènes associée à une augmentation du risque
Les visites aux urgences (ED) liées à l’usage d’hallucinogènes sont associées à un risque significativement accru de développer un trouble du spectre de la schizophrénie et autres troubles psychotiques (SSD). Cette large étude de cohorte populationnelle souligne la nécessité d’une surveillance clinique renforcée et d’approches préventives adaptées chez les personnes exposées à ces substances.
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- Mihuil Aliseichik/istock
L’usage thérapeutique potentiel des hallucinogènes, tels que le LSD, la psilocybine et la MDMA, suscite un intérêt croissant depuis une vingtaine d’années, particulièrement pour traiter la dépression résistante, le trouble du stress post-traumatique ou encore les troubles liés à l’alcool. Néanmoins, l’accroissement rapide de la consommation récréative dans la population générale s’accompagne de préoccupations quant à l’éventuelle majoration du risque de psychose, y compris en dehors des contextes cliniques supervisés. Afin de combler les lacunes des travaux antérieurs, une étude populationnelle a analysé rétrospectivement les dossiers de plus de 9 millions de personnes âgées de 14 à 65 ans, sans antécédent psychotique, en Ontario (Canada) entre janvier 2008 et décembre 2021.
Les résultats principaux, publiés dans JAMA Psychiatry, montrent que les personnes ayant consulté aux urgences pour un épisode lié à l’usage d’hallucinogènes présentent un risque plus élevé de développer un trouble du spectre de la schizophrénie. Comparées à la population générale, elles affichent un hazard ratio (HR) ajusté sur l’âge et le sexe de 21,32 (IC à 95 %, 18,58-24,47) sur trois ans (3,99 % de diagnostics contre 0,15 % dans la population générale), se maintenant à 3,53 (IC à 95 %, 3,05-4,09) après ajustement pour d’éventuels troubles psychiatriques ou addictions, concomitants. Ce risque apparaît encore plus marqué pour les consultations aux urgences spécifiquement associées à un épisode psychotique induit par les hallucinogènes (proportion cumulée de SSD à trois ans : 20,11 %).
Un risque majoré par rapport à la consommation d’autres substances psychoactives
L’analyse des sous-groupes révèle une augmentation du risque de schizophrénie comparable quel que soit le sexe ou la classe d’âge du patient ayant présenté un épisode d’urgence lié aux hallucinogènes. Notamment, le risque d’évolution vers un SSD demeure plus élevé par rapport aux visites liées à d’autres substances psychoactives, avec un HR ajusté de 4,66 (IC à 95 %, 3,82-5,68) par rapport à l’alcool et de 1,47 (IC à 95 %, 1,21-1,80) par rapport au cannabis.
Par ailleurs, la tolérance globale de ces substances reste mal caractérisée dans le cadre non médical, particulièrement concernant la possibilité de survenue d’une psychose aiguë. Les analyses de sensibilité suggèrent que ce sur-risque n’est pas uniquement lié à une surveillance accrue chez les personnes ayant connu un épisode aigu, puisque la différence persiste sur plus de cinq ans de suivi. Enfin, bien que les hallucinogènes incluent majoritairement des psychédéliques sérotoninergiques (LSD, psilocybine, DMT), le recodage englobe parfois d’autres substances (kétamine, phencyclidine), soulignant la nécessité d’études plus spécifiques pour distinguer précisément leurs profils de risque respectifs.
Une étude de cohorte rétrospective sur 5 ans et à l’échelle d’un état canadien
Les données proviennent d’une étude de cohorte rétrospective de grande envergure, exploitant les dossiers administratifs de santé de l’Ontario. Les critères d’inclusion portaient sur des personnes n’ayant jamais eu de diagnostic antérieur de psychose, suivies sur une période médiane de 5,1 ans. Les épisodes d’urgence pour usage d’hallucinogènes (d’après la CIM-10) étaient identifiés comme un événement « index » à partir duquel la survenue ultérieure d’un diagnostic de SSD était évaluée. Si cette approche accroît la robustesse des résultats et leur validité clinique (car reposant sur des diagnostics médicaux plutôt que de l’auto-déclaration), il convient de rappeler que les analyses ne permettent pas d’inférer directement un lien de causalité. De plus, la représentativité peut varier en fonction des caractéristiques socio-économiques de la région étudiée et du fait que tous les usagers de ces substances ne consultent pas systématiquement aux urgences.
Selon les auteurs, ces résultats plaident pour une surveillance attentive des patients qui viennent à l’hôpital après la consommation d’hallucinogènes, en particulier lorsqu’ils manifestent des symptômes psychotiques. Les médecins de premier recours et les psychiatres pourraient être sensibilisés à ce risque accru de progression vers un trouble schizophréniforme, afin de proposer un dépistage et un suivi précoce. Dans un contexte de popularité grandissante des psychédéliques, la prévention et l’éducation sur les risques possibles, y compris psychotiques, demeurent essentielles.
Les perspectives de recherche incluent notamment la caractérisation plus fine de chaque substance (y compris microdosages), l’exploration des mécanismes neurobiologiques sous-jacents, et l’évaluation d’interventions préventives chez les sujets à risque, notamment ceux ayant des antécédents familiaux de psychose ou présentant d’autres vulnérabilités psychiques.