Onco-Dermato

Grossesse et cancer : le problème du traitement anticancéreux et de l’immunothérapie

Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (ICIs appélés communément « immunothérapie ») sont de plus en plus utilisés en oncologie. Une étude de pharmacovigilance internationale suggère un profil de sécurité globalement comparable à celui d’autres anticancéreux durant la grossesse, sauf en cas de combinaison anti-PD1 + anti-CTLA4, qui serait associée à un surrisque de prématurité.

  • RossHelen/istock
  • 17 Jan 2025
  • A A

    La survenue d’une grossesse chez une patiente atteinte de cancer est une situation encore dramatique et n’est pas toujours solutionnée par un accouchement déclenché après 6 mois de grossesse. Quand cela concerne un cancer du sein, de la thyroïde, du col de l’utérus, un mélanome ou une maladie de Hodgkin (2/3 des cas), il n’est pas toujours possible d’attendre une délivrance à 7 mois. Cette situation reste rare, estimée à environ 1 cas pour 1000 à 2000 grossesses, mais implique un défi thérapeutique majeur : il faut protéger la santé maternelle et préserver au mieux le développement fœtal.

    Parmi les traitements anticancéreux récents, les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (ICIs) – ciblant notamment PD-1/PD-L1 ou CTLA4 – occupent une place croissante dans la prise en charge de plusieurs tumeurs solides ou hématologiques. Le risque théorique de ces anticorps monoclonaux chez la femme enceinte est non négligeable, car ils pourraient interférer avec la tolérance immunitaire fœto-maternelle. Or, les données sur l’usage effectif des ICIs pendant la grossesse sont extrêmement limitées, souvent réduites à des études précliniques ou à des rapports de cas.

    Les 1ère données d'importance sur l'immunothérapie au cours de la grossesse

    Dans le travail publié dans The JAMA Network Open, les auteurs ont interrogé la base de pharmacovigilance de l’Organisation mondiale de la Santé (VigiBase), qui compile plus de 30 millions de notifications provenant de plus de 130 pays. Leur objectif était d’identifier les effets indésirables potentiels sur la grossesse, le fœtus ou le nouveau-né en cas d’exposition à un ICI, et de comparer ces données à celles d’autres anticancéreux (hors ICI).

    Parmi 3558 dossiers rapportés, 91 concernaient l’utilisation d’un ICI : 58 % des femmes avaient été exposées à un anti-PD1 en monothérapie, 16 % à une combinaison anti-PD1 + anti-CTLA4 et 4 % à un anti-PD-L1. Les résultats indiquent que l’exposition à un ICI, dans son ensemble, n’entraîne pas de sur-risque significatif de complications par rapport aux autres anticancéreux, excepté pour la combinaison anti-PD1 + anti-CTLA4, fortement associée à un risque accru de naissance prématurée.

    Au total, 38 des 91 grossesses exposées à un ICI (41,8 %) ont subi un événement indésirable obstétrical ou néonatal, un pourcentage similaire à celui rapporté pour d’autres chimiothérapies (57,1 %). Seules trois situations pourraient suggérer un événement immuno-médié, dont une hypothyroïdie néonatale transitoire et une pneumopathie maternelle ayant abouti à un décès néonatal.

    Une analyse détaillée de 45 types d’évènement fœto-maternels ou néonataux

    L’analyse détaille 45 types d’événements indésirables maternels, fœtaux ou néonataux, directement mappés aux termes préférentiels de la classification MedDRA. Les complication obstétricales et fœtales les plus fréquentes sur l’ensemble de la cohorte comprennent la prématurité, la fausse couche, les retards de croissance intra-utérins et diverses complications obstétricales (rupture prématurée des membranes, prééclampsie...). Les ICIs en monothérapie n’ont pas montré d’excès de signal pour l’une ou l’autre de ces complications. En revanche, la combinaison d’anticorps anti-PD1 et anti-CTLA4 a été associée à une surreprésentation du risque de naissance prématurée (80 % vs 23 % pour le groupe de référence, odds ratio >13).

    Par ailleurs, parmi les trois cas suggérant un événement immuno-médié, on note un syndrome des antiphospholipides maternel responsable d’une fausse couche spontanée, une pneumopathie avec détresse respiratoire néonatale fatale et une hypothyroïdie néonatale transitoire. Malgré ces signaux rares, l’ensemble de l’analyse n’a pas retrouvé d’augmentation massive des malformations congénitales ni d’autres toxicités majeures spécifiques aux ICIs.

    Cet ensemble de résultats souligne toutefois la nécessité de prudence. Le profil d’innocuité d’autres anticancéreux ou du zoledronate pendant la grossesse avait déjà été abordé dans diverses cohortes antérieures, mais l’usage de molécules d’immunothérapie est récent. Par ailleurs, ces données soulèvent la question du suivi obstétrical rapproché en cas de prescription d’un ICI, d’autant plus chez une patiente combinant plusieurs agents.

    Une analyse rétrospective sur une très large base de données

    Les informations proviennent de la base VigiBase, qui recense de façon standardisée des cas rapportés de pharmacovigilance internationale. Cette méthodologie offre un large spectre de situations réelles, provenant de multiples pays et de systèmes de soins différents. Toutefois, la notification spontanée comporte des biais notables : manque de précision sur les dates exactes d’exposition au médicament, absence de suivi à long terme chez l’enfant, et impossibilité de confirmer formellement un lien de causalité. Par ailleurs, le nombre relativement faible de grossesses exposées à des ICIs (91 cas) limite la puissance statistique, notamment pour évaluer les effets rares ou différés. Malgré ces limites, la pharmacovigilance reste essentielle pour détecter des signaux inédits ou graves.

    Selon un éditorial associé, ce travail apporte deux enseignements majeurs. D’une part, l’usage isolé d’un anticorps anti-PD1 ou anti-CTLA4 pendant la grossesse ne semble pas induire de risque nettement supérieur à celui associé aux autres chimiothérapies classiques, tout en rappelant la prudence d’emploi et la nécessité d’informer la patiente des incertitudes existantes. D’autre part, la combinaison anti-PD1 + anti-CTLA4 pourrait accroître substantiellement le risque de prématurité, justifiant une vigilance particulière et une évaluation rigoureuse du rapport bénéfice-risque si un tel schéma est envisagé.

    Les recherches futures devront confirmer ou infirmer ces observations par des bases de données élargies ou des registres internationaux dédiés. Outre la nécessité de développer des recommandations spécifiques pour les patientes enceintes sous immunothérapie, se pose aussi la question de la prise en charge postnatale et du suivi à long terme de l’enfant (risques immunitaires, retards de croissance...). Dans un contexte où de plus en plus de femmes conçoivent tardivement et où l’incidence de certains cancers (comme le cancer du sein) augmente chez les femmes jeunes, disposer de données robustes et actualisées est indispensable pour guider la pratique et accompagner au mieux les futures mères confrontées à ces situations complexes.

     

    Pour laisser un commentaire, Connectez-vous par ici.
    
    -----