Hématologie
Myélome en rechute ou réfractaire : 2 anticorps bispécifiques pour un double ciblage
Une association de 2 anticorps bispécifiques ciblant différents antigènes myélomateux améliore notablement la réponse thérapeutique chez les patients atteints de myélome multiple triple-class–exposé. Toutefois, l’incidence élevée d’infections sévères justifie une surveillance renforcée et un recours systématique aux mesures prophylactiques.
- Irfan Setiawan/istock
Le myélome multiple en rechute ou réfractaire chez les patients déjà exposés à trois classes thérapeutiques (immunomodulateurs, inhibiteurs du protéasome et anticorps anti-CD38) reste difficile à traiter, avec un pronostic généralement défavorable, en particulier en cas d’atteinte extra-médullaire. Malgré l’arrivée des anticorps bispécifiques et des CAR-T cells, la maladie demeure aujourd’hui incurable. C’est dans cette optique que la combinaison de deux anticorps bispécifiques avec des cibles différentes, le talquetamab (ciblant GPRC5D) et le teclistamab (ciblant BCMA), a été évaluée dans le cadre de l’étude de phase 1b–2 RedirecTT-1.
Les premiers résultats, rapportés dans le New England Journal of Medicine, (94 patients traités, dont 44 avec la dose recommandée en phase 2) indiquent un taux de réponse global de 80 % chez les patients recevant la combinaison talquetamab 0,8 mg/kg + teclistamab 3,0 mg/kg (tous les 15 jours). Qui plus est, 86 % des patients sous ce schéma posologique maintiennent leur réponse à 18 mois de suivi, y compris 82 % de ceux présentant une forme à risque (extramédullaire). Cela illustre la robustesse de ce double ciblage capable d’induire des réponses durables dans une population sévèrement prétraitée.
Réponse forte et durable mais risque majeur d’infections
Dans les différents sous-groupes, notamment chez les patients avec maladie extramédullaire, le taux de réponse atteint 61 %. Ces chiffres, supérieurs à ceux obtenus avec chacun des deux anticorps, administré séparément, suggèrent un effet synergique. L’un des objectifs majeurs du double ciblage (BCMA et GPRC5D) est en effet de limiter les échappements tumoraux liés à l’hétérogénéité antigénique et de prolonger la durée de la rémission.
Sur le plan de la tolérance, les toxicités de grade 3 ou 4 ont concerné 96 % des patients (dont des neutropénies et des thrombocytopénies), et les infections sévères (grade 3 ou 4) ont été signalées chez 64 %. Les événements indésirables les plus fréquents incluent les infections, le syndrome de relargage des cytokines (majoritairement de faible grade), la dysgueusie, des atteintes cutanées non érythémateuses et des modifications unguéales, toutes cohérentes avec les profils de tolérance déjà décrits pour le talquetamab et le teclistamab pris individuellement.
Il est important de noter que l’incidence de complications infectieuses semble plus élevée en bi-thérapie, d’où la nécessité de protocoles prophylactiques, d’un suivi immunologique (hypogammaglobulinémie) et de la mise en place rapide d’un traitement substitutif par immunoglobulines dès que le taux d’IgG chute sous 400 mg/dL.
Poursuivre les recherches pour éradiquer durablement les clones résistants
Cette étude de phase 1b–2 s’est déroulée selon un schéma de montée en dose (cinq paliers évalués) puis de définition d’une posologie recommandée pour la phase 2. Les réponses ont été évaluées par les investigateurs de façon non randomisée et en ouvert, ce qui peut introduire certains biais dans l’interprétation. En outre, la représentativité ethnique demeure limitée (seulement un patient de descendance afro-américaine), un point important étant donné les disparités pronostiques parfois observées dans le myélome selon l’origine géographique et génétique.
Sur le plan pratique, la combinaison talquetamab–teclistamab offre une nouvelle option thérapeutique “off-the-shelf” (sans recours à l’aphérèse ni à l’ingénierie cellulaire ex vivo) pour les patients en impasse thérapeutique. Les cliniciens doivent toutefois prendre en compte le risque accru d’infections sévères et mettre en place un accompagnement adapté : prophylaxie, surveillance biologique rapprochée et éducation du patient. Les travaux à venir porteront sur l’optimisation de la posologie (avec un espace inter-injections élargi en cas de réponse profonde), l’évaluation de biomarqueurs prédictifs de réponse et l’étude d’associations avec d’autres agents, y compris les CAR T cells, pour espérer éradiquer durablement les clones résistants et tendre vers une éventuelle guérison.