Rhumatologie
Condensation osseuse : une anomalie radiologique ou densitométrique à explorer
Il n’est pas rare de trouver une condensation (ou hyperdensité) osseuse lors d’une radiographie ou d’une densitométrie osseuse. S’il s’agit le plus souvent d’un artéfact au rachis lié à une arthrose chez la personne âgée, il ne faut pas méconnaître d’autres causes qui nécessitent une prise en charge spécifique.
- Tonpor Kasa/istock
Une condensation osseuse (« ostéocondensation » ou « hyperdensité osseuse ») peut être suspectée devant une image dense sur des radiographies standard, ou une augmentation de la densité minérale osseuse (DMO) lors d’une mesure par absorptiométrie biphotonique (DXA). C’est la densitométrie osseuse qui est de beaucoup l'examen le plus précis pour confirmer ce diagnostic car elle permet de quantifier une hyperdensité osseuse, qui peut parfois être très élevée.
S’il s’agit le plus souvent d’un artéfact de mesure au rachis chez la personne âgée, en rapport avec une arthrose, il ne faut pas méconnaître les causes locales ou générales d’hyperdensité osseuse dont certaines nécessitent une prise en charge (cancer, myélofibrose, hémopathie…). Bien que la recherche génétique ait identifié des mutations de certains gènes pour certaines condensations osseuses génétiques diffuses (maladies monogéniques en rapport avec une altération des gènes LRP4, LRP5 et SOST), nombre d’entre elles restent encore à découvrir.
Pas de définition consensuelle
La définition de l’hyperdensité osseuse n’est pas consensuelle et varie selon les auteurs : T-scores et/ou Z-scores ≥ +2,5 ou +4 ds, que ce soit au rachis et/ou à la hanche. Avec la définition d’un T score ≥ +4 ds, les auteurs d’une large étude anglaise, sur plus de 330 000 densitométries réalisées dans une quinzaine de centres, ont trouvé une prévalence de l’hyperdensité osseuse de 5/1000. La moitié de ces cas d’hyperdensité osseuse serait cependant liée à une arthrose rachidienne, à des calcifications vasculaires ….
Il convient donc d’être sélectif vis-à-vis des zones à analyser en densitométrie osseuse pour éliminer des « hyperostoses artéfactuelles ». Ainsi, les mêmes auteurs anglais recommandent de vérifier ces augmentations de la DMO en L1 et à l’extrémité supérieure du fémur total : la vertèbre L1 car c’est la moins exposée à l’arthrose par rapport aux vertèbres sous-jacentes, et une densité élevée à la fois à la hanche totale et au rachis pour ne retenir que les cas d’hyperdensités osseuses diffuses.
Au final, la nécessité d’avoir des valeurs densitométriques élevées (au moins ≥ +2,5 ds), à la fois en L1 au rachis et à la hanche, est donc la démarche pratique à adopter pour identifier une hyperdensité osseuse diffuse.
Causes des hyperdensités osseuses
Une grande variété de maladies acquises ou génétiques sont associées à une ostéocondensation. La classification habituellement utilisée sépare les condensations osseuses, selon leur caractère localisé ou généralisé, ou encore selon leur caractère acquis ou constitutionnel, mais la découverte de mutations associées à certaines modifications du remodelage osseux tend à remettre en cause en partie cette classification.
Une analyse attentive des images radiologiques et/ou de densitométrie osseuse permet dans la majorité des cas de retrouver une étiologie liée à un artéfact (arthrose rachidienne, scoliose avec arthrose, calcifications vasculaires de l’aorte abdominale, hyperostose vertébrale comme la maladie de Forestier, spondylarthrite ankylosante avec syndesmophytes ou présence de matériel tel qu’une prothèse vasculaire, des clips de chirurgie digestive, une vertébroplastie…).
Face à une condensation osseuse localisée, en dehors des contextes évidents d’ostéocondensation osseuse, le premier temps est de rechercher les principales causes d’hyperdensité osseuse localisées à l’interrogatoire, l’examen clinique et les explorations biologiques.
La plupart des auteurs recommandent dans un premier temps de réaliser des radiographies standard : rachis lombaire face et profil, bassin de face (si l’hyperdensité osseuse est localisée du rachis), et en rajoutant les hanches de face et profil (si l’hyperdensité osseuse est localisée de la hanche). L’analyse ostéodensitométrique est également essentielle afin de quantifier l’hyperdensité osseuse et de distinguer les hyperdensités osseuses locales des hyperdensités osseuses généralisées (fémur total et rachis lombaire, voire corps entier). Il faut se rappeler que l'obésité morbide avec IMC > 40 surestime la DMO et certains cas d’hyperdensité osseuse pourraient être expliqués, au moins en partie, par l’obésité morbide.Ces examens permettent de diagnostiquer des métastases condensantes de cancer de la prostate ou du sein, une vertèbre « ivoire » de la maladie de Paget ou du SAPHO, de la sarcoïdose ou d’un lymphome ou encore le POEMS syndrome….
Dans un second temps, d’autres examens d’imagerie seront demandés dans le cadre d’un diagnostic de cancer en particulier : scanner et/ou IRM et/ou scintigraphie osseuse, avec un bilan phosphocalcique et inflammatoire (NFS, CRP calcémie, albuminémie ou électrophorèse des protéines sériques et CRP.
Les hyperdensités osseuses diffuses et acquises, c’est-à-dire touchant à la fois le rachis et la hanche, sont plus rares, mais les diagnostics à évoquer sont plus nombreux. Parmi les causes diffuses, une myélofibrose, une mastocytose, ostéosclérose diffuse liée à une ostéodystrophie rénale sont les plus fréquentes, alors que l’hyperdensité osseuse de la fluorose ou de l’hépatite C sont exceptionnelles.
Cela nécessite un interrogatoire et un examen clinique approfondis à la recherche d’arguments en faveur d’une hépatite C, d’apports excessifs en fluor, de douleurs osseuses avec une atteinte des nerfs crâniens (par un mécanisme compressif au cours d’une ostéopétrose), une splénomégalie et une altération de l’état général (en faveur d’une hémopathie), des lésions cutanées (en faveur d’une mastocytose systémique), des antécédents familiaux génétiques ou encore un dysmorphisme (tout particulièrement de la face et du menton). La recherche d’antécédents de fracture à la fois personnels et familiaux est indispensable au diagnostic d’ostéopétrose. La mesure de la taille est réalisée au cours de l’examen clinique. Les explorations biologiques seront assez larges en l’absence de cause évidente : bilan hépatique et sérologie de l’hépatite C, numération formule sanguine, électrophorèse des protéines sériques, fonction rénale et exploration du métabolisme phosphocalcique avec parathormone et 25-OH-vitamine D sériques. Les dosages du fluor sanguin, de la tryptase sérique et des marqueurs du remodelage osseux. Concernant l’imagerie, seront demandées des radiographies du rachis dorsolombaire, des fémurs et du bassin, des radiographies du crâne de face et de profil.
Si certains éléments cliniques et paracliniques orientent vers une atteinte génétique en faveur d’une ostéopétrose ou d’une anomalie de la formation osseuse, le patient sera adressé à une consultation de génétique. Les investigations à réaliser en génétique dépendront de la sévérité de l’atteinte et de l’enquête familiale. Il existe, en effet, de nombreuses maladies génétiques entraînant une hyperdensité osseuse diffuse.
Les principales causes d’hyperdensité osseuse diffuse sont les ostéopétroses et les maladies liées à une mutation du gène SOST (sclérostéose et maladie de van Buchem) ou des corécepteurs de Wnt, LDL-R-Related Protein 5 (LRP5) et LRP4. L’atteinte osseuse (quantitative et qualitative) de ces différentes maladies a un retentissement variable sur la résistance osseuse et le risque fracturaire, alors que la DMO est en général très élevée (Z-scores pouvant dépasser +6 à la hanche et au rachis lombaire).
La distinction entre ces différentes maladies peut se faire selon le risque fracturaire (augmenté dans l’ostéopétrose de l’adulte ou diminué dans les autres), mais aussi en fonction des perturbations du remodelage osseux : diminution de la résorption osseuse dans les ostéopétroses de l’adulte et augmentation de la formation osseuse dans la sclérostéose et la maladie de van Buchem.
Ostéocondensations génétiques avec diminution de la résorption osseuse
L’ostéopétrose n’est qu’un phénotype qui correspond en réalité à de nombreuses anomalies génétiques, avec des présentations cliniques très variables (troubles de la croissance, troubles de l’audition ou de la vision, troubles de la dentition, compression des nerfs crâniens…) et une réduction de l’espérance de vie.
Lorsque l’ostéopétrose est diagnostiquée à l’âge adulte, il s’agit de l’ostéopétrose à transmission autosomique dominante et en particulier l’ostéopétrose de type 2, ou « maladie d’Albers-Schönberg », qui est la plus fréquente. Elle correspond à une mutation du gène CLCN7 qui code pour une protéine de transport du chlore dans la lacune ostéoclastique. Comme sa pénétrance est variable, la présentation clinique est également très variable, allant de la découverte fortuite d’images radiologiques chez une personne en bonne santé à des formes avec fractures multiples et décès précoce.
La maladie débute tard dans l'enfance ou à l'adolescence et les manifestations sont presqu’exclusivement squelettiques : fractures, scoliose, arthrose des hanches et ostéomyélite mandibulaire associée à des abcès dentaires ou des caries. Les anomalies radiographiques consistent en un épaississement des plateaux vertébraux, avec l’aspect classique « en maillot de rugby », et « d’os dans l’os » sur le bassin. La compression des nerfs crâniens est une complication rare mais grave, avec perte auditive et visuelle chez environ 5% des patients. Une aplasie médullaire modérée est occasionnellement décrite.
Sont également citées dans la catégorie hyperdensité osseuse génétique diffuse avec diminution de la résorption osseuse, la pycnodysostose qui est une maladie lysosomiale liée à une mutation autosomique récessive du gène codant pour la Cathepsine K. L’ostéosclérose du squelette s’associe à une petite taille et une fragilité osseuse. De même, on citera l’ostéomésopycnose et l’ostéopathie striée-sclérose crânienne (OSSC) liée à l’X.
La mélorhéostose est une condensation osseuse avec baisse de la résorption osseuse, non diffuse mais monomélique, avec ostéocondensation linéaire en « coulée de bougie » sur la corticale d'un membre, non-limitée par les articulations. Les patients peuvent être asymptomatiques ou souffrir de contractures articulaires et/ou de douleurs chroniques et d’une raideur articulaire. L’ostéopoïkilocytose, bénigne, se révèle le plus souvent fortuitement par des plages d’ostéocondensation tachetées sur certaines zones en radiographie.
Ostéocondensations génétiques avec augmentation de la formation osseuse
La sclérostéose (Pays-Bas) et maladie de van Buchem (population afrikaner d’Afrique du sud) sont 2 maladies rares, à transmission autosomique récessive, caractérisées par une augmentation de la formation et de la résistance osseuses, avec une diminution du risque fracturaire. Elles sont en lien avec une mutation du gène SOST, qui code pour une protéine inhibitrice de la formation osseuse, avec donc une perte de cette inhibition. C’est ce mécanisme qui a été utilisé pour proposer de nouveaux traitements anti-ostéoporotiques, comme les anticorps anti-sclérostine. La condensation osseuse touche l’ensemble du squelette. L’hypertrophie mandibulaire patente qui apparaît au cours de la puberté en est un signe caractéristique, tout comme l’hypertrophie du crâne qui peut entraîner des compressions des nerfs crâniens.
Une autre forme d’ostéopétrose, le type 1, est secondaire à une anomalie du gène LRP5, corécepteur de la voie de signalisation Wnt, voie impliquée dans la formation osseuse. Cette ostéopétrose n’est pas liée à une diminution de la résorption osseuse et elle est donc classée désormais dans le groupe des hyperdensité osseuses génétiques diffuses avec augmentation de la formation osseuse. Ce type 1 est une ostéopathie condensante caractérisée par une augmentation de la densité osseuse affectant plus particulièrement la voûte crânienne. La maladie débute habituellement pendant l'enfance ou l'adolescence. Beaucoup de patients sont asymptomatiques, sinon les signes cliniques consistent en des douleurs osseuses chroniques et des anomalies des paires crâniennes (névralgie du trijumeau, paralysie faciale, surdité). Il n'y a pas de risque accru de fracture et les patients ont une résistance trabéculaire osseuse normale ou même augmentée. L’hypertrophie mandibulaire et du crâne, ainsi que des compressions neurologiques, ont également été décrites au cours de la mutation de LRP5. Des anomalies du gène LRP4 sont proches de ce tableau.
Les ostéocondensations génétiques diffuses mixtes
Certaines ostéocondensations génétiques diffuses sont la conséquence d’une perturbation, à la fois de la formation et de la résorption osseuses.
Il s’agit tout d’abord de la maladie de Camurati-Engelmann (mutation de TGFß1), une dysplasie osseuse cliniquement variable caractérisée par une hyperostose des os longs, du crâne, de la colonne vertébrale et du pelvis, associée à une douleur sévère au niveau des extrémités, une démarche dandinante, des contractures articulaires, une faiblesse musculaire et une fatigabilité accrue.
On peut citer également, la dysplasie hémato-diaphysaire de Ghosal, une maladie rare caractérisée par une densité osseuse augmentée (prédominant au niveau des diaphyses) et une anémie arégénérative corticosensible.
Après avoir éliminé l’ensemble des étiologies évoquées précédemment, il reste une partie des patients qui ont une hyperdensité osseuse diffuse actuellement inexpliquée. Il s’agit vraisemblablement d’hyperdensités osseuses liées à des atteintes monogéniques ou polygéniques pour le moment inconnues.