Rhumatologie
Polyarthrite rhumatoïde : faut-il les traiter encore plus tôt, à un stade infraclinique ?
Le traitement ultra-précoce des polyarthrites rhumatoïdes infraclinique,s pendant un an par le méthotrexate (en sus d’une corticothérapie initiale), améliore l’état radio-clinique des malades sans réduire le risque de développer une polyarthrite avérée.
- Ake Ngiamsanguan/istock
Le méthotrexate est le traitement pivot de la polyarthrite rhumatoïde et est administré dès la constatation des premières synovites. Cependant, les processus pathologiques de cette maladie auto-immune commencent bien avant et deviennent cliniquement reconnaissables lorsque les patients développent des synovites. Les experts se demandent désormais si un traitement plus précoce par le méthotrexate pourrait encore améliorer le bénéfice voire même modifier le cours évolutif de la maladie en empêchant san apparition.
Treat Earlier est une étude « proof of concept » visant à déterminer si un traitement ultra-précoce associant méthylprednisolone et méthotrexate dans la phase préclinique chez des patients symptomatiques à risque de PR est efficace contre la progression vers une maladie avérée.
Chez les malades à haut risque de PR mais avec simples arthralgies sans synovite, et versus placebo, l'administration de 25 mg par semaine de méthotrexate pendant un an et d’une seule intra-musculaire de 120 mg de méthylprednisolone initiale, retarde mais n'empêche pas l'apparition d'une PR clinique ultérieure. Cependant, ce traitement combiné ultra-précoce est associé à une réduction durable de la charge de la maladie et de l'inflammation, y compris en IRM, dans tous les groupes à risque. Ce sont les résultats de l'étude Treat Earlier sur deux ans, présentée au congrès annuel 2022 de l'Eular.
Réduction simple du fardeau de la maladie
Il n'y a pas de différence à 2 ans entre le groupe traité et le groupe placebo concernant le développement d'une polyarthrite rhumatoïde avérée avec synovite (80% contre 82%, HR 0,81 ; IC à 95%, 0,45, 1,48). Cependant, dans une sous-analyse du groupe à haut risque, 7% des patients ont développé une arthrite clinique persistante à 6 mois, 27% à 12 mois, 40% à 18 mois et 67% à 24 mois, dans le groupe traité. Pour le groupe placebo, 56% des patients à haut risque ont développé une arthrite clinique persistante à 6 mois, et 67% à 12 mois, 18 mois et 24 mois.
Un léger retard dans le diagnostic éventuel de PR a été observé sous traitement actif chez tous les patients, mais ce délai a été allongé dans deux sous-groupes à haut risque : ceux qui avaient au moins 70% de chances de développer une PR manifeste, en raison de la présence d’un facteur rhumatoïde et d’une inflammation articulaire en IRM et ceux qui avaient des ACPA positifs.
L'effet le plus marquant a concerné l'inflammation des articulations en IRM : pratiquement aucun changement n'a été observé dans le groupe placebo, alors qu'une réduction nette de l’inflammation a été apparente dès le 4ème mois dans le groupe prednisolone/méthotrexate, et celle-ci s’est maintenue lors des examens aux mois 12 et 24. Paradoxalement, l'inflammation n'a pas été totalement supprimée, même chez les patients qui n'ont pas évolué à 2 ans vers une PR clinique.
Une étude randomisée sur 2 ans
Treat Earlier a débuté en 2014 et a finalement recruté 236 patients aux Pays-Bas vus en consultation pour des douleurs articulaires qui ne répondaient pas aux critères standard de PR. Leurs caractéristiques étaient typiques d’une PR précoce : âge moyen de 46 ans, environ deux tiers de femmes, avec des symptômes datant d’environ 6 mois auparavant. Environ 30% d'entre eux avaient une élévation de la CRP et étaient positifs pour le facteur rhumatoïde ; environ un quart étaient positifs pour les ACPA.
Les participants ont été randomisés entre le groupe placebo et le groupe de traitement actif, ce dernier consistant en un traitement oral par méthotrexate à une dose maximale de 25 mg/semaine, accompagné d'une injection unique de 120 mg de méthylprednisolone en intra-musculaire. Les deux groupes ont reçu ces traitements pendant un an, avec une année supplémentaire de suivi.
Le critère d’évaluation principal a été le développement d'une arthrite cliniquement détectable (répondant aux critères de la PR 2010 ou impliquant ≥2 articulations) qui persistait pendant au moins 2 semaines. Le suivi de la synovite articulaire a été réalisée en IRM avec le score RAMRIS. Deux sous-analyse ont été pré-spécifiées : chez les patients avec risque de PR ≥ 70% et en fonction de la positivité ACPA.
En pratique
Il s’agit d’une étude « proof-of-concept » qui ne peut à l’évidence pas être généralisée en pratique clinique. D’autant que le début précoce du traitement de fond s'est accompagné d'une certaine toxicité : 27% des patients du groupe méthotrexate ont abandonné le traitement de façon précoce, et environ les trois quarts l'ont fait en raison d'effets indésirables. En comparaison, 19% des patients du groupe placebo ont abandonné celui-ci au cours de la première année.
Treat Earlier confirme cependant l’intérêt du traitement précoce sur les lésions articulaires mais ne donne pas d’argument sur l’impact du traitement immunomodulateur sur le cours évolutif de la maladie, d’autant que dans cette étude, il est difficile de différencier ce qui est lié au corticoïde (l’effet précoce) et ce qui est lié au méthotrexate (la première évaluation est réalisée à 4 mois, délai où le méthotrexate est déjà efficace). Se pose également la question de la durée du traitement dans la mesure où l’effet obtenu sur les arthrites cliniques et l’inflammation IRM ne s’améliore plus vraiment au-delà d’un an (la durée du traitement par le méthotrexate dans cette étude).
La polyarthrite rhumatoïde est une maladie hétérogène et il n’est donc pas surprenant que tous les malades ne réagissent pas complètement au traitement à 2 ans, a fortiori s'il n'ont pas développé la maladie. Du point de vue pratique, elle est assez rassurante pour les cliniciens : la corticothérapie ne risque pas de modifier le diagnostic et de favoriser des lésions articulaires si un traitement efficace est mis en place dès l’apparition des synovites en écho-doppler.