Lutter contre les Fake News
Ostéoporose : les traitements ne font pas perdre de dents
Non les traitement anti-ostéoporotiques ne font pas perdre de dents, même si cette croyance est largement répandue dans la population et sur les réseaux sociaux. Encore faut-il pouvoir répondre à cette « Fake news ». Les recommandations du Pr Bernard Cortet, rhumatologue à Lille.
- ostéoporo/istock
Dans le cadre du traitement de l’ostéoporose, les médecins sont souvent confrontés à une résistance certaine de leurs malades : ceux-ci arguent que leurs dentistes estiment que les traitements contre l'ostéoporose, en particulier les biphosphonates, sont mauvais pour leurs dents et peuvent même provoquer leur chute.
Pour répondre à ces réticences, Fréquence Médicale a interviewé le Pr Bernard Cortet, rhumatologue au CHU de Lille, dans le cadre de son partenariat avec le GRIO, le Groupe de Recherche et d’Information sur l’Ostéoporose.
En vieillissant, il est plus fréquent d'avoir un mauvais état dentaire. Mais est ce que l'ostéoporose est elle-même mauvaise pour les dents ?
On dispose de quelques données qui montrent qu'il y a un certain parallélisme entre la probabilité d'avoir une ostéoporose et la perte des dents. Mais c'est une évaluation qui est un peu grossière. La mauvaise réputation des traitement anti-ostéoporotiques vient de ce que certains traitements, en particulier les bisphosphonates, peuvent de manière exceptionnelle entraîner une complication grave qui s'appelle « l’ostéonécrose de la mâchoire », dont la fréquence est heureusement peu importante (1 cas sur 10 000 traitements). Il y a parfois un petit peu de confusion dans l'esprit des patients, et de certains dentistes, qui pensent finalement que les traitements de l'ostéoporose pourraient être dommageables pour les dents, ce qui bien évidemment n'est pas le cas.
Est-ce que c'est le même type d’os qui supporte les dents par rapport à celui qui est dans le squelette ? Et est-ce que les anti-ostéoporotiques ont les mêmes effets sur ces deux types d’os ?
Globalement, il y a un certain parallélisme, mais qui n'est pas très étroit, entre l'os de la mâchoire et l'os au niveau de la colonne vertébrale ou par exemple au niveau de la hanche. Mais il y a quand même une singularité : c'est que cet os alvéolaire est soumis à des contraintes qui sont liées à la mastication.
Donc il y a, d'une part des contraintes locales liées au fait que l'on mâche une partie de notre journée et, d’autre part, il y a quand même des études qui montrent qu'il y a un certain parallélisme entre ce qui se passe au niveau des vertèbres, au niveau de la hanche, et ce qui se passe dans l’os alvéolaire, au cours du processus de l’ostéoporose. J'ai cité ces deux sites parce que sont des sites particuliers de fractures, de fragilité osseuse. Enfin, l’os alvéolaire est un os qui se renouvelle beaucoup et il n'y a pas de fracture de la mâchoire en rapport avec une ostéoporose.
Au final, on ne dispose pas de beaucoup de données spécifiques quant à l'impact des traitements anti-ostéoporotiques au niveau de l’os de la mâchoire mais, s’ils n’augmentent pas singulièrement sa masse osseuse, ils ne sont pas responsables de sa diminution.
Est-ce que cet os alvéolaire est sensible aux effets de l'âge, du vieillissement ou d'autres facteurs ?
L’os alvéolaire est globalement, comme le tissu osseux en général, sensible à des facteurs hormonaux, à des facteurs plus généraux comme l'âge, mais il est d'abord et avant tout très sensible à des facteurs locaux et régionaux, notamment la mastication, et également bien évidemment l'état sous-jacent des dents et des gencives.
Est-ce qu’une bonne alimentation riche en calcium et en vitamine D, est bonne pour cet os alvéolaire ?
Alors on n'a pas énormément de données. Il est raisonnable de le penser que le traitement par la vitamine D et le calcium, qui a un impact global au niveau du squelette, a également un impact au niveau de la mâchoire.
Et donc, pourquoi les dentistes déconseillent-ils certains traitements contre l'ostéoporose ?
Je pense qu'il y a une certaine confusion dans l'esprit des dentistes entre ces bisphosphonates qui, par argument de fréquence, sont le plus souvent utilisés dans l'ostéoporose à dose faible, et les bisphosphonates à forte dose qui peuvent être utilisés chez des gens qui ont des métastases osseuses. Certaines molécules sont utilisées dans les deux indications, mais la quantité et la dose est bien supérieure dans la prévention ou le contrôle des métastases osseuses : le véritable problème de l'ostéonécrose de la mâchoire, c'est le problème des métastases osseuses où il y a une fréquence qui est beaucoup plus élevée. On n'est pas à un sur 10 000 d’incidence de l’ostéonécrose, on est à 1%, voire même dans certaines séries à 10%.
Par ailleurs, on peut tout à fait sous bisphosphonates au cours de l’ostéoporose, effectuer les extractions dentaires, mais en pratique, assez fréquemment les dentistes estiment que c'est trop dangereux, alors que l’on a maintenant un certain nombre d'études avec un recul conséquent qui montrent, qu'y compris sous bisphosphonates, il n'y a pas de risque particulier en moyenne.
Néanmoins, il est important de considérer que lorsqu'on prescrit un traitement par bisphosphonates, ou par le dénosumab, dont mécanisme d'action est un peu différent mais qui est également un inhibiteur de résorption osseuse, il faut effectuer préalablement un bilan bucco-dentaire chez le dentiste.
Le but, bien évidemment, ce n’est pas de dire qu’il y a les dentistes d'un côté, les rhumatologues et les médecins généralistes de l'autre, mais c’est qu’un dialogue puisse s'instaurer entre le dentiste, la patiente et le rhumatologue ou le prescripteur du bisphosphonates. Ce qui, malheureusement, dans les faits, n'est pas toujours le cas et quelquefois la patiente est, en quelque sorte, prise en otage entre les deux.
Oui, on voit des « effets ping pong », le médecin disant qu'il faut se dépêcher de traiter l'ostéoporose avant qu'il y ait une deuxième fracture et le dentiste qui dit qu'il faut qu'il ait fini ses soins dentaires avant ?
Je crois qu'il faut savoir en effet raison garder. Lorsque la patiente a vraiment un risque très élevé de fracture. C'est-à-dire, par exemple, une femme qui vient d’avoir une fracture de vertèbre, on sait qu'elle a un risque important de récidive. Là, je pense qu'il est raisonnable de débuter rapidement le traitement. En revanche, il y a des situations moins urgentes, par exemple une ostéoporose uniquement sur la densitométrie et pour laquelle il y a une indication à traiter : dans ce cas-là, je pense qu'il est raisonnable d'effectuer les soins dentaires jusqu'à leur terme, y compris des extractions dentaires, si elles sont nécessaires.
Et donc, en pratique, quel est votre message sur l'ostéoporose et le risque dentaire ?
Globalement, les dents et l’os alvéolaire sont un tissu calcifié et, donc, il y a un parallélisme entre le fait d'avoir une ostéoporose et le risque d'avoir une chute prématurée des dents, même si on n'a pas de données scientifiques qui montrent qu'en donnant un bisphosphonates, on va ralentir cette perte dentaire.
Et puis le deuxième message, c'est d'indiquer qu'il faut faire un bilan bucco-dentaire avant la mise en œuvre d'un traitement par bisphosphonates mais, si le risque fracturaire est très élevé, il ne faut pas hésiter à débuter le traitement anti-ostéoporotique avant la fin des soins dentaires.