Infectiologie
Covid-19 : efficacité confirmée du tocilizumab dans les formes hyper-inflammatoires
Confirmant l’étude française CORIMUNO-19-TOCI-1, l’étude versus placebo et sur une population plus large démontre l’intérêt du tocilizumab chez les malades hospitalisés pour hypoxémie et syndrome hyper-inflammatoire. Cet anti-IL6R réduit d’un tiers le risque d’intubation et de passage en réanimation.
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Calquée sur le modèle de l’étude CORIMUNO-19-TOCI-1, mais avec un protocole d’analyse statistique classique, une nouvelle étude phase 3, randomisée versus placebo, confirme l’intérêt réel du tocilizumab dans les formes hospitalisées précoces de la Covid-19 avec syndrome hyper-inflammatoire.
Publiée dans le New England Journal of Medicine, cette étude EMPACTA, randomisée versus placebo, sur 389 malades hospitalisés pour une forme hypoxémiante et avec un syndrome hyper-inflammatoire (CRP à 136 mg/L en moyenne), montre que 1 ou 2 doses de cet inhibiteur de l’IL6-R réduisent d’un tiers le risque à 28 jours de mise sous ventilation mécanique en réanimation ou de décès (12,0% versus 19,3% ; p=0.04), parallèlement à une réduction d’un quart des effets secondaires sévères (15,2% versus 19,7%).
Confirmation de l’essai français
L'essai prospectif randomisé français CORIMUNO-19-TOCI-1, parfait exemple de réalisation d’un essai méthodologiquement strict en période de désorganisation pandémique des hôpitaux, est un essai randomisé bayésien qui avait recruté des patients hospitalisés souffrant d'une pneumonie Covid-19 modérée ou sévère, ayant besoin d'oxygène, mais sans ventilation mécanique (ou non-invasive à haut débit) et avec une CRP moyenne à 120 mg/L.
Au 14e jour, 24% des patients du groupe tocilizumab avaient eu besoin d'une ventilation non invasive (VNI) ou d'une ventilation mécanique (VM) ou étaient décédés par comparaison à 36% dans le groupe sans tocilizumab, soit une réduction de 42% (RR 0,58 ; 90% IC, 0,33-1,00), atteignant le seuil d'efficacité prédéfini. Des effets indésirables graves étaient survenus chez 20 patients du groupe tocilizumab (32%) vs 29 du groupe contrôle (43%) (P = 0,21).
Un anticorps monoclonal contre l’hyper-inflammation
Le tocilizumab est un anticorps monoclonal humanisé anti-récepteur de l'interleukine 6 (anti-IL-6R). Il est habituellement utilisé dans la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Horton, mais aussi en cas de syndrome de relargage cytokinique après traitement d’une hémopathie par CAR-T cells.
Son utilisation dans la Covid-19, lors du déclenchement de l’orage cytokinique et en prévention du passage en réanimation, a été proposé à partir de plusieurs études observationnelles qui ont même évoqué un bénéfice tardif sur la mortalité, mais ses résultats dans différentes études randomisées de qualités inégales ont fait discuté son intérêt réel, surtout depuis la démonstration du bénéfice de la dexaméthasone sur le même type de malades.
Réduction du risque d’aggravation
De ces 2 études de très bonne qualité, il ressort que le tocilizumab est clairement efficace chez les malades Covid+ hospitalisés pour une forme hypoxémiante et avec un syndrome hyper-inflammatoire annonciateur d’une forme immunologique très sévère.
Dans l’étude CORIMUNO-19-TOCI-1, les malades sont très représentatifs de cet « orage cytokinique » débutant, avec une CRP, une ferritine et des D-dimères très élevés. Dans l’étude EMPACTA, les malades ont un profil identique, hyper-inflammatoire avec CRP, fibrinogène et D-dimères élevés. La réduction du risque de passage en réanimation justifie médicalement et économiquement l’utilisation de cette molécule chez ce type de malades très inflammatoires, alors qu’elle n’est pas justifiée chez les malades avec CRP modérément élevée comme dans une étude américaine randomisée (qui de plus n’a utilisé qu’une dose de tocilizumab).
L’absence de réduction de la mortalité à 28 jours est normale dans une population de malades qui est susceptible de rester en réanimation jusqu’à 5 semaines, mais il faudra suivre les résultats de ces 2 essais à 90 jours.
Une maladie très hétérogène
La Covid-19 est une maladie très hétérogène avec, lors du syndrome de détresse respiratoire aigu, des formes virales alvéolaires prédominantes, où la ventilation mécanique en hyperpression est certainement critique, des formes vasculaires virales et inflammatoires prédominantes, où le traitement anticoagulant à forte dose est critique, et des formes hyper-inflammatoires, où il peut exister un « orage cytokinique » et c’est dans la prévention de celles-ci que le tocilizumab (8 mg x 2) a toute son utilité pour les prévenir.
Dans les formes hospitalisées hypoxémiantes et hyper-inflammatoires de la Covid-19, il y a donc une fenêtre d’opportunité pour un traitement anti-inflammatoire intense, par corticoïdes et/ou anti-IL6R, qui doit être appliqué ni trop tôt (majoration du risque infectieux), ni trop tard, et surtout uniquement chez des malades qui ont un vrai syndrome hyper-inflammatoire annonciateur d’un orage cytokinique.
Il ne sert à rien de faire des essais randomisés versus placebo sur les mauvais malades : « Garbage in, garbage out ». La discussion vis-à-vis du tocilizumab doit désormais porter sur la définition précoce de ce syndrome hyper-inflammatoire, en fonction de quels biomarqueurs (quel taux de CRP ? Fibrinogène ? Ferritine ?...), et sur la stratégie choisir : corticoïde, avec ou sans tocilizumab. L’équipe française teste en ce moment cette association dans l’essai CORIMUNO-Tocidex.