Hématologie

Cryoglobulinémies : désormais deux maladies distinctes

Les cryoglobulinémies correspondent à un syndrome pathologique caractérisé par la précipitation au froid de certaines immunoglobulines du sérum. Elles correspondraient en réalité à deux entités distinctes sous une même appellation, différant par leurs causes, leurs mécanismes physiopathologiques et leurs implications cliniques et thérapeutiques.

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  • 24 Oct 2024
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    Les cryoglobulinémies correspondent à un syndrome pathologique caractérisé par la précipitation réversible de certaines immunoglobulines du sérum lorsqu'il est refroidi en dessous de 4 °C. Une revue publiée par une équipe française, Cacoub et coll., dans le New England Journal of Medicine, clarifie remarquablement leur compréhension et leur prise en charge.

    Découvertes en 1933 par Wintrobe et Buell, ces maladies a été approfondie par Lerner et Watson, qui ont identifié ces protéines comme des gamma globulines, introduisant le terme de cryoglobulines.

    En 1974, Brouet et coll. ont proposé une classification toujours utilisée aujourd'hui, basée sur le type d'immunoglobulines impliquées :
    • Type I : Présence d'une immunoglobuline monoclonale unique (IgM, IgG ou IgA). Ce type est généralement associé à des hémopathies malignes telles que les lymphomes, la macroglobulinémie de Waldenström, le myélome multiple et les gammapathies monoclonales de signification clinique.
    • Type II : Association d'IgG polyclonales avec des IgM monoclonales ayant une activité de facteur rhumatoïde.
    • Type III : Présence d'IgG et d'IgM polyclonales.
    Les types II et III sont désignés sous le nom de cryoglobulinémies mixtes. Les cryoglobulinémies mixtes sont souvent associées à des maladies auto-immunes systémiques (comme le syndrome de Sjögren, la polyarthrite rhumatoïde ou le lupus érythémateux systémique) ou à des infections chroniques, notamment l'infection par le virus de l'hépatite C (VHC). L'infection par le VHC a en effet transformé la compréhension et la prise en charge de ces cryoglobulinémies, auparavant considérées comme "essentielles".

    Deux spectres très différents de maladies associées

    Dans le type I, la cryoglobulinémie est généralement associé à des hémopathies malignes, telles que les lymphomes, la macroglobulinémie de Waldenström, le myélome multiple et les gammapathies monoclonales de signification indéterminée. Il résulte de l'expansion d'un clone unique de cellules B produisant une immunoglobuline monoclonale. Cette immunoglobuline précipite dans les vaisseaux sanguins à basse température, conduisant à une obstruction mécanique, des thromboses et des symptômes d'hyperviscosité sanguine. Contrairement aux types mixtes, le type I n'implique pas de complexes immuns ni de vascularite médiée par le complément.

    Les cryoglobulinémies mixtes (types II et III) résultent de la formation de complexes immuns circulants. Elles sont le plus souvent liées à des maladies auto-immunes systémiques (comme le syndrome de Sjögren ou le lupus érythémateux systémique) ou à des infections chroniques, notamment l'infection par le virus de l'hépatite C (VHC).

    L'infection par le VHC a transformé la compréhension et la prise en charge de ces cryoglobulinémies, auparavant appelées « essentielles ». Le VHC, en tant que virus lymphotrope, stimule de manière chronique les lymphocytes B, conduisant à la production d'auto-anticorps et à la formation de complexes immuns circulants. Ces complexes se déposent dans les petits vaisseaux, provoquant une vascularite médiée par le complément. La progression de l'activation des lymphocytes B peut aboutir à une expansion clonale et, dans certains cas, à une transformation lymphomateuse. Les patients atteints de cryoglobulinémie mixte liée au VHC ont également un risque significativement accru de développer un lymphome B, soulignant l'importance d'un dépistage et d'un suivi rigoureux.

    Manifestations cliniques et diagnostic

    Les manifestations cliniques de la cryoglobulinémie sont variées et peuvent affecter presque tous les organes, faisant de ce syndrome une véritable maladie systémique. Cependant, certaines différences subtiles aident à distinguer les deux types :
    • Cryoglobulinémie de Type I : Les symptômes cutanés dépendent fortement de la température ambiante, avec une nécrose cutanée plus marquée. Les patients peuvent souffrir de symptômes d'hyperviscosité, tels que des saignements des muqueuses et des signes neurosensoriels. Les arthralgies sont moins fréquentes, et les atteintes rénales sont souvent liées à la maladie hématologique sous-jacente.
    • Cryoglobulinémies mixtes : Les patients ont souvent un purpura vasculaire, parfois nécrotique, des arthralgies inflammatoires non destructrices et une polyneuropathie sensitivomotrice. L'atteinte rénale, sous forme de glomérulonéphrite membrano-proliférative, est présente chez environ un tiers des patients, avec des poussées successives qui peuvent altérer la fonction rénale.

    Le diagnostic repose sur la détection des cryoglobulines dans le sérum, un processus très délicat qui nécessita que le prélèvement sanguin soit effectivement maintenu à 37 °C jusqu'à la séparation du sérum pour éviter une précipitation ex vivo. Après incubation à 4 °C pendant plusieurs jours, la quantité de cryoprécipité est mesurée en grammes par litre ou de manière semi-quantitative.

    L'analyse immunochimique des cryoprécipités permet de déterminer le type de cryoglobulinémie selon la classification de Brouet. En présence de symptômes évocateurs mais avec des tests négatifs, certains indices biologiques peuvent orienter le diagnostic : hypergammaglobulinémie, présence d'un pic monoclonal à l'immunofixation, consommation du complément (diminution des fractions C4 et CH50) et activité de facteur rhumatoïde. Des anomalies hématologiques comme une pseudo-leucocytose ou une pseudo-macrocytose peuvent également être observées en raison de l'interférence des cryoglobulines avec les analyses automatisées.

    Des examens complémentaires sont essentiels pour identifier la cause sous-jacente. Dans les cryoglobulinémies mixtes, un dépistage des infections chroniques (notamment le VHC) et des maladies auto-immunes est indispensable. Pour le type I, une exploration hématologique approfondie est nécessaire pour détecter une éventuelle hémopathie maligne, incluant une électrophorèse des protéines sériques, une immunofixation, un dosage des chaînes légères libres et parfois une biopsie médullaire.

    Les biopsies tissulaires peuvent apporter des éléments diagnostiques essentiels. Les biopsies cutanées peuvent révéler une vascularite leucocytoclasique avec dépôts d'immunoglobulines et de complément. Une biopsie rénale peut montrer une glomérulonéphrite membrano-proliférative, caractéristique des cryoglobulinémies mixtes.

    Un traitement dicté par la maladie associée

    Le traitement de la cryoglobulinémie est détaillé dans la publication et dépend du type et de la cause sous-jacente :

    • Cryoglobulinémie Type I : Le traitement vise principalement la maladie hématologique sous-jacente. Les options thérapeutiques incluent des agents ciblant les cellules B clonales et, dans ce contexte, le rituximab est utilisé pour les immunoglobulines de type IgM. Des agents anti-plasmocytaires sont aussi utilisé comme le bortézomib. Les anticorps anti-CD38 (daratumumab, isatuximab) sont employés pour les immunoglobulines de type IgG ou IgA. Les échanges plasmatiques sont utilisés si l’on a besoin de réduire rapidement le taux de cryoglobulines circulantes, notamment en cas de symptômes sévères d'hyperviscosité ou de thromboses. Les corticoïdes et les immunosuppresseurs sont prescrits selon la présentation clinique et de la sévérité des symptômes.

    • Cryoglobulinémies mixtes (types II et III) : Pour les formes infectieuses, le traitement étiologique est primordial. L'éradication du VHC et les agents antiviraux à action directe (AAD) ont révolutionné la prise en charge, avec un taux de réponse virologique soutenue supérieur à 95%, entraînant souvent une rémission des symptômes de vascularite. Une immunothérapie ciblée, comme le rituximab, est utilisée pour cibler les lymphocytes B en cas de formes sévères ou réfractaires. Elle peut être associés aux AAD chez les patients présentant une vascularite sévère. Les corticoïdes sont prescrits pour contrôler les manifestations aiguës et inflammatoires de la vascularite. Les échanges plasmatiques sont rééservés aux manifestations les plus graves, comme les atteintes rénales sévères ou neurologiques. Dans les cas de cryoglobulinémies mixtes non infectieuses, le traitement est adapté à la maladie auto-immune sous-jacente, avec l'utilisation possible de corticoïdes, d'immunosuppresseurs classiques ou de thérapies biologiques spécifiques. Les avancées thérapeutiques, notamment avec les AAD et les immunothérapies ciblées, ont amélioré le pronostic des patients atteints de cryoglobulinémie mixte liée au VHC. Cependant, des défis subsistent, tels que la gestion des formes réfractaires et la prévention de la progression vers un lymphome B.

    Des études cliniques évaluent actuellement de nouvelles approches, comme l'utilisation combinée du rituximab avec le bélimumab (un anticorps anti-BAFF) pour moduler l'activité des lymphocytes B, ou l'utilisation d'agents de nouvelle génération ciblant les cellules B et plasmocytaires. Dans le type I, l'efficacité des anticorps anti-CD38 ouvre des perspectives prometteuses pour cibler spécifiquement les plasmocytes pathogènes.

    En pratique

    Les cryoglobulinémies représentent deux entités distinctes sous une même appellation, différant par leurs causes, leurs mécanismes physiopathologiques et leurs implications cliniques et thérapeutiques. La classification en types I, II et III est fondamentale pour orienter le diagnostic, identifier la maladie sous-jacente et adapter la prise en charge thérapeutique. Une reconnaissance précoce et une approche diagnostique rigoureuse sont essentielles pour améliorer le pronostic des patients.

    Les progrès récents, en particulier dans le traitement de l'infection par le VHC et le développement de thérapies ciblées, ont considérablement amélioré le pronostic des patients. Une approche multidisciplinaire et personnalisée reste fondamentale pour optimiser les résultats cliniques et offrir de nouvelles perspectives aux patients atteints de cette maladie complexe.

     

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