Témoignage patient
Drépanocytose : “On a souvent l’impression d’être seul alors que c’est la première maladie génétique au monde”
La drépanocytose est une maladie génétique très douloureuse qui affecte l’hémoglobine des globules rouges. L'un des seuls traitements curatifs est la greffe de moelle osseuse. Antoinette, diagnostiquée à 4 ans, a pu bénéficier de cette procédure en 2021. Elle se confie sur son combat face à cette pathologie méconnue du grand public.

- Par Sophie Raffin
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La drépanocytose est la maladie génétique la plus fréquente dans le monde. On compte entre 20.000 et 30.000 cas en France. Et pourtant, comme le confirme Antoinette qui a grandi avec cette pathologie, "elle reste méconnue". C’est pourquoi la trentenaire multiplie les initiatives pour lever le voile sur cette maladie qui impacte les globules rouges.
"Au lieu d’être ronds, les globules rouges des patients drépanocytaires sont en forme de banane. Ils finissent par obstruer la circulation sanguine dans les petits vaisseaux sanguins. Ces “bouchons” entraînent des douleurs aiguës très violentes qu’on appelle crise vaso-occlusive", précise celle qui tient le compte Instagram itinerairedunegreffano. “La drépanocytose est vraiment une maladie de la douleur."Drépanocytose : "Ma première crise douloureuse est arrivée à 4 ans"
Antoinette a été confrontée à ces souffrances dès le plus jeune âge. "Ma première crise douloureuse est arrivée à l'âge de quatre ans. J’avais d’énormes douleurs aux jambes et au dos et j’ai été transportée à l'hôpital de Dreux, soit à 30 min de chez moi. C’est au cours de cette première hospitalisation qu’on a annoncée à ma maman que j’étais porteuse du trait drépanocytaire SS." Il s’agit de la forme la plus répandue, mais aussi la plus sévère de la maladie. Elle est associée à la présence de deux copies du gène codant pour l’hémoglobine S au niveau du chromosome 11. Et qu’est-ce que l’enfant qu’elle était, avait saisi de la situation ? "J’ai assez vite compris que j’étais différente de ma sœur et de mon frère : je n’allais pas à l’école, j’avais des médicaments, j’étais davantage couvé par mon entourage... J’ai aussi rapidement compris que je pouvais avoir des crises douloureuses à tout moment et que ça allait être comme ça tout au long de ma vie." Et en effet au cours des années suivantes, les visites à l'hôpital se sont multipliées. Ce qui a nourrit ce sentiment de différence. "J’ai ressenti beaucoup de solitude et d’incompréhension pendant très longtemps." Les crises vaso-occlusives – et par effet domino les hospitalisations – ont cessé quand Antoinette a eu 8 ans. "Je pouvais entrevoir une vie normale et je pense que j’ai alors inconsciemment cherché à oublier la maladie. Jusqu’à ce qu’elle me rattrape à l'âge de 13 ans. J’étais en 3e et j’ai fait une crise en pleine nuit. J’arrivai à peine à bouger, tellement j’avais mal. J’ai dû ramper jusqu’à la chambre de ma mère pour l'alerter. C'était un peu comme si c’était une première crise, au final, car je devais faire face à quelque chose que je ne maîtrisais pas ou plus", se souvient-elle. Les vives douleurs aux articulations ne sont pas le seul trouble de la maladie. L'anémie, la fièvre ou encore les infections à répétition font aussi partie du quotidien complexe des drépanocytaires. Pour tenter de l’adoucir, il faut remplacer l’hémoglobine malade par une saine via des transfusions de concentrés de globules rouges. "J’avais une transfusion environ toutes les 5 à 6 semaines en fonction des réserves de sang. Pendant ma grossesse, c’était toutes les deux semaines." Ayant grandi avec la maladie, Antoinette avait accepter la drépanocytose au fil des années et avait décidé de vivre intensément tous les moments où elle n’était pas à l'hôpital. "Mais avec l’âge et surtout l’arrivée de ma fille, c’est devenu plus difficile. Ce qui a été compliqué était de voir que la pathologie – qui ne m’avait jusque-là pas vraiment empêchée de vivre ma vie comme je voulais – impactait ma maternité. Trois mois après sa naissance, j’ai fait une crise et j’ai été hospitalisée", se confie-t-elle. Et pour la jeune mère, cela a été compliqué à gérer. "J'ai eu l’impression de manquer à mon rôle de maman, que la maladie était un obstacle pour que ma fille grandisse dans les meilleures conditions. Cela a vraiment été dur d’être confronté à la réalité de la maladie dans la maternité." Et, la drépanocytose n'était pas du tout décidé à prendre un “congé maternité”. Deux ans après la naissance de son enfant, une complication de la pathologie, appelée ulcère veineux, a intensifié les séjours hospitaliers. "L’ulcère était si douloureux que chaque mois, je passais 3 semaines à l'hôpital et une semaine à la maison. Je voyais peu ma fille à cette époque". C’est dans ce contexte difficile physiquement et psychologiquement que la possibilité d’une greffe de moelle osseuse a été évoquée par son médecin de l'hôpital Necker. Il s’agit du seul traitement curateur de la drépanocytose à ce jour. Mais compte tenu de sa lourdeur et de son coût, il n’est proposé qu’aux cas graves actuellement. Ainsi, en 2019, le frère et la sœur d'Antoinette ont passé les tests permettant de déterminer s’ils pouvaient être donneurs. "Mon frère n'était pas compatible et ma sœur à 50 %". Ces résultats ont stoppé le projet, car les équipes médicales avaient alors besoin d’un donneur compatible à 100 %. Mais la donne a rapidement changé. "Un an après, lors de ma consultation annuelle, le docteur Joseph qui me suit, m’a expliqué que des études sur la réussite des greffons à moitié compatibles étaient positives. Ces nouvelles données lui permettaient de pouvoir donc me proposer ce type de greffe”. Antoinette et sa sœur ont tout de suite accepté l’offre et ont commencé les examens en prévision de l’opération. Mais tout a été suspendu… avec l’arrivée de l’épidémie de la Covid-19. "Cela a été compliqué pour moi psychologiquement d’avoir eu un espoir puis de ne plus savoir si je pourrais faire une greffe", reconnaît la jeune femme. L’espoir est revenu en juin avec le déconfinement. "Mon médecin m’a dit qu’on allait pouvoir accélérer les échanges transfusionnels pour pouvoir faire la greffe. On recommence les examens. Ma sœur, qui vit en Angleterre, vient faire la consultation. Mais il y a eu une nouvelle vague de Covid et ma sœur a dû repartir." Deux autres dates d’opération ont été ensuite fixées... pour être à nouveau annulées. "C’était compliqué pour moi, mais aussi pour ma sœur qui n’est pas sûre de pouvoir revenir faire le don." Après ces nombreuses tentatives échouées, le moral n'était pas au beau fixe. "J’avais peur pour ma santé, car je voyais que les médecins étaient de plus en plus démunis face à mon état de santé dégradé. Et l'espoir de la greffe semblait s’éloigner. J’ai alors eu l’idée de demander si mon demi-frère, pouvait faire le test de compatibilité. Le médecin a accepté." Et les tests ont révélé qu’il était également compatible à 50 %. La "machine" greffe a alors pu être relancée. Antoinette est rentrée à l'hôpital pour effectuer 12 séances de chimiothérapie en l’espace de 5 jours. L’objectif ? Détruire les cellules souches “malades” de sa moelle afin de pouvoir les remplacer par celles de son petit frère. De son côté, le jeune homme de 18 ans – après plusieurs examens et une période d’isolement pour se protéger du SARS-CoV-2 et d’autres virus – a pu faire son don le 1er février 2021. "J’ai reçu le greffon le 2 février vers 18 heures. J’étais la première patiente de l'hôpital Necker à faire une greffe à moitié compatible", ajoute la patiente. Et après ces procédures éprouvantes, la bonne nouvelle est tombée : "mon hémoglobine malade, la S, était quasiment indétectable. J’en avais seulement 2 % et par contre 98 % d'hémoglobine A (des globules rouges en bonne santé, NDLR). Ce qui est très bien pour une greffe à moitié compatible." Les 12 premiers mois n’ont pas été simples. "J’ai fait énormément d'infections. L’année de la greffe, j’ai passé l’équivalent de cinq mois et demi à l'hôpital, en plus des deux mois pour la greffe. Mais les médecins m’avaient prévenu qu’elles risquaient d’être plus nombreuses au début. C’était dur d’être éloigné de ma fille et de mon mari, mais j’étais soulagée de voir que la greffe avait réussi. Pour moi bien sûr… mais pas seulement, pour mon petit frère aussi." Finalement, Antoinette a été déclarée guérie un an après sa greffe. "On dit guéri. Mais moi, je dirais plutôt en rémission. Lorsqu’on est greffé à l’âge adulte, la drépanocytose a un tel impact sur le corps et la psychisme que je pense qu’on ne guérit jamais totalement." Si on ne peut pas effacer pas le passé, les crises douloureuses et les hospitalisations à répétition ont bien disparu pour leur part. "Je réalise la chance que j’ai eue à pouvoir être greffée. Cela m’a permis de construire une vie “normale” malgré mon patrimoine génétique." Aujourd’hui, Antoinette qui partage son expérience et son vécu avec la maladie sur Facebook depuis 2013 et sur Instagram depuis 2020, œuvre pour faire connaître la drépanocytose et apporter son soutien aux drépanocytaires. Elle utilise également ses mots et ses contenus pour promouvoir un geste important : le don du sang. "Les personnes en bonne santé ont un pouvoir incroyable : elles peuvent donner leur sang. C’est utile pour les patients drépanocytaires qui ont d'importants besoins en transfusion pour mener une vie plus ou moins normale, mais aussi pour les femmes qui accouchent, les accidentés…" Antoinette aimerait que cet appel soit particulièrement entendu par les personnes ayant des origines africaines ou caribéennes. "Étant donné que les drépanocytaires sont majoritairement afro-descendants, on a besoin que des personnes en bonne santé afrodescendantes aillent donner leur sang. En effet, on a besoin de gens qui nous ressemblent pour réduire les risques de rejet." Et si vous ne pouvez pas personnellement donner votre sang, n’hésitez pas à sensibiliser votre entourage à le faire ! "Un don de sang de 10 min peut sauver jusqu’à trois vies et améliorer le quotidien de plusieurs patients", conclut Antoinette.Crise vaso-occlusive : "J’ai dû ramper jusqu’à la chambre de ma mère pour l'alerter"
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