Rhumatologie

SAPHO : avancées thérapeutiques efficaces malgré sa diversité clinique

Le SAPHO est une maladie auto-inflammatoire rare, caractérisée par l'association d'une atteinte neutrophilique cutanée variée et d'une ostéomyélite chronique non bactérienne. Une compréhension approfondie de sa diversité clinique est essentielle pour améliorer le diagnostic précoce et le traitement, qui est basé sur le profil phénotypique.

  • Rasi Bhadramani.istock
  • 20 Fév 2025
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    Le SAPHO (syndrome Synovite, Acné, Pustulose, Hyperostose et Ostéite) touche principalement les adultes, tandis que la CNO (Ostéite Chronique Non Bactérienne) est son probable équivalent pédiatrique. Ces deux affections partagent des caractéristiques communes, notamment une inflammation osseuse stérile, souvent multifocale, et des manifestations neutrophiliques cutanées inflammatoires telles que la pustulose palmoplantaire (PPP), le psoriasis, l'acné sévère ou l’hydrosadénite suppurée (maladie de Verneuil).

    La cause demeure inconnue. L'origine du syndrome SAPHO semble multifactorielle avec des composantes génétiques, environnementales, immunologiques et infectieuses. Les bactéries à croissance lente, telles que Propionibacterium acnes, pourraient jouer le rôle de facteur déclenchant mais les lésions osseuses sont stériles. L'âge d'apparition va de l'adolescence à la fin de l'âge adulte, l'âge médian se situant entre 30 et 40 ans. L'incidence est estimée à moins de 1 pour 10 000 personnes, avec une prédominance féminine.

    La maladie évolue généralement de manière chronique, avec des périodes alternées de rémission et de rechute, avec parfois l'apparition de nouvelles lésions ostéosclérotiques. Une résolution spontanée est possible. Les complications incluent une perturbation de la fonction osseuse et articulaire, une compression vasculaire, un syndrome de douleur chronique et une progression vers une spondylo-arthrite classique.

    Grande diversité des tableaux cliniques

    La présentation clinique initiale du syndrome SAPHO et de la CNO est hétérogène en termes de types et d’intensité des lésions. Ceci contribue au retard diagnostic fréquent, qui peut aller jusqu'à 9 ans. La diversité des symptômes nécessite une attention particulière pour identifier correctement les différents tableaux cliniques car il n’existe pas de critères diagnostiques unversels validés.

    Manifestations ostéo-articulaires

    La survenue d'une douleur osseuse et articulaire, d'une raideur et d'un gonflement est le plus souvent insidieuse. L’atteinte est fréquemment plurifocale et celle de la paroi thoracique antérieure est la manifestation la plus caractéristique du syndrome SAPHO.

    Chez les adultes, l'inflammation se manifeste surtout au niveau de la paroi thoracique antérieure, mais aussi au niveau de la colonne vertébrale, et moins fréquemment au niveau de la mandibule et des os iliaques. Chez les enfants, la distribution est comparable à celle de l'ostéomyélite non bactérienne chronique (CNO/CRMO) (os longs, clavicules, colonne vertébrale). Les patients se plaignent de douleurs inflammatoires, d’un gonflement et d’une sensibilité au niveau des articulations sternoclaviculaires, manubriosternales et costosternales. L'amplitude des mouvements peut être limitée en fonction de la sévérité des symptômes. L'hyperostose et l'ostéite peuvent entraîner une limitation de la mobilité et une déformation visible.

    En cas de survenue d'une synovite, cette dernière se manifeste le plus souvent au niveau des articulations sacro-iliaques, des hanches, des genoux des chevilles et des poignets, ou au niveau des articulations sterno-claviculaires. Une atteinte vertébrale et sacroiliaque est présente chez près de 50% des patients, elle concerne principalement la colonne thoracique et lombaire. Les lésions peuvent inclure une atteinte condensante des coins vertébraux, des spondylodiscites, des lésions ostéolytiques, des ostéoscléroses, des érosions et des ossifications paravertébrales et une sacroiliite asymétrique. Les patients peuvent souffrir de dorsalgies inflammatoires, de raideurs et, dans les cas sévères, de complications neurologiques. Les atteintes vertébrales seraient un signe de sévérité de la maladie.

    Moins fréquente, l’atteinte mandibulaire se manifeste par des douleurs et un gonflement de la mandibule, pouvant être confondus avec des affections dentaires. Elle est plus courante chez les jeunes femmes et peut entraîner des complications esthétiques et fonctionnelles.

    Dans la CNO, les enfants souffrent souvent de douleurs osseuses localisées aux membres inférieurs, avec les épiphyses et les métaphyses du fémur et du tibia comme sites prédominants. Les lésions peuvent être unifocales ou multifocales, et l'atteinte asymptomatique est fréquente. L'inflammation des métaphyses et des épiphyses peut entraîner des troubles de la croissance, des fractures pathologiques et des déformations osseuses.

    Manifestations cutanées

    Les manifestations cutanées débutent souvent un à deux ans avant les changements osseux, mais elles peuvent aussi apparaître de manière simultanée, ou plus de 20 ans plus tard. La pustulose palmoplantaire (PPP) est l’atteinte cutanée la plus fréquente dans le syndrome SAPHO. Elle se caractérise par des pustules stériles sur les paumes des mains et les plantes des pieds, associées à une desquamation et un érythème.

    Un psoriasis vulgaire est présent chez certains patients, il se manifeste par des plaques érythémato-squameuses sur le cuir chevelu, les coudes, les genoux et le tronc.

    Une acné sévère (acné conglobata) et une hydrosadenite suppurée sont des formes sévères d'acné inflammatoire, avec des nodules douloureux, des abcès et des cicatrices. Ces manifestations cutanées sont souvent associées à une évolution plus agressive de la maladie. Rarement rapporté, le pyoderma gangrenosum (maladie de Verneuil) se caractérise par des ulcérations cutanées douloureuses avec des bords surélevés. L’évolution des manifestations cutanées est souvent indépendante des atteintes articulaires, ce qui complique le suivi et le traitement.

    Manifestations systémiques et autres organes

    Des symptômes généraux, à type de fatigue, fièvre légère, perte de poids et malaise général, peuvent accompagner les poussées inflammatoires. Des cas rares d'atteinte pulmonaire inflammatoire ont été rapportés, nécessitant une surveillance attentive.

    Les patients peuvent également souffrir de douleur abdominale, de diarrhée, de fissures anales ou d'abcès, indiquant l'association possible avec une maladie inflammatoire de l'intestin (MICI). Les patients peuvent souffrir d'autres affections auto-immunes, suggérant un terrain immunologique commun.

    Approches diagnostiques détaillées

    Le diagnostic, suspecté à l'examen clinique, repose sur une combinaison de caractéristiques cliniques, biologiques et d'imagerie, en l'absence de biomarqueurs spécifiques.

    La VS et la CRP peuvent être normales ou modérément élevées, sans corrélation directe avec l'activité de la maladie. Généralement absents ou présents à de faibles titres, les facteurs rhumatoïdes et les anticorps antinucléaires n'ont pas de valeur diagnostique spécifique. Les hémocultures et les analyses microbiologiques sont négatives, confirmant la nature stérile de l'inflammation osseuse.

    Le TEP-scan matérialise bien l’activité et l’extension de la maladie. L’IRM est la méthode de choix pour détecter les lésions osseuses actives, l'IRM permet de visualiser l'œdème osseux, les érosions et l'hyperostose. L'IRM corps entier est particulièrement utile dans la CNO pour identifier les lésions asymptomatiques. L’imagerie peut objectiver la combinaison d'une ostéolyse et d'une ostéosclérose avec une hyperostose secondaire, un œdème de la moelle osseuse, une inflammation endostéo-périostée, une myosite périfocale et une arthrite adjacente. La scintigraphie osseuse est intéressante quand elle montre le « signe de la tête de taureau » caractéristique du syndrome SAPHO, et qui correspond à une hyperfixation au niveau des articulations sternoclaviculaires. Le scanner osseux fournit des détails sur les modifications osseuses corticales et les zones d'hyperostose, utile pour évaluer l'étendue des lésions.

    La biopsie osseuse n’est indiquée qu’en cas de doute diagnostique pour exclure une infection ou une tumeur. Les résultats révèlent souvent un infiltrat de neutrophiles dans les stades précoces de la maladie, remplacés progressivement par des cellules mononucléées, et associé à une sclérose dans les stades tardifs de la maladie. L'examen bactériologique est parfois positif pour Propionibacterium acnes. La culture du liquide synovial est généralement négative.

    Le diagnostic différentiel inclut en effet une ostéomyélite infectieuse ou une arthrite, une histiocytose langerhansienne et des tumeurs osseuses telles qu'un sarcome d'Ewing, un ostéoblastome et un ostéome ostéoïde. L'hypophosphatasie peut imiter le phénotype osseux du syndrome SAPHO.

    Différents score diagnostiques ont été proposés depuis ceux initialement proposé par Benhamou Y et al. Dans tous les scores, on retrouve donc l’association entre des lésions ostéo-articulaires inflammatoires (stériles) et des atteintes cutanées caractéristiques, associée à l’exclusion d’autres causes de symptomatologie similaire (infection, cancer, autre rhumatisme inflammatoire). La mise en évidence de l’atteinte de la paroi thoracique antérieure au scanner ou à l’IRM, et la validation de manifestations dermatologiques typiques (pustulose, formes sévères d’acné, psoriasis pustuleux) ou leur équivalent clinique (pustulose palmoplantaire), sont ainsi des éléments clés de la suspicion diagnostique, quel que soit le score considéré.

    Options thérapeutiques surtout symptomatiques

    Le traitement vise à contrôler l'inflammation, soulager la douleur et prévenir les complications.

    Le traitement des douleurs osseuses repose sur des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) qui représentent la première ligne de traitement pour réduire l'inflammation et la douleur. Leur efficacité est variable et souvent insuffisante en monothérapie. Utilisés dans les poussées sévères, les corticoïdes par voie systémique ou locale (infiltrations) sont souvent prescrits. Leur utilisation prolongée est limitée par les effets secondaires.

    Les bisphosphonates administrés par voie intraveineuse sont efficaces pour réduire l'activité ostéoclastique  (pamidronate, acide zolédronique), avec des résultats positifs sur la douleur et l'inflammation osseuse. Les DMARDs conventionnels, méthotrexate et sulfasalazine peuvent être utilisés, en particulier en cas d'atteinte articulaire périphérique ou de manifestations cutanées associées. L'acné peut être traitée par des antibiotiques systémiques, comme la doxycycline. La pustulose palmoplantaire ou le psoriasis pustuleux répondent généralement bien aux corticostéroïdes ou à la PUVA.

    Les biothérapies représentent un virage dans le traitement des lésions inflammatoires cutanées et osseuse. Les inhibiteurs du TNF-α (étanercept, adalimumab, infliximab) ont démontré une efficacité sur les manifestations à la fois ostéo-articulaires et cutanées, bien que la réponse puisse varier. De même pour les inhibiteurs de l'IL-1 (anakinra, canakinumab) utilisés avec succès dans des cas réfractaires, en particulier lorsque l'inflammasome NLRP3 est impliqué. Les inhibiteurs de l'IL-6 (tocilizumab) ont été rapporté comme efficaces dans certains cas, suggérant un rôle de l'IL-6 dans la pathogenèse. Les anti-IL17 et les ininhibiteurs de Janus kinase (JAK) (aricitinib et tofacitinib) sont des options émergentes, avec des rapports d'efficacité sur les manifestations cutanées et articulaires.

    Choix du traitement

    La décision thérapeutique est individualisée, basée sur :

    - Le profil clinique : prédominance des symptômes osseux, articulaires ou cutanés.

    - La sévérité et l'étendue des lésions : nombre de sites affectés, présence de complications.

    - Les comorbidités et les traitements antérieurs : évaluer les risques et les bénéfices.

    - La tolérance aux médicaments : antécédents d'effets indésirables ou contre-indications.

    - L’importance de l’évaluation multidisciplinaire : médecin interniste, rhumatologue, dermatologue et parfois chirurgien orthopédiste (en cas de lésions hyperostosantes) : la collaboration de plusieurs spécialités permet d’adapter le traitement en fonction des atteintes dominantes (osseuses, cutanées, articulaires).

    En 2025, le consensus tend vers un algorithme thérapeutique séquentiel :

    - AINS ± antibiotiques en première intention,

    - Puis ajout ou passage à une biothérapie (le plus souvent un anti-IL-17 ou un anti-TNF),

    - Possibilité d’escalade vers l’IL-1 ou d’autres molécules selon le profil du patient (atteinte cutanée majeure, échec ou intolérance aux premières lignes...).

    - Pour certains patients réfractaires, la combinaison d’un bisphosphonate (pour l’ostéite) et d’une biothérapie (pour la composante inflammatoire systémique) est déjà pratiquée et pourrait s’étendre.

    L’imagerie (IRM, scintigraphie osseuse, TEP-scanner) aide à localiser précisément les lésions et à suivre la réponse au traitement. Le monitoring biologique (CRP, VS) et le scoring clinique (douleur, mobilité, état cutané) sont indispensables pour adapter la thérapie.

    Place de la génétique et de la biologie moléculaire

    Des travaux récents (2018-2024) explorent les bases génétiques et immunologiques du SAPHO, avec l’espoir d’identifier des biomarqueurs prédictifs de réponse (p. ex., gènes liés à l’IL-1 ou à l’IL-17). À moyen terme, ces découvertes pourraient affiner la sélection de la meilleure biothérapie pour chaque patient. Le faible nombre de patients et la diversité des phénotypes rendent difficile la réalisation d’études de grande envergure. Néanmoins, plusieurs registres nationaux et européens (notamment via l’ERN RITA*) rassemblent des données, permettant de mieux documenter l’efficacité à long terme des biothérapies.

    En pratique

    La diversité clinique du syndrome SAPHO et de la CNO nécessite une vigilance accrue pour un diagnostic précoce. Une compréhension approfondie des différentes manifestations cliniques et des options thérapeutiques disponibles est essentielle pour améliorer la qualité de vie des patients. Les avancées en recherche et les collaborations multidisciplinaires offrent des perspectives prometteuses pour le futur de ces affections rares.

     

    Bibliographie

    Chamot AM, Benhamou CL, Kahn MF et al. [Acne-pustulosishyperostosis-osteitis syndrome. Results of a national survey. 85 cases]. Rev Rhum Mal Osteoartic 1987;54:187–96.

    Benhamou CL, Chamot AM, Kahn MF. Synovitis-acne-pustulosis hyperostosis-osteomyelitis syndrome (SAPHO). A new syndrome among the spondyloarthropathies? Clin Exp Rheumatol 1988;6:109–12.

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    Wei Tu  et al. Successful Treatment of SAPHO Syndrome Complicated with Ankylosing Spondylitis by Secukinumab: A Case Report. J Pers Med . 2023 Mar 13;13(3):516. doi: 10.3390/jpm13030516.

     

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    JDF

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