Billet d'humeur
Paracétamol et Amoxicilline : pénurie ou gabegie ?
Alors que les ruptures de stocks se multiplient et touchent de plus en plus de médicaments, et au-delà des causes liées à la mondialisation du marché, le Pr Jean-François Bergmann, Professeur émérite de Thérapeutique, Université Paris Cité, analyse 2 exemples marquants qui témoignent des paradoxes et de la rigidité de l’administration du médicament en France.
- Pavel Muravev/istock
Donc, comme l’essence, l’électricité ou la moutarde nous risquons de manquer de l’antalgique le plus basique et de l’antibiotique le plus essentiel. J’ai la folie ou la candeur de penser qu’il n’y a pas de vraie pénurie et que les besoins seront couverts mais le statut de ces deux médicaments doit interpeler.
Le paracétamol, antalgique de palier 1, efficace et très bien toléré inonde la planète avec des milliers de tonnes chaque année et se retrouve sous différentes formes et sous différents noms dans n’importe quel drugstore ou étal de marché. En France, la situation est bien différente et spécifique : que du Doliprane® (Sanofi) et de l’Efferalgan® (UPSA-BMS), à deux euros la boite de 8 grammes, alors que partout ailleurs de nombreux génériques existent à des prix européens 6 fois plus bas ! En France, pas de générique de paracétamol pour laisser Doliprane® et Efferalgan® faire des bénéfices sans effort. L’argutie technico-réglementaire est simple : chaque générique doit montrer sa bioéquivalence pharmacocinétique par rapport au produit princeps mais dans le cas du paracétamol, on ne sait plus trop bien qui est le princeps donc on ne sait pas à qui se comparer donc on ne se compare pas et donc pas de générique possible. Tout le monde sait pertinemment qu’on pourrait faire l’étude de bioéquivalence versus le Doliprane® de la pharmacie du coin mais les gouvernants préfèrent ressortir cet argument réglementaire boiteux pour permettre à Doliprane® et à Efferalgan® de garder leur rente de situation « bi-polistique ». Régulièrement, cette anomalie revient sur le tapis mais Sanofi et UPSA-BMS font le forcing industriel en pleurant sur les licenciements qui seraient induits par l’arrivée de génériques et rien ne change. En achetant une boite de Doliprane on participe donc au bonheur financier de Sanofi mais en refusant les génériques de paracétamol on expose les Français à la fragilité des situations monopolistiques. Partout ailleurs, des dizaines de génériques, tous équivalents en efficacité et en qualité pharmaceutique, font que si un vient à manquer, un autre le remplace sans différence pour le malade. En France, point de remplacement possible et il suffit d’une petite augmentation de la demande, d’un grain de sable dans les procédures de production à flux tendu ou dans la chaine de distribution pour que la pénurie menace puisqu’il n’y a pas d’alternative sous forme de génériques. A quand la fin de cette injuste exception et l’équité pour les génériques de paracétamol ?
Concernant l’amoxicilline, l’histoire est différente. Les génériques sont légion et représentent en France près de 90% du marché. Ce médicament figure en bonne place dans la liste des médicaments essentiels de l’OMS. On le trouve toute l’année dans n’importe quel dispensaire de brousse, difficile de croire qu’il puisse manquer à la pharmacie des Champs-Élysées. Au niveau mondial la production est considérable et suffisante ; il n’y a donc pas risque réel de pénurie ; pourtant, le processus est fragile et une minime augmentation nationale de la demande suffit pour faire agiter le chiffon rouge ! La rigueur réglementaire en termes d’importation de médicaments, une dérive sécuritaire parfois obsessionnelle, la mauvaise volonté des industriels à orienter les chaînes de fabrication vers des médicaments à faible profit comme l’amoxicilline, une absence de coordination dans la gestion des stocks, expliquent le peu d’agilité du système. Bien sûr qu’il faut lutter contre le sur-usage des antibiotiques, inciter le malade à ne pas demander et le médecin à ne pas prescrire dans les viroses hivernales. Mais au-delà des règles de bon usage, pour permettre la production et la livraison des médicaments essentiels, il faut savoir anticiper, se donner des outils coercitifs imposant la mise à disposition de volumes suffisants. Après tout, l’industrie du médicament, financée par la sécurité Sociale, doit accepter ses devoirs de santé publique. En regard, les étapes administratives doivent être allégées, chacun apportant sa part à l’édifice.
Pour le paracétamol comme pour l’amoxicilline, il n’y a aucune raison scientifique pour craindre une pénurie. Si chacun fait son travail correctement, les malades français pourront disposer de tous les médicaments qui leur sont nécessaires.