Etats-Unis
Phagothérapie : un patient sauvé d'une infection mortelle
Tom Patterson était infecté par une bactérie multirésistante aux antibiotiques. Il doit son salut à des bactériophages.
A l’occasion des fêtes de Thanksgiving en 2015, Tom Patterson et sa femme Steffanie Strathdee se sont offert un voyage aux pays des pyramides. Mais alors qu’ils remontaient le Nil vers Louxor, l’homme de 69 ans s’est plaint de violentes douleurs abdominales, de nausées, de vomissements et de fièvre. Hospitalisé dans un hôpital égyptien, les médecins lui ont diagnostiqué une inflammation du pancréas. Mais la pancréatite résiste aux traitements standard.
Son état s’aggravant, ses médecins lui ont conseillé d’être pris en charge en Allemagne. Les analyses réalisées à Francfort révèlent que le professeur de psychiatrie à l’université de San Diego (Etats-Unis) a été infecté par une bactérie naturellement résistante à de nombreux antibiotiques, appelée Acinetobacter baumannii.
Une dizaine de jours plus tard, son état s’est suffisamment stabilisé pour être transporté aux Etats-Unis et admis en soins intensifs dans l’hôpital où il travaille. A son arrivée, les tests apportent une très mauvaise nouvelle : la bactérie est devenue résistante à tous les antibiotiques actuellement disponibles. Pire, l’infection a atteint sa circulation sanguine provoquant une septicémie et le plongeant dans le coma.
Les virus de bactéries, le dernier remède
Son épouse, épidémiologiste spécialisée en maladies infectieuses et chef du département de santé publique à l’université de San Diego, se met alors en quête d’une alternative aux antibiotiques capables de lui sauver la vie. Ses recherches la mènent alors à des travaux réalisés à Tbilissi (Géorgie) sur des virus de bactéries, appelés des bactériophages.
Au début du siècle dernier, c’est le franco-canadien Félix d’Hérelle, microbiologiste à l’Institut Pasteur, qui nomma cette thérapie antibactérienne « phagothérapie ». Le centenaire de la recherche dans ce domaine est d’ailleurs célébré cette semaine à l’Institut Pasteur de Paris.
Ces virus vivent là où les bactéries se développent. Il en existe plusieurs milliards de milliards sur la planète et chaque souche de virus ne peut infecter qu’une seule souche de bactérie. La recherche sur ces phages s’est beaucoup développée jusque dans les années 1930, mais l’arrivée des antibiotiques a jeté aux oubliettes cette thérapie. Excepté en Europe de l’Est, et en particulier en Union Soviétique.
Une première aux Etats-Unis
Une chance pour Tom Patterson qui a reçu un cocktail de 4 phages collectés dans les eaux usées – milieu où ils se retrouv en abondance. Pour optimiser leur efficacité, la thérapie lui a été administrée directement dans l’abdomen et par voie intraveineuse, sans avoir de garantie que cela fonctionnerait. « En tant que médecin, c’était un vrai défi, a confié le Pr Robert Schooley, chef du département des maladies infectieuses de l’école de médecine de San Diego et ami de Tom Patterson. Habituellement, vous savez quel dosage sera efficace et à quelle fréquence il faut le donner. Mais lorsque vous utilisez une thérapie pour la première fois, vous n’avez aucun exemple auquel vous référer ».
Un pari risqué mais gagnant. Trois après jours après le début du traitement, le patient est sorti de son coma. La phagothérapie a été poursuivie pendant plus de deux mois. Ce n’est qu’en juin que la bactérie a totalement été éliminée de son organisme.
« A notre connaissance, il est le premier patient aux Etats-Unis atteint d’une infection aussi grave à recevoir une phagothérapie, a indiqué le Pr Robert Schooley. Et alors qu’il était proche de la mort, il a suffisamment récupérer pour recommencer à travailler. Bien évidemment, il ne s’agit que d’un patient, un seul cas et nous ne comprenons pas encore complétement le potentiel et les limites de cette thérapie, mais cette histoire sans précédent, et eu égard à la menace de l’antibiorésistance, cela nous pousse à continuer nos recherches »
L'antibiorésistance sera responsable de millions de morts
« La phagothérapie a vraiment été un miracle pour moi, et elle pourrait le devenir pour les millions de personnes victimes d’infections causées par des bactéries multirésistantes aux antibiotiques dans le monde », a confié le Pr Tom Patterson.
A l’horizon 2050, l’antibiorésistance pourrait tuer 10 millions de personnes chaque année à travers le monde, soit plus que le cancer. Une hécatombe directement induite par un usage irraisonné des antibiotiques et la capacité des bactéries à résister à ces agressions. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 12 familles de bactéries sont particulièrement menaçantes. Si le développement de nouveaux antibiotiques est plus que urgents pour les combattre, les phages se présentent comme un allier de poids.
Ecoutez l'entretien avec le Pr Patrice Courvalin, chercheur à l'Institut Pasteur (Paris) :