Octobre rose
Cancer du sein triple négatif : “L’épigénétique nous ouvre beaucoup d’espoirs”
À l’occasion d’Octobre rose, Pourquoi Docteur a pu échanger avec la chercheuse Céline Vallot sur les avancées scientifiques concernant le rôle de l’épigénétique dans la progression du cancer du sein triple négatif.
Pourquoi Docteur : Céline Vallot, vous êtes directrice de recherche CNRS, responsable du groupe Dynamique des Altérations Épigénétiques du cancer. En quoi consistent vos journées ?
Céline Vallot : J’encadre une équipe d’une douzaine de personnes à l’Institut Curie. C’est à la fois des gens qui analysent des données (des data scientists), et des gens qui font des expériences au laboratoire. Je discute avec eux de leur projet de recherche, des problèmes qu’ils rencontrent dans leur laboratoire ou en informatique pour essayer de les débloquer. Je passe aussi une partie de mon temps à rechercher des financements, à répondre à des appels d’offres… Je viens par exemple de passer un oral pour obtenir une bourse ERC. Je regarde également ce qu’il se passe dans d’autres laboratoires, je discute avec des collaborateurs qui ont des technologies complémentaires qui pourraient faire avancer nos recherches, etc. Et enfin, je me réserve un peu de temps pour faire de l’analyse de données et de la recherche au premier sens du terme.
Triple négatif : "il est très hétérogène, d’où la difficulté pour le traiter"
Qu’est-ce-qui caractérise le cancer du sein triple négatif par rapport aux autres cancers du sein ?
Le cancer du sein triple négatif est caractérisé par l’absence de marqueurs hormonaux qui vont être caractéristiques des autres cancers du sein. On l’appelle triple négatif parce qu’il est négatif pour trois marqueurs, trois récepteurs spécifiques : le HER2 et les récepteurs hormonaux progestérone et oestrogènes. Comme c’est un cancer que l’on définit par défaut, il est très hétérogène et on retrouve de nombreux types de maladies dans cette famille, d’où la difficulté pour le traiter.
Combien de personnes sont-elles touchées par ce cancer ?
Il représente à peu près 15 % des cancers du sein qui sont traités chaque année en France. Comme il y a à peu près 60.000 nouveaux cas de cancers par an, cela fait un peu moins de 10.000 nouveaux cas de cancers du sein triple négatifs.
On dit que ce cancer est très “agressif”, cela se traduit comment pour le patient ?
Cela signifie qu’il associe un risque de récidive plus élevé et que la survie globale des personnes atteintes de ce triple négatif est plus courte que celle qui sont atteintes d’autres formes de cancers du sein. Autre élément important, c’est un cancer qui est plus fréquent chez les femmes jeunes, avec 40 % des patientes qui ont moins de 40 ans.
"L’épigénétique, c’est le costume de la cellule"
Votre domaine de recherche est l’épigénétique, comment pouvez-vous nous définir cette discipline de la biologie ?
L’épigénétique, comme son nom l’indique, c’est toute l’information qui va être encodée au-delà de l’ADN, c’est le comportement des cellules qui n’est pas génétique. Toutes les cellules dans le corps ont à peu près le même ADN, la même séquence, mais une cellule de peau et une cellule d’ongle ne seront pas identiques. Pour le traduire en mots plus simples, l’épigénétique, c’est le costume de la cellule ! En fait, c’est la cellule qui habille son ADN, qui le décore avec des modifications chimiques, et c’est cela qui lui permet de dire qui elle est et ce qu’elle fait.
Et que se passe-t-il lorsqu’une cellule devient cancéreuse ?
Dans le cancer, cette décoration est complètement anormale, elle est mise au mauvais endroit, de manière aberrante alors que normalement le costume est bien précis et hyper défini. En fait, les cellules cancéreuses ne savent plus exactement comment utiliser leur ADN. Donc nous étudions ces changements car ce qui est très intéressant ici, c’est que ce sont des phénomènes réversibles ! L’épigénétique nous ouvre donc beaucoup d’espoirs, car cela signifie que l’on peut revenir en arrière et refaire prendre à la cellule son costume initial. À l’inverse, quand on a une mutation encodée dans l’ADN, on ne peut pas la corriger.
Concrètement, comment se passent vos recherches ?
Grâce à l’Institut Curie, les patientes nous donnent pour la recherche des échantillons de leur tumeur. Avec ces données, on va pouvoir cartographier où se trouvent les modifications épigénétiques pour, au fil du temps, comprendre comment ces costumes sont changés en réponse au traitement par exemple. Cela nous permet de poser des hypothèses pour dire s’il se passe un phénomène anormal ou non, et surtout, proposer des solutions pour empêcher que cela arrive. Ensuite, grâce à des modèles sur des souris, ou dans des modèles réels de patients, on essaye d’inverser ou d’empêcher ces modifications de bouger, de comprendre ce qui peut augmenter la réponse à la chimiothérapie, ou rendre le cancer moins agressif, etc.
Quels sont les premiers résultats ?
On a quelques pistes sur comment éviter qu’une cellule ne change de costume, c’est-à-dire qu’on a déjà identifié quelques cibles épigénétiques. Aujourd’hui, on travaille dessus uniquement chez l’animal, chez qui on arrive déjà à augmenter la survie, mais l’idée à plus long terme, c’est de pouvoir un jour espérer trouver une cible qui marche chez l’Homme.
"On se concentre sur le cancer du sein triple négatif pour identifier ce qu’on appelle une cible thérapeutique"
Avez-vous une idée du nombre d’années qu’il vous faudra encore pour y parvenir ?
C’est difficile à dire, on parle de plusieurs années encore, peut-être cinq à dix ans avant que ce type de recherche ne débouche. Mais on a besoin de grands financements de soutien, comme La Fondation Bettencourt Schueller, pour mener ces recherches sur le long terme.
Et quelle serait l’idée : trouver un médicament universel pour traiter le cancer ou plutôt une molécule adaptée à chaque sous-type ?
Je pense que de manière pragmatique, cela sera plutôt adapté à chaque sous-type, à chaque cancer, car je pense que c’est un peu utopique de penser qu’il y a un mécanisme universel à tous les cancers. Donc nous, on se concentre sur le cancer du sein triple négatif pour identifier ce qu’on appelle une cible thérapeutique. On va aller jusqu’à la preuve de concept qu’il existe bien une molécule qui peut intervenir et qui pourra être utile. Une fois trouvée, on pourra la breveter et passer la main aux personnes qui développent des médicaments.