Rhumatologie
Douleur de la face interne de cuisse : ne pas méconnaître la compression du nerf saphène
La compression du nerf saphène, au tiers inférieur de la cuisse, est une cause souvent méconnue de douleurs et de dysesthésies de la face interne de la cuisse et du genou.
- Rattankun Thongbun/istock
La compression du nerf saphène au tiers inférieur de la cuisse est une pathologie rare mais souvent négligée dans le diagnostic différentiel des douleurs médiales de la cuisse et du genou. Une douleur neuropathique (paresthésies, brûlures) de la partie médiale de la cuisse et du genou peut évoquer une atteinte du nerf saphène, notamment lorsqu’elle augmente à l’extension contrariée du genou.
Le nerf saphène est une branche terminale du nerf crural qui est exclusivement sensitive. Il descend depuis le ligament inguinal à proximité et le long du bord latéral de l’artère fémorale superficielle jusqu’au canal des adducteurs (canal de Hunter). Celui-ci est un repli aponévrotique du moyen adducteur, dans la loge fémorale antérieure, au tiers inférieur de la cuisse, puis perfore le fascia subsartorial et descend en arrière du muscle sartorius.
La source de conflit résulte de lésions traumatiques directes, de l’épaississement microtraumatique de cette région générant une agression potentielle ou de compression par des variantes anatomiques. Plus bas, il se situe en arrière du muscle sartorius et va présenter deux branches de division, l’une patellaire interne (nerf infra-patellaire), essentiellement lésée au cours de la chirurgie du genou (prise de greffon sur le tendon rotulien lors de ligamentoplastie du croisé), l’autre crurale, à la face interne de jambe et satellite de la grande veine saphène, qui peut être classiquement lésée lors de la chirurgie phlébologique. Une meilleure connaissance de ce syndrome canalaire du membre inférieur peut améliorer la prise en charge des patients souffrant de douleurs inexpliquées dans cette région.
Des causes multiples
La compression du nerf saphène interne peut donc survenir pour diverses raisons, notamment des traumatismes locaux directs, des interventions chirurgicales, ou des efforts physiques répétitifs. Une sensibilisation accrue aux facteurs de risque et aux populations à risque peut permettre une détection précoce et une prise en charge plus efficace de ce syndrome.
Les personnes les plus exposées à la compression du nerf saphène interne au tiers inférieur de la cuisse incluent : les athlètes, en particulier ceux pratiquant des sports de course, de saut, ou des activités impliquant des mouvements répétitifs des membres inférieurs (comme le football ou le cyclisme), sont particulièrement à risque. Les efforts intenses et les traumatismes répétés peuvent provoquer des microtraumatismes et des inflammations conduisant à la compression nerveuse. Les patients ayant subi des interventions chirurgicales dans la région de la cuisse ou du genou, telles que des arthroscopies, des réparations ligamentaires ou des poses de prothèses, sont susceptibles de développer ce syndrome en raison des cicatrices ou des modifications anatomiques post-opératoires. Les travailleurs manuels qui exercent des professions nécessitant des positions prolongées accroupies ou agenouillées, ou des mouvements répétitifs des jambes (ouvriers du bâtiment, jardiniers, artisans), peuvent également être exposés à ce syndrome. Les personnes qui ont des anomalies anatomiques congénitales ou acquises, telles que des variations musculaires, des déformations osseuses, ou des troubles de la posture, peuvent être plus susceptibles de subir des compressions nerveuses. Les personnes qui ont subi des traumatismes directs à la cuisse, comme des chocs ou des contusions, peuvent développer une compression du nerf saphène interne due à l'inflammation ou à l'hématome local.
Un diagnostic le plus souvent clinique
La douleur due à la compression du nerf saphène interne au tiers inférieur de la cuisse est souvent associée à des paresthésies qui ont des caractéristiques particulières et qui peuvent aider à orienter le diagnostic.
La douleur associée à la compression du nerf saphène interne est typiquement localisée sur la face médiale de la cuisse et du genou. Elle peut également s'étendre de la région du genou jusqu'à la partie supérieure de la jambe, suivant le trajet du nerf saphène. La douleur est souvent décrite comme étant brûlante ou lancinante. Les patients peuvent également rapporter des sensations de décharge électrique ou de piqûre, typiques des neuropathies compressives. Ces sensations peuvent être intermittentes ou continues, variant en intensité selon les activités ou les positions adoptées par le patient. Certaines positions ou mouvements peuvent exacerber la douleur. Par exemple, la flexion prolongée du genou, la position accroupie ou la pression directe sur la région du passage du nerf sous le sartorius peuvent augmenter les symptômes. En revanche, le repos et l'élévation de la jambe peuvent parfois apporter un soulagement temporaire. Les douleurs sont majorées par l’extension contrariée du genou ou le port de bas dont l’extrémité supérieure vient au contact de l’émergence du nerf. L’examen neurologique peut retrouver une hypo-esthésie épicritique et nociceptive dans le territoire du saphène. On note une sensibilité à la palpation légère sur le trajet du nerf. Il n’y a pas de déficit moteur.
Pour évoquer ce diagnostic, une anamnèse détaillée et un examen clinique ciblé sont cruciaux. Les tests cliniques, tels qu’un pseudo signe de Tinel au niveau du canal de Hunter avec des douleurs à la percussion du trajet nerveux au niveau du canal de Hunter, et la manœuvre de Faber, accentuant les symptômes par étirement, peuvent être révélateurs. Un test anesthésique prudent, compte tenu de la proximité de l’artère fémorale, entraîne une disparition de la douleur.
Les diagnostics différentiels sont peu nombreux.
Il faut d’abord éliminer une atteinte radiculaire dans le territoire L3-L4 : il existe généralement un syndrome rachidien associé avec une abolition réflexe ostéotendineux rotulien (L4) et la douleur neuropathique se localise plutôt dans ce cas à la partie antérieure de la cuisse. Il faut aussi éliminer une atteinte du nerf obturateur qui s’exprime, au début, par une dysesthésie en raquette, à la face médiane de la cuisse. Les douleurs du compartiment interne du genou doivent aussi être évoquées, notamment la tendinopathie de la patte d’oie (sartorius, gracile, semitendineux), mais aussi une atteinte du ligament collatéral médial ou du ménisque interne ou une fracture de fatigue du plateau tibial, voire un syndrome de loge chronique.
Des examens complémentaires simples pour confirmer le diagnostic
Des radiographies pourront être réalisées pour rechercher des causes extrinsèques de compression (cal osseux, fracture, tumeurs) et écarter les diagnostics différentiels.
L’analyse des structures nerveuses est possible à l’échographie, qui permet d’objectiver le renflement du nerf en amont de son passage dans le canal de Hunter avec perte de son aspect fibrillaire et une diminution du calibre et une infiltration graisseuse en chronique en aval. Il existe une hyperhémie au doppler, en aigu. L'IRM est utile également pour visualiser les anomalies anatomiques, éliminer les diagnostics différentiels et confirmer le diagnostic.
Enfin, en cas d’atteinte du nerf saphène, l’électromyogramme (EMG) est souvent normal. L’étude des potentiels évoqués somesthésiques peut être plus informative. Bien que peu utilisé donc, l'électromyographie (EMG) peut identifier les anomalies de conduction nerveuse qui sont caractéristiques d'une neuropathie compressive : bloc de conduction sensitif et/ou moteur au niveau de la zone de conflit avec des signes de dénervation des muscles innervés par le nerf saphène. Ces signes ne sont pas immédiats et ils apparaissent au bout de quelques temps lorsque la dégénérescence wallérienne rétrograde est effectuée. Ce bloc signe une zone de démyélinisation focale dont la localisation précise peut être appréciée par une stimulation centimètre par centimètre. L’examen en détection a pour objectif de confirmer la systématisation par la mise en évidence de signe de dénervation active musculaire d’aval. Il permet également d’apprécier la sévérité de l’atteinte définie par la sévérité de la dénervation.
L’EMG peut également avoir une valeur pronostique au cours du traitement en objectivant a disparition, le cas échéant, du bloc de conduction et l’apparition de signes de réinnervation.
Une approche thérapeutique conservatrice
La prise en charge de la compression du nerf saphène interne combine souvent des approches conservatrices et, dans certains cas, chirurgicales. Le traitement initial repose sur le repos sportif, la modification des activités et l'utilisation d'anti-inflammatoires non stéroïdiens. La physiothérapie qui repose sur des étirements et des massages transverses, peut être bénéfique pour renforcer les muscles adjacents et améliorer la posture. Parfois l’importance de la douleur peut amener à une infiltration du qu’il faudra systématiquement effectuer sous échographie compte tenu de la proximité de l’artère fémorale superficielle.
Si les symptômes persistent malgré ces mesures, une intervention chirurgicale visant à libérer le nerf comprimé peut être envisagée. Cela peut-être une neurolyse avec des résultats parfois décevants du fait de la récidive fréquente des symptômes en raison de l’apparition d’une plage de fibrose post-opératoire.
La compression du nerf saphène interne au tiers inférieur de la cuisse est une cause potentielle de douleurs et de dysesthésies à ne pas négliger. Une évaluation clinique minutieuse et l'utilisation judicieuse des examens complémentaires sont essentielles pour établir un diagnostic précis. La prise en charge doit être adaptée à chaque patient, avec une préférence initiale pour les traitements conservateurs avant de considérer les options chirurgicales. Une meilleure sensibilisation à cette condition permettra une prise en charge plus efficace et améliorera la qualité de vie des patients affectés.