Billet d'humeur

Maigrir, mourir : lorsque les médecins se défilent…

Alors que la convention citoyenne sur la fin de vie vient de remettre ses conclusions au Président de la République, des voix s’élèvent pour demander une clause de conscience spécifique afin de ne pas participer à un processus qui s'inscrit pourtant dans les soins aux patients, selon Jean-François Bergmann. S’abstraire de cette démarche, c’est la porte ouverte selon lui à de nombreuses discriminations en médecine, concernant par exemple les soins aux obèses, le traitement des IST…

  • Fréquence Médicale
  • 27 Avr 2023
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    Rapprocher la question grave et fondamentale de la fin de vie à la problématique faussement futile de la prise en charge de l’obésité pourrait paraitre hasardeux voire choquant. Pourtant dans les deux cas, la corporation médicale, ou plutôt une partie d’entre elle, s’est arrogée le droit de juger, de choisir, de refuser un soin oubliant sa mission première qui est d’apporter aide et réconfort à toutes et à tous.

    L’Ordre des Médecins est clairement « défavorable à la participation d’un médecin à un processus qui mènerait à une euthanasie » et demande « une clause de conscience spécifique » (Le Monde, 1er avril 2023). Pourtant le serment d’Hippocrate, dont l’Ordre rappelle si souvent le caractère fondateur pour l’exercice de la médecine, souligne spécifiquement le respect de toutes les personnes et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions.

    Mon obligation de moyen m’interdit de refuser un soin, une assistance ; aider à la fin de vie c’est soigner et assister. Si je ne sais pas faire, je dois apprendre et les structures d’enseignement doivent intégrer cette formation dans leur cursus mais je ne peux pas me défiler sauf à risquer demain de voir certains praticiens refuser de soigner ou de prévenir une maladie sexuellement transmissible qu’ils jugeront honteuse, ou ne pas prescrire une contraception à une mineure la trouvant immorale. Nous n’avons pas le droit de choisir. Toutes les souffrances se valent et celles de la fin de vie doivent, comme les autres, susciter notre implication. Si la mort permet d’abréger les souffrances, alors il faut savoir donner la mort.

    Les obèses ont droits à des traitements de qualité

    L’obésité est une maladie grave entrainant douleurs et handicap, dégradant la qualité de vie au quotidien et exposant à des complications ostéoarticulaires, cardio-vasculaires, métaboliques sévères. Comme pour toute maladie, les soignants ont le devoir de faire tout ce qui est possible et raisonnable pour traiter cette maladie.

    A côté des thérapeutiques diététiques, de l’exercice physique, parfois de la chirurgie bariatrique, une classe de médicaments connue depuis plus de 10 ans dans le traitement du diabète, les agonistes du GLP-1, vient récemment de démontrer son efficacité dans le traitement de l’obésité permettant des pertes de poids pouvant atteindre 20% du poids total sans les redoutables effets indésirables psychiques ou cardio-respiratoires décrits avec les amphétaminiques, le rimonabant et autre Médiator. Pourtant un groupe d’éminents pharmacologues s’opposent à une telle approche médicamenteuse pour une maladie qu’ils qualifient de « sociale et civilisationnelle » (Le Monde, 5 avril 2023).

    Là encore, de quel droit un médecin, tout pharmacologue qu’il soit, peut décider de priver un malade en souffrance d’un traitement efficace sous prétexte que la maladie est qualifiée de « sociale » ? Exit donc les antidépresseurs dans le burn-out, pathologie éminemment sociale ; interdit les substituts nicotiniques dans l’aide au sevrage tabagique ; oublié la prophylaxie pré-exposition (PrEP) au VIH en cas de conduites sexuelles à risque. Les moralisateurs ont tranché : votre maladie est sociale donc mangez mieux, bougez, faites un régime, continuez à souffrir et à vous essouffler en marchant mais les médicaments efficaces ne sont pas pour vous.

    Une maladie sociale et civilisationnelle n’est pas une exception aux soins

    Leurs effets bénéfiques ne sont pas systématiques et les effets indésirables sont fréquents, mais les preuves de leur efficacité sur l’amélioration de la qualité de vie et la prévention des complications cardio-vasculaires et métaboliques (diabète, hypertension) commencent à s’accumuler. D’ailleurs si on les rejette, faut-il aussi rejeter la chirurgie bariatrique dans le traitement des obésités morbides ? Le risque de mésusage, de sur-usage, d’utilisation hors prescription médicale est évident et là les enseignants de pharmacologie et de thérapeutique doivent jouer pleinement leur rôle de formateur au bon usage du médicament auprès des futurs médecins, des pharmaciens et du grand public. Mais remettre en cause une approche médicamenteuse efficace sous prétexte que la maladie est qualifiée de sociale, me semble être un abus de pouvoir et une absence de considération pour les souffrances des patients.

    La médecine c’est agir pour le bien du malade

    Dans les deux cas, que chacun reste dans son rôle : que l’Ordre des Médecins se cantonne dans la veille déontologique, que les pharmacologues s’investissent dans la recherche sur le médicament, la pharmacovigilance, l’enseignement. Mais pourquoi vouloir restreindre le champ des possibles pour le soignant ? pourquoi faire de la morale ou de la sociologie là où le malade n’attend que compréhension et aide ? Le mourant à le droit de mourir dignement, l’obèse à le droit de maigrir efficacement. Ces deux situations sont radicalement différentes mais pour chacune le soignant se voit entraver dans son devoir d’agir pour le bien du malade.

     

     

    Jean-François Bergmann

    Ancien chef du Département de Médecine Interne, Hôpital Lariboisière, AP-HP, 75010 Paris
    Professeur émérite de Thérapeutique, Université Paris-Cité

    jfbergmann@wanadoo.fr

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