Entomophagie

Alimentation : quand les insectes garniront nos assiettes

Les insectes feront bientôt partie de notre alimentation, pour pallier les futures pénuries de viande. Un nouveau régime qui pose plusieurs questions.

  • Par Marion Guérin
  • reborn55/epictura
  • 11 Jun 2016
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    Vous n’êtes pas encore entomophage ? Vous le deviendrez tôt ou tard. La consommation d’insectes se dessine à l’horizon des prochaines décennies dans nos sociétés occidentales. Bientôt, nous cuisinerons les criquets grillés et les larves de guêpes avec autant de naturel et de gourmandise qu’un bon pavé de rumsteak.

    « Ce sera un peu comme les sushis, il y a en aura d’abord dans les grandes villes et cela séduira surtout les jeunes, assurent les auteurs d’un ouvrage consacré à la question*, présenté ce jeudi à l’Inra. Dans les lieux zones très rurales ou parmi les anciennes générations, les réticences seront plus fortes ». Mais in fine, nul ne résistera à la vague d’insectes qui déferlera dans nos assiettes d’ici 2050.

    Avant cela, il faudra toutefois s’adapter. Modifier notre législation, qui n’autorise pas tout à fait la consommation d’insectes – le statut, ambigu, n’est pas réglementé et bien des entreprises œuvrent en France de manière plus ou moins illégale. Il conviendra aussi de mieux comprendre ce que peut nous apporter ce nouveau régime, quels sont ses bénéfices en terme nutritif et gustatif, les risques sanitaires et les enjeux écologiques.

    Alors que la FAO recommande de passer à la vitesse supérieure en matière de consommation d’insectes, les questions se font nombreuses. Pourquoidocteur les résume et y apporte quelques réponses. Bon appétit !

    * Des insectes au menu ? Vincent Albouy, Jean-Michel Chardigny, éditions Quæ

    Mais pourquoi manger des insectes ?

    C’est vrai, pourquoi manger ces bestioles alors que nous avons à disposition des bœufs, des porcs, des poulets ? Parce que tout le monde pense comme vous. A mesure que les populations s’urbanisent, s’occidentalisent, s’enrichissent, elles veulent consommer de la viande. C’est le cas en Chine, par exemple, où la nourriture traditionnelle s’efface au profit des repas carniers, reflets de l’ascension sociale.

    Sauf qu’en 2050, nous serons 9,5 milliards d’Hommes sur la terre. Pour nourrir toutes ces bouches, il faudra selon la FAO augmenter de 70 % la production alimentaire. La production de viande devra, elle, passer de 270 millions de tonnes en 2009, à 470 millions en 2050. Quant aux farines animales, elles devront elle aussi se diversifier. Pour boucler notre budget alimentaires, les nouveautés comestibles seront alors les bienvenues, fussent-elles rampantes, gluantes et a priori répugnantes.

    Deux milliards de personnes dégustent des insectes à travers le monde, suivant des traditions gastronomiques ancestrales. L’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud ont développé des recettes des plus raffinées. « L’Europe et l’Occident plus généralement, c’est le petit village gaulois qui résiste », sourit Vincent Alboy, entomologiste.

    Les insectes, est-ce bon ?

    Quelque 2000 espèces d’insectes sont comestibles, vous devriez forcément y trouver votre compte. « On a en tête les séries de téléréalité où les candidats doivent avaler des vers qui se tortillent, et qu’ils régurgitent aussitôt, mais ce n’est pas tout à fait cela », explique Vincent Alboy.

    Trois grands types de préparation devraient ainsi se généraliser : les « insectes cachés » (asticots transformés en farines pour pizzas, pain, pâtes ...) ; les « insectes à cuisiner » (un kilo de grillons vivants à se préparer chez soi, comme l’on achète ses langoustines fraîches au marché) ; et enfin, les insectes « prêts-à-manger » - c’est la brochette de sauterelles grillées sauce thaï commandée au coin de la rue, ou les chenilles en snack grignotées à l’apéro.

    Miguel Prosper transforme les insectes

    Miguel Prosper a eu l’idée de manger des insectes en nourrissant son couple de gecko, des lézards originaires du Pakistan. « En leur donnant des grillons et des sauterelles, j’ai eu envie de les cuisiner ». Depuis, le chef a monté son entreprise de restauration à domicile, en surfant sur la gastronomie novatrice, la « techno food », l’expérience gustative décalée… et les insectes.

    « La variété de goûts est très intéressante, plus encore que la viande et le poisson ! se réjouit-il. Tous les chefs devraient exploiter ce produit. Il y a un gros travail à faire sur l’image et l’attractivité de ces aliments, mais une fois transformés, bien des réticents ont changé d’avis ». Il faut dire que le menu interpelle : foie gras de termites et fourmis, crème d’oursin à la chenille noire du Congo, riz au lait malabar termites… « Le tout, c’est d’attiser la curiosité ! »

    Mais au-delà du goût, est-ce sain de manger des insectes ? Un plat de riz aux scarabées contient-il autant de protéines qu’une tranche de rôti ? A cela, la science n’a d’autres réponses que des balbutiements. « Seule une vingtaine d’espèces ont été analysées pour leurs propriétés nutritionnelles, explique Jean-Michel Chardigny, spécialiste en nutrition à l’Inra. Ce n’est pas homogène ; le vers palmiste est très riche en graisses, quand la fourmi à miel est chargée en sucres. La larve apporte plutôt des protéines. Mais il s’agit là d’une composition presque théorique ».

    En réalité, on ignore tout de la digestion des insectes par l’homme, du devenir des acides aminés dans son organisme, de la biodisponibilité de ces aliments. De fait, il sera compliqué de substituer à un morceau de viande rouge une poignée de chenilles. « Il ne s’agit d’ailleurs pas de cela ; la consommation d’insecte viendra plutôt compléter celle de la viande afin de ne pas faire augmenter la production mondiale. L’insecte ne remplacera pas le bétail ».
     

    Y a-t-il un risque sanitaire à manger des insectes ?

    Pour être honnête, les insectes ont plutôt tendance à nous effrayer qu’à nous allécher. Quand ils ne transportent pas des maladies et des virus, ils nous martyrisent la nuit et dévorent notre sang… En matière de risques liés à leur ingestion, les connaissances font là aussi défaut, mais le risque le mieux identifié semble être d’ordre allergique.

    « Comme avec toute source de protéines, ce risque existe, explique Jean-Michel Chardigny. Il y a notamment des questions qui se posent autour d’allergies croisées avec les crustacés, puisque les insectes et les crustacés sont de lointain cousins ». Des travaux sont en cours pour étudier l'hypothèse, mais les freins réglementaires limitent la recherche. « Une fois qu’il seront levés on étiquettera peut-être telle ou telle espèce d’insecte comme allergène ».

    Quant au risque de transmission de maladies, là aussi, il faudra mieux l’évaluer. L’homme étant fort éloigné de l’insecte, la probabilité de contracter un virus par la consommation d’un lot contaminé semble très faible, mais on reste, à nouveau, dans l’hypothétique. Pour les producteurs, ce manque de recul et de connaissances peut être d’ailleurs fatal.

    « J’ai connu une petite société américaine qui a dû mettre la clé sous la porte ; son élevage de grillons a été touché par un virus, le gérant n’a pas réussi à désinfecter et il a dû fermer. Plus les élevages sont concentrés, plus les risques de maladies sont élevées… Et si vous appelez votre vétérinaire pour lui faire part de votre problème, il sera fort désorienté ! ». L’autre enjeu sanitaire est lié à la présence de bactéries type E.Coli qui peuvent se développer en cas de rupture de la chaîne du froid. 

    Ecoutez...
    Jean-Michel Chardigny, spécialiste de la nutrition à l'Inra : « Concernant la nourriture des animaux par des insectes, une étude a en revanche montré un risque de transmission de maladies »

    Manger des insectes, est-ce légal ?

    C’est là que les choses se gâtent. L’Union Européenne interdit théoriquement la vente d’insectes à destination de la consommation, mais chaque pays applique la législation comme il l’entend. Certains, comme la Belgique ou le Royaume-Uni, ont instauré des listes d’insectes légalement comestibles. D’autres sont dans l’attentisme, comme la France, l’Espagne et l’Allemagne.

    « Quand les entreprises montrent patte blanche, garantissent la traçabilité des produits, manifestent une démarche sérieuse, les autorités sont tolérantes ; sinon, elles engagent des mesures de répression », explique Cédric Auriol, dirigeant de la société Micronutris, seul producteur d’insectes en France.

    Au 1er janvier 2018, la loi Novel Food sur les nouveaux aliments évoluera ; elle intègrera officiellement les insectes parmi la catégorie des denrées alimentaires, ce qui clarifiera une situation réglementaire bien floue. Mais cette évolution ne répondra pas aux multiples questions qui se posent en matière d’élevage, et qu’on ne pourra éluder très longtemps : comment nourrir les insectes ? Comment les tuer ? Les protéger ?

    « La réglementation sur les abattoirs concerne les vertébrés, souligne Vincent Alboy. Quant aux lois sur le bien-être animal, qui exigent par exemple une surface minimale par animal, elle n'a pas de sens pour des chenilles qui vivent regroupées entre elles et détestent être séparées ! »

    Comment produit-on des insectes ?

    A Toulouse, la société Micronutris a tiré son épingle du jeu en multipliant les preuves de ses bonnes pratiques. A tel point qu’elle est devenue l’unique entreprise au monde à détenir la norme ISO22000 pour les insectes, label qui garantit la qualité des marchandises comestibles... Son fondateur, Cédric Auriol, est un entrepreneur issu d’école de commerce – un profil que l’on retrouve beaucoup dans ce secteur agricole émergent.

    « Nous disposons de plusieurs zones en intérieur – accouplement, ponte, éclosion, croissance, explique-t-il. L’avantage des insectes, c’est qu’il s’agit d’élevage verticaux, on peut superposer les bacs » - du moins, pour les insectes qui ne volent pas. Pour la mise à mort, la société a opté pour l’ébouillantement, comme les crustacés, pour un effet instantané. Autre atout des insectes : « ils n’ont pas de capteurs de la douleur, selon la communauté scientifique ».

     
    Crédit : Mucronutris


    Crédit : Mucronutris


    Crédit : Mucronutris

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