Entretien avec le Dr Marie-Paule Kieny

Zika : "Il ne faut pas céder à la panique"

ENTRETIEN - 600 experts se sont réunis cette semaine à Paris pour faire le point sur le virus Zika. Le Dr Marie-Paule Kieny, sous-directeur général de l'OMS y a participé. 

  • Par Audrey Vaugrente avec Anne-Laure Lebrun
  • Martial Trezzii/AP/SIPA
  • 28 Avr 2016
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    La France est au cœur de la lutte contre le virus Zika. Durant deux jours, plus de 600 experts internationaux ont assisté à un colloque organisé par l’Institut Pasteur à Paris. Qu’ils viennent d’Amérique du Sud – épicentre de l’épidémie actuelle -, d’Asie ou d’Europe, tous se sont déplacés pour faire le point sur les dernières connaissances scientifiques concernant le virus et son vecteur, le moustique Aedes. Pourquoi Paris, alors que le Brésil est au centre de toutes les attentions ? Sans doute parce qu'historiquement, l'Institut Pasteur s'est engagé dans la recherche sur les maladies émergentes via sa fondation parisienne et ses satellites dans le monde entier.
    « Il était naturel que la France s’engage dans cette thématique », estime Marie-Paule Kieny, sous-directeur général de l'OMS pour les systèmes de santé et de l'innovation. Elle était dans l'assistance tout au long des sessions scientifiques. L’occasion pour Pourquoidocteur de revenir sur cette épidémie sans précèdent, et les moyens de lutte mis en œuvre par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avec son expertise.

    Le changement de saison va-t-il favoriser l’arrivée du virus sur le continent européen ?

    Dr Marie-Paule Kieny : C’est une possibilité. Plusieurs épidémies ont eu lieu en dehors de l’Amérique latine, c’est signe que le virus peut se déplacer. Il est encore trop tôt pour se prononcer concernant son arrivée en Europe, car le principal vecteur qui est l’Aedes aegypti n’est pas présent en Europe de l’ouest. Mais d’autres insectes peuvent jouer un rôle. On sait par exemple que les moustiques de type Culex, présents en Europe, peuvent avoir du Zika dans leur salive. Cela ne signifie pas qu’ils sont un vecteur efficace. Il ne faut donc pas céder à la panique et penser que le virus est à notre porte.

    Qui paye la lutte contre le virus Zika et le moustique Aedes ?

    Dr Marie-Paule Kieny : Les campagnes de lutte contre les vecteurs sont organisées et payées par les Etats touchés. Le Brésil est un pays à revenu moyen mais qui peut assumer financièrement. Nous ne sommes pas dans les mêmes conditions que pour Ebola, où la marge de manœuvre de la Guinée ou de la Sierra Leone était inexistante. De son côté, l’OMS demande des financements pour soutenir techniquement les pays affectés. L’objectif est d’améliorer l’efficacité des campagnes par la mise en place de structures et de méthodes qui déterminent si elles fonctionnent et comment les améliorer.

    A l’heure actuelle, cherche-t-on un traitement ou un vaccin ?

    Dr Marie-Paule Kieny : Au moins 23 projets de vaccins sont à un niveau initial. A la fin de l’année 2016, quelques-uns devraient commencer à être évalués chez l’homme. On devra encore attendre quelques années avant l’enregistrement d’un vaccin qui pourrait être utilisé dans des campagnes de vaccination de masse. Il existe deux possibilités : un vaccin qui aurait pour objectif d’éliminer une menace imminente, et viserait plutôt les femmes en âge de procréer ou enceintes, ou un vaccin qui viserait les enfants, au cas où le virus s’installerait de manière définitive.
    Du côté du médicament, il est assez difficile de savoir comment attaquer le virus car il ne reste présent dans le sang que quelques jours. Pour trouver un tel traitement, il faudrait détecter les infections très précocement et intervenir immédiatement. Mais il faut se préparer car la situation en Amérique centrale peut toujours s'aggraver, et on ne sait pas se qui se passera l’an prochain. On ne sait pas non plus où le virus va migrer.

    A-t-on sous-estimé ce virus ?

    Dr Marie-Paule Kieny : Oui, on l’a sous-estimé mais on ne sait pas encore s’il a évolué. On distingue aujourd’hui deux sous-types de virus, africain et asiatique. On ne sait pas si ce changement a modifié sa pathogénicité. Ses effets neurologiques sont maintenant bien décrits, mais ils ne l’ont pas été il y a deux ans car les populations touchées étaient trop peu importantes. Les microcéphalies ont pu passer inaperçues, contrairement à ce qu'il se passe actuellement au Brésil. Nous n’avons pas non plus compris la totalité des effets néfastes induits par l’infection. Il semblerait qu’il y ait d'autres complications neurologiques que les microcéphalies et les syndromes de Guillain-Barré.

    Comment appréhendez-vous les Jeux Olympiques à Rio de Janeiro (Brésil) et l’Euro 2015 en France ?

    Dr Marie-Paule Kieny : Des précautions doivent être prises, comme pour tout mouvement de masse. Nous conseillons aux femmes enceintes et à leurs partenaires qui voyagent dans ces zones de se protéger contre les moustiques, et par l’utilisation de préservatif. Sans céder à la panique, il faut avoir une attitude responsable et prendre toutes les précautions pour les populations les plus sensibles. Le rôle de l’OMS est de conseiller le pays organisateur et d’émettre des recommandations mondiales pour les pays dont la population voyagera au Brésil, pour la prévention et la prise en charge au retour.

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