Etiquetage nutritionnel
Aliments : la naissance dans la douleur du code 5 couleurs
5 couleurs pour distinguer les aliments sains et moins sains d'une même catégorie. Le gouvernement veut faire évoluer l’étiquetage et améliorer la nutrition des Français. Un parcours semé d’embûches car distributeurs et fabricants ont décidé de ne pas se laisser faire.
Et si un code couleur simplifiait la lecture des emballages alimentaires ? Entre la liste des ingrédients et le tableau des apports recommandés, les déchiffrer peut s’apparenter à l’apprentissage d’une langue étrangère. Pour les parents, conjuguer les envies de céréales et les apports nutritionnels paraît bien compliqué au vu des nombreux produits et nutriments inscrits au dos du paquet. Les célibataires qui souhaitent garder la ligne se voient confrontés au même problème. Quant aux actifs qui n’ont pas toujours le temps de faire la cuisine, s’y retrouver dans le rayon des plats préparés relève souvent du casse-tête. Cette complexité ne favorise pas l’équilibre nutritionnel. 66 % pensent ainsi que les étiquettes sont incompréhensibles.
Or, 40 % de la population présente un surpoids, et une personne sur 10 est obèse. « Il y a le feu au lac en matière nutritionnelle et il est important d’agir », résume Olivier Andrault, chargé de mission alimentation à l’UFC-Que Choisir. C’est justement pour améliorer la situation que le gouvernement tente de mettre en place un système à 5 couleurs. Le chantier, mis en branle en janvier 2014, rencontre une forte opposition de la part de l’industrie agro-alimentaire. Aux yeux des fabricants et des distributeurs, une pastille rouge risque de stigmatiser les produits qui la reçoivent. Le ministère de la Santé a cédé sur plusieurs points et accepté de réaliser des tests en conditions réelles d’achat. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) doit rendre, en ce début de mois d’avril, sa première évaluation sur le protocole à l’œuvre. Une étape supplémentaire dans un parcours semé d’embûches.
« Transparent et objectif »
Le code couleur n’est pas une idée récente mais il a connu un coup d’accélérateur grâce à un changement de la législation européenne début 2014. Le règlement Inco (Information du consommateur) impose aux fabricants l’affichage d’un tableau nutritionnel. Au même moment, la ministre de la Santé Marisol Touraine commande un rapport aux professeurs de nutrition Serge Hercberg et Arnaud Basdevant. Son objectif : donner un « nouvel élan » à la politique nutritionnelle dans le pays. 15 propositions en émergent. Parmi elles, l’idée d’un logo qui clarifierait l’étiquetage alimentaire. « Le logo coloriel a une double vocation, explique le Pr Hercberg. Faire la transparence sur la qualité nutritive des aliments, et permettre d’effectuer une comparaison à l’intérieur d’une même catégorie, ainsi qu’entre des mêmes aliments de marques différentes. »
Serge Hercberg propose donc un code à 5 couleurs (5-C). Le mode de calcul attribue deux types de points en fonction de la composition du produit : les éléments défavorables pour la santé (sucres, sel, acides gras saturés) reçoivent 0 à 10 points, les éléments favorables (protéines, fibres, légumes…) 0 à 5 points. Un algorithme réalise le score de ces deux données. C’est le score FSA. Le total est traduit sous forme de logo coloriel, les pastilles allant du vert au rouge. Un système « transparent et objectif », selon le Pr Hercberg, qui a passé en revue différentes techniques.
La contre-attaque des distributeurs
Pourquoi 5 couleurs ? Il y a deux raisons à cela. « Nous espérons informer le consommateur de manière précise, et inciter les industriels à améliorer leur offre », développe Serge Hercberg. Si un code tricolore nécessite de gros efforts pour changer de catégorie, l’idée de cinq couleurs permettrait plus de souplesse. Sur le premier point, une pétition étaie l’hypothèse du gouvernement. L’Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle (EREN) a confronté plusieurs milliers de participants de la cohorte Nutrinet-Santé – coordonnée par Serge Hercberg – à différents systèmes d’information nutritionnelle. Cette étude, lancée en 2009, a pour objectif d’évaluer les liens entre nutrition et santé. 80 % des répondants apprécient le concept de logo. Le système 5-C s’en sort plutôt bien, même si les feux tricolores sont mieux compris par les personnes défavorisées ou présentant un trouble nutritionnel.
Sur le second point, en revanche, tout n’est pas rose. Au mois de mars 2015, la grande distribution organise la contre-attaque : la Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD) propose son propre système de code couleur, élaboré par Carrefour et la créatrice d’un système de notation concurrent et chercheuse à l’Inra, Nicole Darmon (voir encadré). Il se montre moins pénalisant pour les producteurs, car les « mauvais » nutriments affectent moins le score global.
Avec cette proposition, la FCD adopte surtout une stratégie classique du lobbying : occuper le terrain en proposant une alternative plus favorable à ses propres intérêts. Et par la même occasion, jouer la montre. L'Association nationale des industries agro-alimentaires (ANIA) s'oppose elle aussi publiquement au système 5-C. « Il n'apporte pas une information utile et juste aux consommateurs dans le cadre d'une alimentation variée et équilibrée », explique par mail sa directrice alimentation et santé, Cécile Rauzy. Le reproche de l'ANIA : le score FSA ne tient pas compte de la taille des portions ou des fréquences de consommation. « Il existe tout de même une différence entre un carré de chocolat et une tablette entière », avance Cécile Rauzy.
Le soutien des agences françaises
Malgré les désaccords, Olivier Andrault de l’UFC-Que Choisir se montre plutôt optimiste. « Nous pensons que tous les opérateurs ont intérêt à mettre en place une information simplifiée, de quelque sorte. Pour la FCD, c’est une évidence puisqu’elle a pris un engagement formel, détaille-t-il. En ce qui concerne les fabricants, ne pas mettre en place l’étiquetage pourrait donner aux consommateurs l’impression de dissimulation sur la qualité nutritionnelle des produits. »
Côté Etat, les avis favorables au système 5-C se multiplient. L’été 2015 est fructueux : en juin, l’Anses conclut qu’il est techniquement applicable après avoir passé en revue 12 000 références différentes. Deux mois plus tard, c’est le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) qui apporte sa pierre à l’édifice. Le système FSA est le plus pertinent, le mieux compris et le plus aisément applicable, selon les experts du Haut Conseil. Mais il doit d’abord être adapté aux particularités de l’alimentation française. C’est pourquoi le HCSP propose un algorithme sur mesure.
Malgré les preuves scientifiques favorables, des voix discordantes s’élèvent contre le système… y compris en dehors du milieu agro-alimentaire. Le nutritionniste parisien Arnaud Cocaul en fait partie. Il dénonce une médicalisation excessive de l’alimentation selon le modèle anglo-saxon.
Accompagnement pédagogique
« Certaines couches de la population risquent de tomber dans la confusion alimentaire et de se rendre coupables par rapport aux produits étiquetés rouge, sachant que leur éducation et leur budget ne leur permettent pas forcément d’équilibrer leur alimentation », avance le Dr Cocaul. Si côté porte-monnaie, l’argument fait mouche, le Pr Hercberg a bel et bien prévu d’ajouter au système 5-C un programme d’accompagnement pédagogique. « C’est indispensable », tranche l’expert. Il devrait prendre la forme de campagnes d’information et d’accompagnement dans les écoles.
Après de longs débats, et plusieurs propositions d’amendements, le principe de l’étiquetage est retenu dans l’article 14 de la loi de modernisation de notre système de santé. « La déclaration nutritionnelle obligatoire (…) peut être accompagnée d’une présentation ou d’une expression complémentaire au moyen de graphiques ou de symboles », stipule le texte. Le logo est donc remis à un décret d’application et se fera sur la base du volontariat. L’industrie remporte une victoire car elle sera libre de l’utiliser ou non. A ce jour, aucun calendrier n’est disponible. La ministre de la Santé a accepté, avant d’en définir la forme, de réaliser des tests en conditions réelles d’achat. Les pressions de l’industrie agro-alimentaire n’y sont pas étrangères.
Des scores complexes à des fins de recherche
Le système 5-C (5 couleurs) s’appuie sur le mode de calcul développé par la FSA (Food Standard Agency), une agence britannique. Il a été mis au point afin de réguler la publicité destinée aux enfants. D’autres systèmes existent, souvent développés par des universitaires. Le système SAIN-LIM sert de base à la proposition concurrente de Carrefour, soutenue par les représentants du secteur agro-alimentaire.
Nicole Darmon, directrice de recherche à l’Inra (Institut national de recherche agronomique), l’a développé. Dans le cadre de ses travaux sur l’alimentation des populations défavorisées, elle s’est intéressée au coût d’une bonne nutrition. « Il me fallait des indicateurs de qualité nutritionnelle. J’ai donc développé un score qui qualifie la bonne qualité des aliments, le SAIN, et la mauvaise qualité, le LIM », explique-t-elle. Le calcul consiste à observer l’écart, positif ou négatif, par rapport aux recommandations journalières officielles. Mais les apports bénéfiques ne compensent pas les apports négatifs. Une philosophie différente des autres systèmes, qui « pénalisent » ou « récompensent » le profil nutritionnel des aliments.
Présenté devant l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avant les débats sur le code couleur, il n’a pas été retenu par le Pr Hercberg. « Le SAIN-LIM a été écarté du débat, moi aussi, lâche-t-elle. J’avais oublié cette affaire et l’agenda politique quand Carrefour m’a contactée pour développer un système d’étiquetage nutritionnel. » La chercheuse a donc accepté la proposition du distributeur et a adapté son score aux étiquetages actuels, donnant naissance au système SENS.