Interview du week-end

"Pour avoir un microbiote en bonne santé, il est essentiel d’avoir une alimentation diversifiée"

Notre corps est colonisé de milliards de bonnes bactéries qui nous protègent de nombreuses maladies et infections. Mais comment pouvons nous prendre soin et protéger ces microbiotes essentiels à notre santé. La docteur en biochimie moléculaire Kahina Oussedik, experte en équilibre nutritionnel et auteure du livre "La Révolution des microbiotes buccal, intestinal et vaginal" (Ed Albin Michel), répond à nos questions. 

  • SewcreamStudio/istock
  • 30 Mar 2025
  • A A

    - Pourquoi Docteur : on parle beaucoup du microbiote, mais qu’est-ce que c’est exactement ?

    Dr Kahina Oussedik : notre corps abrite plus de 1.000 familles différentes de bactéries qui contiennent chacune plusieurs milliards d’individus. Chacun de ces ensembles forme un microbiote, et l’ensemble de ces microbiotes composent un microbiome. Tous ces microbiotes, situés dans des diverses parties de l’organisme, ont un rôle bien défini pour assurer le fonctionnement du corps et le protéger. 

    On parle beaucoup du microbiote intestinal, car on lui a trouvé des rôles par exemple sur le sommeil et la digestion. Il a aussi des implications dans certaines maladies métaboliques comme l’obésité ou le diabète de type 2 ou même psychiques ou neurodégénératives (Parkinson…). Toutefois, il est temps maintenant de parler des autres microbiotes comme celui de la bouche ou du vagin. Ils sont aussi influents que lui. Moins conséquents, mais aussi influents.

    Par exemple, si les bactéries du microbiote buccal ne fonctionnaient pas bien et ne faisaient pas barrage à certains pathogènes ou toxines comme elles le font, on sait aujourd’hui que le nombre de cancers digestifs seraient plus importants.

    En fait, les différentes populations de micro-organismes logées un peu partout dans le corps travaillent en synergie. Et chaque axe va jouer un rôle important pour notre santé. 

    "Pour assurer leur job de protection, les bonnes bactéries ont besoin d’être bien nourries"

    - Pourquoi docteur : est-ce que ces microbiotes ont la même composition ? 

    Il y a des différences importantes dans la composition des microbiotes. Il y a une plus grande diversité de bactéries dans les intestins. En effet, le microbiote intestinal compte 50 milliards de micro-organismes, le buccal environ 10 milliards, et le vaginal un petit milliard.

    Il y a une “bonne” bactérie qui revient souvent, mais qui a des rôles différents selon où elle se loge. C’est la fameuse lactobacillus. On la retrouve dans la bouche, dans les intestins, dans le vagin. Elle est importante, car lorsqu’elle est là, elle arrive à réduire les inflammations et à augmenter l’immunité de la zone où elle est.

    Si certaines bactéries – comme les lactobacillus – peuvent être présentes partout, d’autres sont observées dans un seul environnement. Par exemple, vous verrez les Akkermansia uniquement dans les intestins. Celles-ci sont très étudiées, car elles ont un rôle important dans la prévention de l'obésité et le diabète.

    - Pourquoi faut-il prendre soin de ces différents microbiotes ?

    Pour assurer leur job de protection, les bonnes bactéries ont besoin d’être bien nourries. Par contre, si elles ne le sont pas, elles finissent par se rebeller : soit elles s’en vont et on n’a plus de protection, soit elles se mettent à se multiplier et cela cause des inflammations.

    Finalement, c’est comme les plantes. Si on prend soin d’elles, on récolte les fruits et leurs légumes. On évolue avec un environnement sain et stable. Si on n'en prend pas soin, c’est tout simplement la déforestation et la désolation.

    Alimentation et microbiote : "en excluant certains aliments, on finit par affaiblir les bonnes bactéries"

    - Et comment nourrit-on les bonnes bactéries ?

    Pour avoir un microbiote en bonne santé, il est essentiel de manger des fruits et des légumes et d’avoir une alimentation diversifiée. On a plusieurs communautés qui ont décidé d’exclure totalement des aliments comme les produits laitiers, les protéines animales ou encore le gluten… Ces adeptes ont remarqué qu’en excluant telle ou telle famille d’aliments, ils se sentaient mieux. Mais, il s'agit d'un faux sentiment. Ils se sentent bien, car ils ont éteint une inflammation. Toutefois, quand le boomerang revient, il revient fort. 

    En effet, les micro-organismes des différents microbiotes sont comme nous : ils ont des préférences culinaires. Certains adorent la viande. D’autres préfèrent les végétaux. D’autres, leur péché mignon, ce sont les produits laitiers. En excluant certains aliments, on finit par les affaiblir. Les bonnes bactéries se nourrissent d’autres choses, mais petit à petit on les tue, si on ne leur donne pas leur aliment préféré.

    Il faut donc faire attention aux exclusions alimentaires dont on entend de plus en plus parler. Si on se sent mieux sur le moment, après plusieurs années, on a décapé nos microbiotes de certaines bactéries pourtant importantes. 

    En revanche, il est essentiel d’éviter de consommer les produits transformés ainsi que les sucres et édulcorants mis au point par l’industrie agroalimentaire. Nos bactéries ne supportent pas ce qui ne vient pas de la nature. D'ailleurs, les problèmes de déséquilibre du microbiote – appelés les dysbioses – ont augmenté depuis l’arrivée de ces nouveaux aliments que nous avons inventés. Il y a plus d’infections buccales, plus d'infections vaginales, plus de mycoses… 

    "Il faut laisser la flore vaginale tranquille, elle sait parfaitement se débrouiller seule"

    - Certaines femmes ont intégré les savons intimes ou les bains de vapeur dans leurs hygiènes intimes dans l’optique de prendre soin de leur vagin. Quels sont les bons gestes qui assurent la bonne santé du microbiote vaginal ?

    Ce qui est important à comprendre : c’est que le vagin doit rester acide pour être en bonne santé. Les savons intimes vendus dans le commerce ne sont ainsi pas une bonne idée. Ils “décapent” trop fort. Il faut laisser la flore vaginale tranquille, elle sait parfaitement se débrouiller et se nettoyer toute seule. Pas besoin du savon

    Si vous voulez renforcer votre microbiote vaginal, la bactérie star reste le lactobacillus. Elle évite les mycoses, surtout à la périménopause et la ménopause. Plus il y en a, plus vous êtes tranquille. Comment nourrir cette bactérie pour qu’elle reste dans le vagin ? La réponse est l'acide hyaluronique. 

    Le lactobacillus ne se nourrit que de milieu acide, plus vous acidifiez le milieu, plus il se renforce. Ainsi avec l’acide hyaluronique, on est sûr de ne pas faire d’erreur. Ce sont des ovules que l’on peut acheter sans ordonnance. Les cures sont recommandées aux amatrices de piscine ou avant l’été pour les femmes sujettes aux infections. C’est très utilisé par les Américaines et les Européennes beaucoup moins par les Françaises.

    Il y a toutefois une contre-indication : il ne faut pas en prendre si la muqueuse vaginale a des plaies.

    Microbiote buccal : "il faut éviter les bains de bouche du commerce"

    - Avez-vous des astuces pour le microbiote buccal ? 

    Il faut éviter les bains de bouche du commerce. On a l’impression de faire du bien à sa bouche, mais c’est exactement comme les savons intimes. Cela décape violemment les bactéries présentes. Si vous avez des aphtes, la solution est un remède de grand-mère très simple : mettre dans un peu d'eau cinq clous de girofle et ajouter deux gouttes d’eau oxygénée. Il faut ensuite faire des petits bains de bouche avec ce produit.

    Le clou de girofle est une molécule miracle. Ça permet la cicatrisation, c’est un désinfectant. Et c’est beaucoup plus doux pour le microbiote buccal que les bains de bouche du commerce.

    On oublie souvent de le préciser lorsqu’on parle de la santé du microbiote buccal : il faut aussi éviter le grignotage. Plus on grignote, plus on ramène des bactéries extérieures dans la bouche et on augmente le risque d’inflammation. Donc si vous avez régulièrement des aphtes ou des infections dans la bouche, évitez de manger entre les repas. 

    - Les antibiotiques sont aussi connus pour perturber l’ensemble des microbes humains et provoquer de nombreux désagréments. Comment éviter cela ? 

    Les gens me disent souvent : "je ne prendrai plus d'antibiotiques, car ça fait du mal au microbiote". C’est un très mauvais calcul. Ces médicaments sont généralement les seules solutions pour soigner leur pathologie. Et, il ne faut pas oublier que si vous ne vous soignez pas, ce sont les virus et les bactéries pathogènes que vous n’avez pas tué qui tueront votre microbiote.

    Ainsi, face à une infection importante, il faut prendre les traitements antibiotiques prescrits. Pour limiter leur impact sur les microbiotes, il est conseillé de faire des cures de yaourts de brebis ou de chèvre. Ces produits sont naturellement très riches en probiotiques. Ils vont venir – via les étapes naturelles de la digestion – renforcer vos bonnes bactéries.

    Et si vous souhaitez faire une cure de probiotiques, pas besoin de choisir ceux où il y a un milliard de bactéries différentes. Quand on ne sait pas trop ce qui manque, il suffit de privilégier les essentiels : c'est-à-dire les lactobacillus. C’est l’une des bactéries les plus importantes pour renforcer le système immunitaire.

    "Le séquençage du microbiote va devenir un élément de plus en plus important des soins"

    - Quels sont les signes d’un microbiote affaibli ?

    Pour la bouche, systématiquement, le signe qu’il y a un problème ce sont les aphtes. Le candida peut en être un autre. En effet, si les bactéries de la bouche ont disparu, le champignon a la possibilité de se développer.

    Les ballonnements, les gaz et les flatulences après une prise d'antibiotiques sont aussi des signes que la flore intestinale s’est fragilisée. 

    De plus, 15 % des Européennes développent des vaginoses après chaque cure d'antibiotique. À ces femmes, je leur conseille de prendre des ovules d’acide hyaluronique.

    Lorsque les microbiotes montrent des signes d'affaiblissement, il est aussi bon de prendre des vitamines. Elles sont les substrats du microbiote.

    Mais le séquençage du microbiote – qui commence à arriver dans nos pratiques – peut aider à déterminer précisément l’état de santé du microbiome. Un peu comme un bilan sanguin, ce bilan bactérien permet de voir les bonnes bactéries fragilisées et de déterminer les probiotiques sur mesure à consommer.

    À mon avis, le séquençage du microbiote va devenir un élément de plus en plus important dans les soins. Par exemple, dans mon centre, je fais régulièrement du séquençage de microbiote buccal pour les personnes en sortie de chimiothérapie. Souvent, ils ont la bouche en feu, des infections et des champignons à répétition ou encore des soucis de déchaussement. L’analyse et le séquençage de bactéries permettent de voir ce qui pose un problème : les bactéries à renforcer, celles qui sont en surnombre. Ensuite, on échange avec les médecins et les oncologues pour faire part de nos recommandations. Cette médecine prédictive sera un élément essentiel de la santé dans les années à venir.

    Pour laisser un commentaire, Connectez-vous par ici.
    
    -----