L'interview du week-end

Journée européenne de la dépression : “Avec l’art-thérapie, le patient dépressif parvient à se renarcissiser”

Ce dimanche 27 octobre 2024 marque la journée européenne de la dépression. À cette occasion, le psychologue, art-thérapeute et artiste Michel Briat revient sur une méthode thérapeutique qui aide beaucoup de patients dépressifs à réduire leurs idées noires et leurs ruminations : l’art-thérapie.

  • Par Sophie Raffin
  • Zbynek Pospisil/istock
  • 27 Oct 2024
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    La dépression peut toucher tout le monde et à tout âge. Selon les estimations, une personne sur 5 a souffert ou souffrira de ce trouble psychique au cours de sa vie. La journée européenne de la dépression, qui existe depuis 2003, a pour objectif de sensibiliser sur cette maladie mentale et l’importance de sa prise en charge par des professionnels. Ils ont plusieurs outils pour cela. L’art-thérapie en est l’un d’eux.

    Pourquoi Docteur : En quoi consiste l’art-thérapie ?

    Michel Briat : Pour faire une définition simple, l’art-thérapie consiste à utiliser un médium artistique à des fins thérapeutiques. Je suis plasticien, peintre, psychologue et art-thérapeute. Ainsi, mes ateliers se concentrent sur les arts plastiques. Mais l’art-thérapie peut concerner tous les types d’art : les arts de la scène, la musique, le théâtre, la danse, l’écriture, la sculpture, la peinture. Tous les médiums artistiques peuvent être utilisés en art-thérapie.

    Le terme d’art-thérapie a été inventé par le peintre britannique Adrian Hill en 1942. Alors qu’il était soigné en sanatorium pour une tuberculose, l’artiste a organisé des ateliers de dessin et de peinture. Il s’est alors aperçu que les gens qui y participaient guérissaient plus vite. Ce qui l’a conduit à travailler et à développer la notion d’art-thérapie.

    En psychiatrie, l’art-thérapie ne s’utilise pas seule. Elle est majoritairement organisée dans une structure et fait partie d’un dispositif de soin. En développement personnel, il n’y pas forcément de traitements. Vous pouvez le faire, car vous souhaitez devenir plus créatif, explorer de nouvelles choses, développer vos capacités…

    Dépression : “La création ne permet pas de casser le mur, mais de le contourner”

    En quoi l’art-thérapie est une méthode intéressante dans le traitement de la dépression ? 

    L’une des caractéristiques de la dépression est que le patient n’a envie de rien faire. Il n’a pas d’envies, pas de désirs. Il a perdu son appétence pour la vie et les projets. Très souvent, les patients dépressifs n’ont pas du tout envie de faire de l’art-thérapie. Au début, il faut les motiver ou même les amener en séance. Ainsi, une personne souffrant de dépression qui participe à un atelier d’art-thérapie, c’est déjà un grand pas pour elle, car elle fait l’effort de faire quelque chose.

    L’un des bénéfices de l’art-thérapie est d’augmenter son périmètre de créativité. Le patient dépressif pense généralement qu’il n’est pas capable de créer, qu’il est nul… mais au fil des séances, il se rend compte qu’il a beaucoup plus de possibilités de création qu’il ne l’imaginait. 

    Généralement, les personnes en dépression ont l'impression d’être dans une impasse, de faire face à un mur infranchissable. La création ne permet pas de casser le mur, mais de le contourner. L’art-thérapie aide à contourner des situations que l’on pense inextricables. 

    Les ateliers peuvent aussi aider les patients à exprimer des choses qui n’ont jamais été dites. Mais, l’art-thérapie est souvent faite en groupe dans les institutions et on ne peut pas explorer ça devant le groupe. En effet, un trauma qui ressurgit dans un dessin, le groupe ne peut pas forcément l’encaisser. C’est pourquoi il est préférable que le sujet soit repris en séance individuelle par la suite. La parole doit être adressée à un professionnel dans un cadre intime.

    Art-thérapie et dépression : “Petit à petit, on reprend confiance en soi en créant un objet”

    Est-ce que l’art-thérapie est adaptée à tous les types de dépression ? 

    Pour les dépressions qui sont liées à des causes extérieures comme un trauma, un deuil ou un épuisement professionnel, l’art-thérapie peut être très bénéfique. Cela permet aux patients de se reconnecter à des choses réelles : la matière, le papier, la couleur, le mouvement ainsi que le groupe. Cela les sort de leurs ruminations, de leurs souvenirs traumatiques…

    Cela reconnecte aussi au “faire”. Le faire – c'est-à-dire l’action des mains – est essentiel en art-thérapie. C’est ce qui aide à s’extraire de la rumination mentale, des idées noires. Petit à petit, on reprend confiance en soi en créant un objet, une image. Avec l’art-thérapie, le patient dépressif parvient à se renarcissiser. Lors d’une dépression, on se sent dévalorisé : en premier lieu par soi-même, mais aussi par l’extérieur. En effet, la dépression n'est généralement pas comprise par les proches. Ils disent souvent : “tu n’as qu'à te bouger”, “tu dois te lever”... Par exemple, un ado dépressif est souvent pris pour un fainéant par ses proches. 

    La création est ainsi un élément important de l’art-thérapie, car cela renarcissise, cela aide à reprendre confiance en soi, cela sort des idées noires. 

    En revanche, les ateliers ne sont pas forcément efficaces sur des dépressions très sévères comme les mélancolies. Chez ces patients, il y a des états presque catatoniques avec des idées délirantes ou encore des culpabilités. Pour eux, c’est compliqué d’agir via l’art-thérapie, car on est proche de la psychose. Il est préférable de passer par des traitements psychiatriques lourds. 

    Les dépressions liées à la bipolarité doivent pour leur part être prises en compte de manière un peu différente en art-thérapie. Ce trouble est la succession d’un état dépressif et d’un état maniaque. Certains psychiatres ont des réticences à utiliser l’art-thérapie avec cette pathologie, car ils ont peur que l'excitation de la création conduise le patient à prendre un virage maniaque. Pour moi, il est possible de leur proposer d'intégrer un atelier, mais il faut être très vigilant à cette montée vers un état “up” et à la gérer.

    Art-thérapie : “c’est plus simple pour les gens qui n’ont pas fait de peinture depuis la maternelle” 

    A-t-on besoin de s’y connaître en peinture, en musique, en dessin, en théâtre ou encore savoir écrire pour faire de l’art-thérapie ? 

    Pas du tout. Pour être honnête, faire de l’art-thérapie avec des artistes, c’est ce qu’il y a de plus dur. Que cela soit des comédiens, des peintres ou des danseurs, ils sont complètement déstabilisés en art-thérapie, car on leur demande de faire autre chose que leur pratique artistique habituelle. C’est très dur pour eux de lâcher ce qu’ils savent faire.

    Ainsi, il ne faut pas avoir de crainte. L’art-thérapie, c'est plus facile pour les gens qui n’ont pas fait de peinture depuis la maternelle. Ils lâchent plus facilement prise.

    En revanche, il faut trouver “son médium” pour que cela soit efficace. Pour certains, cela sera la peinture, pour d’autres l’écriture ou encore la sculpture. Mais généralement, les gens savent intuitivement si la musique, la peinture ou l’écriture leur parle davantage.

    Le plus souvent d'ailleurs, les institutions proposent plusieurs types d'ateliers : arts plastiques, chant, musique, théâtre, écriture… afin que les patients trouvent ce qui leur convient le plus.

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