L'interview du week-end
Joana Balavoine et la cocaïne : « Le plus dur n’est pas la cure de désintoxication, mais le retour à la vie réelle »
Depuis la campagne où elle s'est installée, Joana Balavoine nous raconte sans tabou les affres de son addiction à la cocaïne et son long chemin vers la libération.
- Pourquoi docteur - A la lecture de votre bande dessinée « Les lions endormis » (Bamboo Editions), on comprend que vous avez commencé à consommer de la cocaïne assez jeune. Vous souvenez-vous de la première fois ?
Joana Balavoine - Oui, j’avais 16 ans. J’avais pris un petit boulot d’été dans la restauration, car je voulais ouvrir mon propre compte en banque. C’est un milieu professionnel où il circule beaucoup de cocaïne, et mes collègues m’en ont proposé lors d’une soirée chez l’un d’eux.
- Êtes-vous tombée rapidement dans l’addiction, ou s’est-elle installée petit à petit ?
La dépendance s’est installée progressivement. Jusqu’à mes 18 ans, j’étais en pension, ce qui m’a protégée car les lycéens étaient régulièrement testés pour vérifier qu’ils ne prenaient pas de stupéfiants.
Une fois majeure, j’ai commencé à prendre de la cocaïne le week-end, puis une fois par semaine... Et c’était parti. A la fin, je sniffais plusieurs fois par jour.
- Les illustrations de la BD montrent que vous aviez une consommation assez importante : on vous voit notamment saigner du nez. Combien ingériez-vous de cocaïne par jour au plus fort de votre addiction ?
J’ai eu des hauts et des bas. Mais lorsque j’étais au plus mal, je sniffais un peu plus d’un gramme de cocaïne par jour, voire un et demi. Par contre, j’ai toujours essayé de ne pas consommer avant les répétitions avec mon groupe de musique, ni avant mes cours de chant.
- En tout, combien de temps votre addiction à la cocaïne a-t-elle duré ?
A peu près 14/15 ans, sachant que les cinq dernières années d’addiction ont vraiment été les plus violentes. Plus je m’enfonçais psychologiquement, plus je me droguais.
- Qu’est-ce que vous recherchiez comme effet ?
Dès que vous prenez une ligne, vous avez l’impression que tout va bien. Comme je n’arrivais pas à construire ma vie, c’est précisément cette sensation que je recherchais.
- Vous consommiez d’autres drogues ?
Je fumais aussi du cannabis à outrance.`
- Quelle était votre journée type ?
Mon héritage me permettait de ne pas avoir à partir travailler pour gagner ma vie. Donc je me levais, je fumais un joint et je sniffais une ligne de cocaïne. Je pianotais ensuite 5 minutes en ayant l’impression d’avoir travaillé une heure, puis je reprenais une ligne, je refumais un joint et j’allais regarder un film. C’étaient des journées presque complètement vides, où tout n’était que mensonges et illusions.
- Avez-vous essayé de vous sevrer toute seule ?
J’ai fait une première tentative d’arrêt quand j’ai été quelques semaines chez mon amie Sylvie (la scénariste de la bande dessinée, NDLR). Puis je suis tombée amoureuse et je suis partie m’installer dans le Pays Basque, en croyant qu’il n’y aurait pas de drogue dans le Sud. Mais malheureusement, avec l’Espagne à côté, c’était en fait très facile de s’y procurer de la cocaïne, surtout que ma compagne consommait elle aussi. J’ai donc rechuté, tellement vite et tellement violemment que mon professeur de chant m’a dit qu’il ne pouvait plus m’enseigner.
- Cela a-t-il été une sorte d’électrochoc ?
Oui. J’ai eu très peur, car c’était la personne en laquelle j’avais le plus confiance et mon seul lien avec la réalité. Heureusement, il a abordé le sujet avec moi et on m’a trouvé une addictologue. Au bout de 4/5 séances au centre Elsa de Bayonne, je suis sortie du déni et j’ai décidé de me faire hospitaliser au sein de l’hôpital Le Montaigu, dans les Pyrénées. Je pensais y rester 10 jours, mais au final, ma cure de désintoxication a duré plusieurs mois (de Noël à février, NDLR). Au mois de mai qui a suivi ma sortie, j’ai arrêté les traitements que les médecins m’avaient donnés*.
- Comment votre cure de désintoxication s’est-elle déroulée ?
Je n’avais plus de cocaïne dans l’organisme au bout de trois semaines, mais l’hospitalisation a duré davantage, car j’étais beaucoup plus atteinte psychiquement que ce que je croyais. Concrètement, je voyais régulièrement mon addictologue en visio et le psychologue de l’établissement. J’avais énormément besoin de parler de mon histoire, de mes traumatismes.
Je construisais aussi beaucoup de pièces en LEGO®, de manière presque obsessionnelle. Je me suis également remise à dessiner et à écrire.
- Y a-t-il des choses qui vous ont aidée à ce moment-là ?
Comme les gens aiment mon père et que son décès a été tragique, je bénéficie de traitements de faveur depuis toute petite. Donc déjà, cela m’a fait du bien d’être dans un endroit où personne ne savait qui j’étais et d’être traitée comme tout le monde.
Ensuite, constater que je n’étais pas la seule à souffrir d’addiction m’a permis de me décentrer et de partager.
- Les malades hospitalisés sur de longues périodes ont souvent, à la fin, peur de sortir. Cela a-t-il été votre cas ?
Oui. Parce que pendant la cure, les patients sont entourés de professionnels bienveillants et n’ont pas à se gérer. On nous fait à manger, le ménage, etc... Ce qui est dur, au fond, ce n’est pas tant la cure de désintoxication, mais le retour à la vie réelle.
- Les addictions ne sont que le symptôme de problèmes plus profonds. Avec le recul, avez-vous réussi à identifier quels étaient les vôtres ?
C’est en partie lié à mon histoire familiale. Je suis une enfant posthume : lorsque je suis née, mon père venait de mourir. C’est une problématique mortifère assez lourde à gérer. J’ai aussi terriblement manqué de figure paternelle, d’autorité, de limites.
J’avais également peur de décevoir, ce qui m’immobilisait. Et mon héritage n’a pas arrangé les choses, car je n’avais pas soif d’avancer.
- Concernant vos parents justement, vous évoquez assez peu votre mère dans la bande dessinée. Elle fait partie de votre problématique ?
On a un rapport compliqué. Je ne voulais pas trop l’impliquer dans le récit, car je ne veux culpabiliser personne ni régler des comptes. Quand mon père est mort, ma mère a tout perdu du jour au lendemain. Avec un garçon en bas âge et une fille dans le ventre au moment de l’accident, elle a fait comme elle a pu. Mais elle a eu du mal à gérer le deuil et a longtemps cherché à se sauver, ce qui, je pense, a eu des conséquences sur mon développement.
- L’addiction à la cocaïne a-t-elle eu des conséquences physiques sur votre corps ?
J’ai la chance incroyable de n’avoir aucune séquelle au niveau du nez, ni au niveau des poumons. Mais j’ai souffert de problèmes dentaires. Après mon sevrage, j’ai traîné une gingivite pendant un an et j’ai failli perdre mes dents, car la drogue m’avait mangé 3 millimètres de gencive. J’ai aussi eu beaucoup de problèmes de mémoire, de fatigue, d’estomac et de tremblements.
- Avez-vous tout récupéré depuis votre sevrage ?
Presque tout : j’ai l’impression que mon travail sur la musique et la lecture a littéralement reconstruit des zones de mon cerveau. Mais j’ai encore parfois du mal à me concentrer et je perds régulièrement le fil de ce que je suis en train de faire.
- Aujourd’hui, vous sentez-vous solide face à la cocaïne et au cannabis ?
Oui. Cela fait trois ans que je n’y ai pas touché et je pense que je ne retomberai pas dedans. Au bout de quelques semaines de cure de désintoxication, quand les médecins m’ont dit que je n’avais plus de cocaïne dans le corps, je me suis enfin sentie propre. Donc aujourd’hui, rien que de penser à la drogue, cela me dégoûte. J’ai aussi regagné ma liberté et la force d’être moi-même, ce que je ne le sacrifierais pour rien au monde.
Après, mon chemin a été long, difficile, et encore aujourd’hui, ce n’est pas toujours évident. Il m’arrive de verser des larmes lorsque je réalise ce que j’ai fait sous emprise de la drogue et tout ce que j’ai détruit : mon groupe de musique, des relations amicales, etc.
J’évite aussi tout ce qui peut m’éloigner de moi-même. Par exemple, dès que je sens qu’une relation n’est pas saine, j’y mets fin. J’ai également supprimé mon compte Instagram personnel, car c’est pour moi l’incarnation du vide : je trouve que les posts ne reflètent pas du tout la réalité de ce que je vis ni de ce que vivent les gens.
- Vous êtes toujours accompagnée médicalement ?
Je continue l’addictologie, la psychanalyse et l’EMDR. Je profite d’ailleurs de cette interview pour souligner que j’ai énormément de chance d’avoir les moyens de le faire, car tous ces soins sont très chers. Beaucoup de personnes dépendantes ne peuvent pas se le permettre et rechutent.
- Quels sont vos projets aujourd’hui ?
J’apprends la musique, je travaille le chant et j’écris des chansons, sans pression. Que je sois la fille de Daniel Balavoine ou pas, que l’on me compare à mon père ou pas, cela ne change plus rien à mes projets. Je vise à sortir mon album solo et je prépare également un duo avec une artiste qui s’appelle Seemone.
Je vais aussi passer un diplôme universitaire en addictologie pour devenir « patient expert », et j’ai encore des choses à régler. Je suis toujours dans un processus de construction de moi-même.
- A la lecture de votre bande dessinée, on comprend que vous avez vécu pas mal d’échecs amoureux. Où en êtes-vous sur ce plan-là ?
Je suis toujours célibataire, mais je ne suis plus dans une quête désespérée d’amour paternel ou maternel. Je m’auto-suffis.
- Pourquoi avoir choisi de produire « Les lions endormis »?
Pour faire de la prévention et donner de l’espoir. La cocaïne circule partout et peut détruire n’importe qui, quels que soient son âge, sa situation professionnelle, amoureuse ou sociale. Je voulais aussi montrer qu’il ne faut pas avoir honte de rechuter, et qu’on peut s’en sortir.
*du prazépam et du Théralène®.