Mécanismes biologiques

Alcool : comment le cerveau des femmes les rend plus vulnérables

La sécrétion d’une hormone modifiant la réponse neuronale chez les femmes pourrait expliquer pourquoi celles-ci sont plus vulnérables que les hommes face à l'alcool. 

  • Par Raphaëlle de Tappie
  • LittleBee80/iStock
  • 05 Jun 2020
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    En France, l’alcool tue environ 41 000 personnes par an. Pourtant, si au pays du vin, la consommation tend globalement à diminuer, celle des femmes rejoint peu à peu celles des hommes. Force est de constater que les deux sexes ne sont pas égaux face à l’alcool. Non seulement les femmes qui boivent sont socialement moins bien vues, mais l’alcool affecte également plus leur organisme. Il a notamment été prouvé que l’alcoolémie apparaissait plus élevée chez une femme que chez un homme à quantité égale absorbée. L’élimination de l’alcool est également plus lente chez les femmes. Si un foie plus petit et une corpulence moins importante peuvent expliquer ces phénomènes, les mécanismes biologiques en jeu demeureraient flous. Aujourd’hui, une nouvelle étude parue dans The Journal of Neuroscience montre que la sécrétion d’une hormone modifiant la réponse neuronale chez les femmes pourrait expliquer cette différence.

    Pour leur étude, les chercheurs ont travaillé sur des souris, dont les cerveaux sont assez similaires à ceux des humains. Ils ont activé les récepteurs d’oestrogènes (groupe de stéroïdes, dont la fonction, à l'état naturel, est d'être une hormone sexuelle femelle primaire) dans l’aire tegmentale ventrale (ATV, groupe de neurones situé en plein centre du cerveau) de souris mâles et femelles. Ils ont alors pu observer que l’activation du récepteur d'œstrogène ERα enflamme les neurones en réponse à l’alcool. 

    Le taux d’oestradiol (E2) augmente et altère le système de la dopamine, un neurotransmetteur dans plusieurs voies du système nerveux, dont celle de la récompense. Quand les taux de E2 sont hauts, les neurones de l’ATV réagissent plus intensément à la présence d'éthanol et libèrent de la dopamine. Les abus sont alors plus probables, la consommation d’alcool étant plus “récompensée” par le système nerveux des souris femelles que celui des mâles.

    “Les femmes passent plus rapidement à un trouble de la consommation d’alcool”

    Les scientifiques ont ensuite bloqué certains récepteurs (ERa et ERb) dans l'ATV des souris. Si cela a diminué l’abus d’alcool chez les souris femelles, cela n’a eu aucun effet sur les mâles, bien que leur cerveau contienne également des oestrogènes. Il est donc possible que, chez les femelles, les récepteurs d’oestrogènes soient plus sensibles à l’activation quand les niveaux changent, avancent les chercheurs. Ainsi, l’oestrogène aurait des “effets puissants” sur le système de dopamine et augmenterait la vulnérabilité des femmes à développer une dépendance à l'alcool. “Ces résultats indiquent que différents mécanismes cérébraux provoquent la consommation excessive d'alcool chez les femmes et les hommes, explique Amy Lasek, psychiatre à l’université de l’Illinois (Etats-Unis) et co-autrice de l’étude. Si la consommation d'alcool est plus importante durant les périodes où les niveaux d'œstrogène sont élevés, cela peut contribuer à la fois à des risques pour la santé liés à l'alcool mais aussi augmenter les risques de développer des problèmes d'alcoolisme sévères”, explique-t-elle au site Inverse. “Les femmes passent plus rapidement d'une consommation problématique d'alcool à un trouble de la consommation d'alcool et souffrent des effets négatifs de l'alcool sur la santé, tels qu'un risque accru de cancer, de lésions hépatiques, de maladies cardiaques et de lésions cérébrales", poursuit-elle.

    Il a notamment déjà été prouvé qu’à consommation égale d’alcool, les femmes gardaient plus de séquelles à long terme. Elles souffrent davantage d’atteintes neurologiques (polynévrites périphériques à l’origine de douleurs ou de troubles de la sensibilité des extrémités) et développent plus tôt que les hommes une stéatose (foie gras), une fibrose hépatique ou encore une cirrhose (5 à 7 ans avant en moyenne). 

    Une approche basée sur le sexe dans le traitement de l’alcoolisme ?

    “C'est important car cela signifie que des approches différentes pourraient être nécessaires pour réduire la consommation excessive d'alcool chez les hommes et les femmes", développe Amy Lasek. Ainsi, à terme, ces résultats pourraient conduire à des traitements innovants basés sur le sexe pour l’alcoolisme.

    Actuellement, il existe déjà des médicaments bloquant les récepteurs d’œstrogènes. Connus sous le nom de modulateurs sélectifs des récepteurs d'œstrogènes (SERMS), ils sont utilisés pour traiter le cancer du sein. “Cependant, les SERMS ont des effets secondaires importants comme des bouffées de chaleur, de la fatigue et des sautes d'humeur, donc, malheureusement, utiliser un SERM pour bloquer les récepteurs d'œstrogènes chez des femmes par ailleurs en bonne santé afin de réduire la consommation d'alcool n'est pas une bonne option", explique Amy Lasek.

    Reste donc à trouver des voies de signalisation spécifiques par lesquelles les récepteurs d'œstrogènes agissent dans le cerveau, entraînant une augmentation de la consommation excessive d'alcool et du sentiment de récompense chez les femmes. Cela pourrait permettre de mettre au point une méthode plus ciblée pour réduire la consommation excessive d'alcool chez elles. Et ce, sans effets secondaires, espèrent les chercheurs.

    Quelle consommation en France ?

    On parle de consommation ponctuelle immodérée d'alcool quand une personne a un taux d’alcoolémie à 0,08 g/dl ou plus, soit généralement cinq verres ou plus pour les hommes ou quatre verres ou plus pour les femmes en environ deux heures.  

    En France, les autorités sanitaires recommandent quelques jours sans alcool dans une semaine et, les jours où l’on en consomme, de ne pas dépasser les deux verres dits standards. Globalement, il est conseillé de ne pas consommer plus de 10 verres standards par semaine.

    Malgré tout, selon une enquête de Santé publique France menée en 2017, à cette époque, 9,7% des Français de 18-75 ans déclaraient avoir bu plus de dix verres d’alcool au cours des sept derniers jours. Par ailleurs, 7,9% disaient avoir en avoir consommé plus de cinq jours sur sept. “Cela représente environ 10,5 millions d'adultes qui boivent trop. Ils boivent en tout cas dans une proportion qui augmente les risques pour leur santé notamment les risques à moyen et long terme : cancers, hypertension, hémorragies cérébrales, certaines maladies cardiovasculaires…”, commentait alors Viet Nguyen-Thanh, responsable de l'unité addiction de Santé publique France à l'AFP.

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