L'interview du week-end
Julien Ménielle, youtubeur santé : “Il y a un boulot d’éducation aux médias, à l'esprit critique, à faire”
Ancien infirmier, le vidéaste Julien Ménielle a créé la chaîne YouTube "Dans Ton Corps" en avril 2016, à un moment où le sujet de la santé était peu exploité sur la plateforme vidéo.
Pourquoi docteur : Que faisiez-vous avant YouTube ?
J’ai été infirmier pendant une dizaine d'années donc j’ai longtemps baigné dans le monde de la santé. Mais vers 2007, je faisais un peu une overdose et les conditions de travail ont fini par me dégouter, donc je suis parti de l’hôpital. J’ai continué comme infirmier libéral et j'ai fais du coaching santé par téléphone, puis j’ai arrêté. À ce moment-là, je ne voulais plus entendre parler de la santé. J’ai repris des études de journalisme dans une école de reconversion professionnelle (l’EMI-CFD) et je suis devenu journaliste à 20 minutes. C’est là-bas que j’ai rencontré un certain Cyprien, vidéaste bien connu sur YouTube, et qu’on est devenus potes. Puis, je suis passé rédacteur en chef adjoint de la vidéo. Au bout d’un moment, j’ai eu envie de faire des vidéos juste pour moi, de la manière dont j’avais envie de la traiter, sans le poids d’une grosse machine derrière.
"J'ai toujours utilisé l’humour comme un vecteur pédagogique, même à l'hôpital"
Comment ce projet de chaîne YouTube, aujourd'hui l’une des plus grosses chaînes françaises de vulgarisation santé avec 715.000 abonnés, a-t-il vu le jour en 2016 ? Et pourquoi la santé finalement ?
C’était une époque où la vulgarisation scientifique commençait à bien marcher sur YouTube, et, en réalité, la santé n'était pas forcément mon premier choix. Au départ, je voulais faire de l’humour, de la fiction. Et puis je me suis vite dit qu’il y avait vraiment beaucoup de monde et que j’avais pas forcément quelque chose à apporter en plus, alors que j’avais des compétences en santé, quelque chose qui était peu traité sur la plateforme. Je me suis dit que j’avais toujours utilisé l’humour comme un vecteur pédagogique, même quand j’étais à l'hôpital. Ce que je fais sur YouTube aujourd'hui est très proche du rôle propre à l’infirmier d’information et d’éducation du patient que j’ai toujours fait. Alors, évidemment, on ne parle pas à un patient en réanimation comme on parle à des gens devant leur téléphone sur YouTube ! Mais à l'époque déjà, j'essayais toujours de faire passer les informations avec des références un peu marrantes et des blagues pour dédramatiser. Je trouvais aussi que c’était plus facile pour les patients de comprendre la situation avec des références qui leur parlent plutôt qu’avec du jargon médical. Donc si je pouvais faire marrer les gens en parlant de sujet très sérieux en salle de garde dans les hôpitaux, je me suis dis que je pouvais aussi le faire sur YouTube. J’en ai parlé à Cyprien, il m’a encouragé et m’a filé un coup de main pour me lancer. Assez rapidement, c’est devenu mon métier à plein temps.
Pourquoi est-ce important pour vous de se saisir des questions de santé sur cette plateforme ?
À l’époque, peu de personnes parlaient de santé sur les réseaux sociaux. Ce n’est plus du tout vrai en 2023. Maintenant, plein de gens en parlent, et certains peuvent dire pas mal de conneries, y compris des anciens candidats de téléréalité qui veulent te vendre des produits miracles qui tuent sois disant des “cellules cancéreuses” (Dylan Thiry, ndlr) ou des influenceurs lifestyle qui promeuvent des tendances comme le butthole sunning. Comme il y a tous ces gens qui racontent n’importe quoi, soit par idéologie, soit par intérêt financier, avec des recommandations parfois dangereuses pour la santé, c’est important que nous, les vulgarisateurs, on prenne la parole pour ne pas leur laisser le champ libre et toute la place sur les réseaux, afin d’apporter un autre son de cloche avec des informations qui sont validées scientifiquement. Le problème c’est que c’est difficile de faire la part des choses pour les viewers, devant la somme d’infos santé qu’on peut retrouver sur les réseaux sociaux. Il y a un énorme boulot d’éducation aux médias, à l’information, à l'esprit critique, à faire.
"Pour les sujets de santé un peu pointus, je fais appel à des experts"
Faites-vous appel à des professionnels de santé dans la rédaction de vos vidéos ?
Ce n’est pas systématique mais cela arrive régulièrement. J’ai notamment fait une vidéo sur l’alimentation, qui s’appelait “Comment vraiment bien manger ?” et j’ai eu quatre ou cinq chercheurs et chercheuses qui m’ont aidé à l’écrire. Pour des sujets un peu pointus et sur lesquels il n’y a pas de ressources immédiatement identifiables, je fais appel à des experts. Sur des sujets très académiques, ce n’est pas trop difficile de trouver des infos avec des études fiables et des gens à qui poser des questions. Là où c’est plus compliqué, c’est sur les sujets du quotidien, par exemples pourquoi on a les cheveux qui frisent quand il pleut, ou comment vaincre la gueule de bois, etc. Là, c’est moins facile de trouver des chercheurs puisque ce sont des phénomènes qui n’ont pas vraiment été étudiés de façon précise.
Que diriez-vous à quelqu'un qui souhaite, comme vous en 2016, démarrer un projet de chaîne YouTube sur le domaine de la santé ?
Même si je comprends que tout le monde ne partage pas forcément ce point de vue, je pars pas du principe qu’on n'est pas obligé d’avoir une formation initiale très pointue dans le domaine qu’on veut traiter et d’être à la base un professionnel de santé pour parler de santé. Si t’es quelqu’un de très intéressé par ces sujets-là, qui a une vraie méthodologie de recherche et qui donne la parole dans ses contenus à des professionnels reconnus pour leurs connaissances, pour moi, ça fonctionne. Il y a plein d'exemples aujourd'hui, comme Nota Bene qui fait de la vulgarisation d’histoire alors qu’il n’est pas historien ! Et pourtant il a une chaîne qui est unanimement reconnue, y compris par des historiens, comme étant de grande qualité, car c’est un passionné qui travaille sérieusement et qui s’entoure d’experts qui savent de quoi ils parlent. Pour moi, il y a moyen de pouvoir faire la même chose sur les sujets de santé.