Témoignage patient
Victime d’excision : “Le tabou est tellement fort que même entre sœurs on n’en parle pas”
Nous sommes en 2023 et toutes les quatre minutes dans le monde, une petite fille subit une excision. Halimata Fofana est l’une de ces victimes, voici son témoignage.
Halimata Fofana est née en janvier 1982 à Longjumeau à moins de 20 km de Paris. Ses parents sénégalais sont arrivés en France dans les années 60. C’est lors de ses premières vacances en famille au Sénégal, qu’Halimata a subi une excision. Elle avait 5 ans et s’en souvient comme si c’était hier. “Elle a sorti un couteau et ce fut le début du cauchemar. La sorcière attrapa mon clitoris et le coupa plusieurs fois. Je hurlais de douleur et le sang giclait. J’essayais de me débattre mais on me tenait les jambes, les bras et la tête pour éviter que je bouge”, témoigne-t-elle dans son documentaire À nos corps excisés. C’est la tante de la petite Halimata qui l’a emmenée voir l’exciseuse du village, pretextant une visite au marché. “De retour à la maison familiale je ne pouvais pas m’asseoir.” À cet instant, la petite fille se rend compte que sa mère sait ce qu’il vient de se passer et qu’une véritable omerta règne sur ce sujet. “Ma tante dit à ma mère que ça s’est bien passé. Je comprends alors de manière implicite que je ne dois pas en parler, et après ce moment, je n’en parlerai plus”, nous confie-t-elle.
Excision : “Pour survivre, mon inconscient a détaché mon corps de ma tête”
De retour en France, aucun adulte à l’école maternelle et aucun médecin ne se préoccupe de cette petite fille qui a des difficultés à marcher. Pourtant, la loi française protège les victimes d’excision : une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison peut être prononcée à l’encontre des responsables de cette mutilation, même si l’acte a lieu en dehors du pays.
Le corps meurtri, la vie continue pour Halimata, comme si de rien n’était. “Pour survivre, mon inconscient a détaché mon corps de ma tête.” Ce n’est qu’une vingtaine d’années plus tard, lors d’un séjour au Canada et alors que tout lui réussissait dans la vie, que la jeune Francilienne sombre dans une grave dépression. “Je suis allée dans une maison de femmes où j’ai rencontré d’autres québécoises qui parlaient de leurs difficultés. J’étais loin de mes proches, loin de la France, dans un environnement où je me sentais en sécurité. Et je me sentais tellement bien que j’ai levé le doigt pour parler de ce que j’avais subi.” Pour la première fois, la petite fille, devenue femme, ose évoquer son traumatisme, cet acte barbare.
Cette première prise de parole commence à libérer Halimata. Elle publie son premier roman en 2015, Mariama, l'écorchée vive, aux éditions Khartala, un récit mi-fiction mi-autobiographique. “Mes frères n’ont su que j’avais été excisée qu’à la sortie de ce livre”, nous raconte-t-elle. “Le tabou est tellement fort que même entre sœurs on n’en parle pas !”
“Les médecins ont peur d'offenser les patientes, de ne pas avoir les bons mots”
À la fois pour lever ces non-dits et tenter de faire changer les choses, Halimata Fofana décide ensuite de tourner un documentaire. “Le sujet n’est pas tabou que chez les victimes. Il l’est aussi au niveau des médias où l’on voit le haut de l’iceberg mais pas le reste de l’environnement… Et aussi dans le corps médical ! Les médecins ont peur d'offenser les patientes, de ne pas avoir les bons mots. Et ce n’est pas étonnant car pendant des décennies, la médecine ne s’est pas penchée sur le clitoris”, remarque la réalisatrice.
Bien que punies par la loi, les mutilations sexuelles féminines sont toujours pratiquées. Un plan gouvernemental contre l’excision a été lancé par Marlène Schiappa en 2019. Si Halimata Fofana reconnaît l’effort, elle estime que ce n’est pas suffisant et remet également en question la façon de travailler des associations, jugeant qu’un autre paradigme devrait être envisagé. “Les associations qui traitent de cette question font un travail de sensibilisation sans prendre en compte le fait que les femmes concernées vivent en lieux clos et qu’elles peuvent se sentir attaquer. Je pense que pour changer les mentalités, il faut faire sortir ces femmes de chez elles, leur permettre de rencontrer d’autres femmes pour discuter de différents sujets sur l’éducation des enfants, les relations avec le mari, leur donner la possibilité de faire des activités où elles sont valorisées… C’est comme ça que le changement se fait, au fil du temps, en leur donnant les clés pour réfléchir et penser.”
“Autre élément important : il faut les amener à réfléchir sur ce qu’elles ont vécu dans leur corps, leur chair, ce qu’elles ont éprouvé lors de l’excision et sur les complications possibles. C’est comme ça qu’on peut arrêter les choses, que nos mères victimes à un moment donné, ne deviennent pas bourreaux à leur tour.”
“Des femmes meurent en couches” à cause de ces mutilations génitales féminines
“J’ai vu par exemple des femmes qui ont eu des problèmes en Afrique au moment de l’accouchement, car quand on excise de manière barbare, l'orifice est encore plus petit, et donc naturellement, il ne peut plus s’ouvrir. Quand on est à l'hôpital en Occident, les médecins ouvrent tout, mais pas là-bas, et certaines femmes meurent en couches à cause de ça ! Il faut donc expliquer à ces femmes qu’on peut faire autrement, qu’il ne faut pas être dans la fatalité.”
Dans son second roman À l'ombre de la cité Rimbaud, aux éditions du Rocher, l’écrivaine nous raconte l’histoire de Maya, une petite fille originaire du Mali qui vit dans un HLM de banlieue parisienne où la tradition patriarcale règne. “J’ai fait un mélange de tous les témoignages que j’ai reçus. C’est une sorte de melting pot de ce que ressentent toutes ces femmes pour créer quelque chose de plus fort. À travers mon personnage Maya, je montre ce qu’il peut se passer dans la tête d’une jeune fille avec des origines étrangères, comment elle se perçoit en tant que femme après avoir subi une excision, comment elle se perçoit en tant que française également, avec toutes les différences qu’elle peut observer entre ce qu’il se passe dans sa famille et à l’extérieur de leur appartement.”