Témoignage patient
« Atteinte d’anorexie depuis 25 ans, je ne pèse plus qu’entre 38 et 40 kilos »
Dévorée par l’anorexie depuis 25 ans, Aurore nous raconte le très difficile quotidien dont elle n’arrive pas à sortir malgré les soins.
L’histoire d’Aurore n’est pas celle qu’on a l’habitude de voir dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Bien loin de ces ex-anorexiques qui racontent comment ils s’en sont sortis, cette quadragénaire lutte encore et toujours contre ce trouble alimentaire qui la dévore depuis 25 ans. Tous les jours, pied à pied, dans une grande souffrance et sans arriver à y mettre un terme.
Anorexie : "Je ne mange que des légumes et des laitages"
"L’anorexie, je suis encore en plein dedans. Je ne me pèse plus par peur du résultat sur la balance, mais je dois faire entre 38 et 40 kilos pour 1m61. Et pourtant, en ce moment, je me sens tellement grosse que je ne mange que des légumes, des laitages et très rarement des céréales. Jamais de sucreries, ni de viande, ni de pain, ni de pâtes. Tout est très dissocié et très calculé. Faire les courses est un enfer, car j’ai un véritable scan dans la tête", raconte cette Rennaise de 42 ans.
"Je suis aussi obsédée par les horaires. J’essaye par exemple d’aller toujours à la selle à la même heure et je n’avale jamais rien avant 22h30", poursuit-elle. "Je ne mange que le soir parce que je suis très, très longue. Mon dîner me prend entre deux heures et deux heures et demie, parfois je m’endors même à table. Toutes mes prises alimentaires sont aussi bourrées de rituels. Je dois toujours manger à la même place, avec les mêmes assiettes et les mêmes couverts. Je dois aussi impérativement être toute seule chez moi, avec les volets clos et la porte fermée à clef pour que personne n’entre dans ma sphère", confie-t-elle.
Anorexie : "Je fais 8 heures de sport par jour pour m’autoriser à manger"
"Je fais aussi du sport à outrance pour m’autoriser à manger, entre 8 et 10 heures le week-end et en entre 3 et 5 heures la semaine", témoigne encore Aurore, qui s’épuise et s’isole un peu plus chaque jour sur son tapis de course et son vélo d’appartement.
Dans son livre "Pas comme les autres" récemment publié aux Éditions du Panthéon, elle raconte aussi son obsession pour la constipation. "J’en suis à 8 laxatifs par jour pour me purger. Par peur de ne pas aller aux toilettes comme je le souhaite, j’ai supprimé de mes menus tous les aliments qui ont tendance à constiper même s’il s’agit de choses que j’apprécie. J’achète tous les livres que je trouve ayant pour sujet les méthodes pour faciliter le transit et je passe aussi beaucoup de temps sur Internet afin de repérer les meilleurs denrées et méthodes pour aller à la selle. Dès que je découvre « une combine » pour faciliter ma digestion et ainsi ne pas passer des heures au cabinet, je ne change pas", se désole l’écrivain public, que la maladie aura aussi rendue à son grand regret infertile.
Comme pour beaucoup de maladies mentales, l’évolution de l’anorexie d’Aurore n’est pas linéaire : elle fluctue entre des phases plus ou moins aigües. "Aujourd’hui, je sais que j’ai beaucoup régressé sur certains points par rapport à d’autres périodes de ma vie", constate-t-elle avec peine et lucidité.
Anorexie : "Mon hospitalisation a été un vrai carnage"
Pourtant, Aurore a tout tenté pour sortir de l’anorexie. L’accompagnement par des psychiatres et des nutritionnistes, la prise d’antidépresseurs et de régulateurs d’humeur ou encore l’hospitalisation.
"En 2001, je me suis retrouvée dans un service d’addictologie à Nantes où le personnel hospitalier n'était pas du tout bienveillant. Je me souviens d’un infirmier qui était venu me parler dans un couloir, qui m’a fait pleurer et qui est parti en me disant « Bon, ben ça, c’est fait ! ». On me forçait à manger, on m’enfermait dans ma chambre en m’obligeant à rester face au mur pour que « je réfléchisse à ce que j’avais fait ». Je n’avais pas le droit de faire de l’activité physique, j’ai vu ça comme une prison. C’était très violent, ça a été un vrai carnage. Encore aujourd’hui, on me propose régulièrement des séjours en psychiatrie, mais pour moi, c’est rigoureusement impossible de revivre ce type d’expérience !", s’exclame-t-elle.
Anorexie : "Je cherche inconsciemment en me faisant du mal à attirer l’attention de mes parents"
Forte d’une vie sociale et professionnelle bien remplie, Aurore a appris à vivre avec sa pathologie. Mais sait-elle pourquoi il lui est si difficile de rompre ce cycle infernal ? "Les médecins disent qu’encore aujourd’hui, je cherche inconsciemment en me faisant du mal à attirer l’attention de mes parents. Car quand j’étais petite, ils étaient très pris par mon frère qui était un vrai casse-cou et se retrouvait souvent à l’hôpital", dit-elle après quelques hésitations.
Peut-être aussi parce que le traumatisme de sa première et unique relation sentimentale – qui marquera d’ailleurs le début de sa maladie – n’est pas encore résolu. Ou que l’hérédité et la génétique pèsent trop lourd dans la balance. "Mon père était anorexique quand il était jeune, mais il s’en est sorti tout seul et m’en veut beaucoup de ne pas réussir à faire pareil", me dévoile notre patiente au détour de la conversation.
Anorexie : "J’ai écrit ce livre pour que les gens comprennent mieux ma maladie"
Pourquoi a-t-elle décidé de coucher son histoire par écrit ? "J’avais besoin que le mal sorte. Il fallait que je crache ce que j’avais besoin de cracher, parce qu’il y a beaucoup de choses que je mets dans mon livre que je n’avais jamais dit à personne, même pas à ma psy. C’est par exemple le cas quand je raconte la période où je passais tous mes samedis après-midi à chercher des pâtisseries pour les manger le soir à la suite d'une semaine entière de privations. J’ai tellement honte d’avoir pu faire ça. Mais c’était addictif, j’en avais besoin", explique Aurore.
"J’ai aussi écrit ce livre pour que les gens comprennent mieux ma maladie, mon fonctionnement et mes réactions, comme lorsque je rentre par exemple dans des colères monstres. Cela me permet aussi d’éviter de répondre aux nombreuses questions qui reviennent sans cesse sur mon état. Maintenant, je peux renvoyer les gens à mon livre en leur disant : « Voilà mon mode d’emploi »", continue-t-elle.
Son livre, elle le dédit à ses parents et à son frère, avec qui les relations sont compliquées et lui déclenchent des sanglots. "Je voudrais m’excuser auprès de mes parents et de mon frère pour tout le chagrin et la peine que je leur fais depuis tant d’années. Maman, papa, pardonnez-moi d’être telle que je suis ou ne suis pas", écrit-elle à la fin de son ouvrage.
Encore une preuve, s’il en fallait une, que la grande majorité des personnes atteintes de troubles psychiatriques culpabilisent toujours beaucoup sur leur pathologie. Pourtant, et au même titre que les maladies physiques, il est parfois extrêmement difficile, voire impossible, de les contrôler.