Interview du week-end

Santé mentale :" L'idée de rétablissement peut s'appliquer à beaucoup de situations de soin"

La Fédération Santé Mentale France, soutenue part la Fondation Sisley-d'Ornano, promeut la notion de rétablissement en santé mentale, dans l'objectif de "changer les regards et mieux vivre avec la maladie". Les explications du délégué général, Jean-Philippe Cavroy.

  • Par Thierry Borsa
  • iStock/Halfpoint
  • 18 Jun 2023
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    - Pourquoi Docteur : Votre fédération se mobilise pour une meilleure prise en compte de la notion de rétablissement en santé mentale. Pourquoi ce terme qui semble écarter celui de guérison ?

    Jean-Philippe Cavroy : L’idée du rétablissement repose sur une démarche personnelle du patient intégrée dans sa prise en charge. On sait que les troubles psychiques, en dehors des troubles légers qui peuvent disparaître, sont des maladies dont on ne guérit pas forcément. Mais l’important est que le patient puisse se dire « je ne vais peut-être pas guérir mais en revanche il est possible de se rétablir ».

    - Comment définir ce rétablissement ?

    C’est retrouver une vie la plus épanouissante possible tout en parvenant à mieux gérer ses troubles.

    - C’est une approche nouvelle en matière de santé mentale ?

    C’est à la fois nouveau et en même temps pas si nouveau que cela. Cela existe depuis plusieurs années dans les pays anglo-saxons et même en France beaucoup essaient de mettre ces pratiques en place. Mais si on insiste sur cette notion, pourquoi elle est si importante, c’est parce qu’avec elle on touche une certaine philosophie, celle qui consiste à dire que l’on ne se réduit pas à des symptômes ou à une maladie, que l’on est bien plus que cela. C’est à mettre en regard avec les enjeux qui sont aujourd’hui ceux de la santé mentale : le rétablissement, c’est réellement une des solutions efficaces, disponibles pour les résoudre.

    - Effectivement, la prise en charge de la santé mentale semble manquer de moyens aujourd’hui en France …

    Bien sûr il est nécessaire d’avoir plus de moyens, plus de soignants, plus de possibilités d’accompagnement, de formation. Mais si on s’occupait de toutes les dimensions de la vie des personnes dès les premiers signes de leurs troubles mentaux, dès les premières crises, sans se focaliser uniquement sur l’aspect clinique des choses, on sait que ce serait beaucoup plus efficace, qu’il y aurait moins de rechutes.

    Intégrer le patient comme partie prenante pour aller vers le soin en temps utile, on sait que cela permet de mieux anticiper et de mieux gérer les crises. Cela permet de réduire le recours aux urgences qui débouchent sur des hospitalisations sous contrainte.

    - Mais la première étape vers le rétablissement n’est-elle pas celle du rétablissement clinique qui est essentiellement du ressort des médecins ?

    Même dans le rétablissement clinique, il y a une manière de faire en associant davantage le patient dans les soins, dans certaines décisions, en tenant compte de ce qu’il peut ressentir comme effets secondaires, en accordant davantage d’intérêt à l’observance des traitements au moins autant qu’aux traitements eux-mêmes

    - Concrètement, comment s’organise ce parcours vers le rétablissement ?

    Il y a plusieurs acteurs qui peuvent entrer en jeu. D’abord le patient, plus il est conscient et demandeur, mieux les choses fonctionnent. Puis il y a les soignants, et également ceux qui s’occupent de la réhabilitation psycho-sociale, les acteurs de l’insertion, les proches aussi, évidemment.

    Je vais vous donner un exemple que j’ai vécu lorsque je m’occupais d’une association qui s’appelle Club House France. Ce sont des lieux non médicalisés qui aident les personnes dans leur réinsertion sociale et professionnelle où tout est fait pour aider la personne à retrouver confiance en elle. Ce sont des lieux où l’on est comme dans la vie quotidienne où la personne est face à des responsabilités toutes bêtes comme préparer un repas

    Je me souviens d’une personne qui avait vraiment l’objectif de reprendre une activité professionnelle et en prenant part aux différentes tâches au sein du Club House, elle s’est aperçue qu’elle avait beaucoup de difficultés de mémoire et de concentration. Elle est retournée voir son psychiatre qui l’a orientée vers un centre de réhabilitation psycho-sociale qui a établi pour elle un programme sur-mesure pour traiter ses problèmes de concentration.

    - C’est comme vous le dites du sur-mesure ! Est-ce compatible avec les difficultés que soulignent beaucoup d’acteurs de la santé mentale, au point que l’on parle d’une « crise » de la psychiatrie en France?

    Oui, c’est compatible. Ce n’est pas encore partout facilement disponible parce que l’on ne s’en empare pas assez et il faut pouvoir donner accès à ces outils partout en France ce qui est un grand enjeu. C’est une question d’équilibre budgétaire. Parfois des ré-allocations d’argent peuvent apporter des solutions. Au Club House, l’accompagnement par an et par membre coûtait 3600 euros. C’est-à-dire que pour le coût de trois nuits d’hospitalisation on payait une année d’accompagnement dans ce type de structure. Donc on pourrait faire ce travail en essayant de revoir les choses de façon un peu plus globale.

    - Cette notion de rétablissement, repose-t-elle sur des critères objectifs ?

    Il existe des outils, des échelles qui permettent d’évaluer le rétablissement. Il y a par exemple une grille d’évaluation qui a été définie, testée et qui est scientifiquement reconnue. C’est un outil qui intègre une évaluation par un professionnel mais aussi une auto-évaluation du patient.

    - Mais celui-ci est-il toujours suffisamment lucide sur son état de santé mentale ?

    C’est sûr que dans ces pathologies il y aura toujours cette forme de déni, notamment chez les personnes bipolaires. Mais si les professionnels travaillent en réseau, que les patients sont accompagnés par des gens qui les connaissent, on évite des incohérences dans les choix thérapeutiques et le croisement des regards empêche une mauvaise interprétation des auto-évaluations des patients : elle serait vite repérée par ses interlocuteurs. On voit très bien les signes d’une éventuelle rechute, les signaux d’alerte.

    Je me souviens d’une personne qui, lorsque cela n’allait pas, avait un volume de voix qui augmentait. Lorsque l’on constatait que sa voix changeait, on lui faisait remarquer. Elle a compris que lorsqu’on lui renvoyait ce signe elle devait consulter son médecin.

    - Beaucoup de patients atteints de troubles de santé mentale parlent de l’importance de rencontrer LA personne qui les comprend, qui leur redonne confiance. Est-ce un élément important du parcours vers le rétablissement ?

    Oui, tout à fait, c’est très important. Souvent il y a une perte totale de confiance en soi, on se dit que l’on ne peut plus rien faire, que l’on est un boulet pour la société, que l’on ne sert à rien, que le combat contre la maladie est insupportable

    Les rencontres avec les personnes qui ne vous regardent pas comme des malades mais tiennent compte de qui vous êtes, qui ne vous jugent pas et ont un regard d’espoir sur vous c’est cela qui est déterminant.

    Lorsque l’on interroge les patients avec la question « qu’est-ce qui vous a le plus manqué dans votre parcours ? », beaucoup répondent : « Au moment où je n’allais pas bien le plus important aurait été que l’on me dise que tu vas aller mieux ».

    - Faut-il intégrer cet objectif de rétablissement dans les protocoles de prise en charge en santé mentale ?

    Il faut l’espérer, cela change tout ! C’est vraiment cela que l’on peut insuffler. Cela change la manière de regarder les personnes, de les soigner. C’est pour cela que la fédération Santé Mentale France œuvre. Notre souhait c’est de partir de tout ce que les personnes font aujourd’hui avec leur savoir et leur expertise et de leur dire d’intégrer cette dimension. Cela peut changer le sens du travail des professionnels.

    Cette idée de rétablissement en santé mentale en fait, elle peut s’appliquer à beaucoup de situations d’accompagnement et de soins.

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