Rapport de l'ANSM
Essai de Rennes : les cinq points critiques relevés par les experts
Les experts nommés par l'ANSM soulèvent de nombreuses interrogations, notamment sur les doses testées et le but précis de l'essai meurtrier.
Après le décès d'un volontaire et l'hospitalisation de cinq autres, inclus dans un essai clinique de phase 1 mené par la société Biotrial pour le compte du laboratoire portugais Bial, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a nommé un comité d'experts (CSST). Le rapport complet de leur première réunion a été rendu public ce lundi.
Les scientifiques émettent des hypothèses sur ce qui aurait pu conduite à l'issue fatale de cet essai, mais surtout ils mettent en lumière différents points problématiques, sur lequel le laboratoire Bial devra se justifier d'ici à la prochaine réunion du CSST, prévue le 24 mars prochain.
Un recrutement discutable
Le protocole réalisé par Biotrial correspondait bien selon les experts, aux normes actuelles en vigueur pour un essai de phase 1, et ne comportait pas d’élément pouvant justifier de retarder son autorisation. Le CSST juge cependant « regrettable » que la sélection des volontaires n’ait pas prévu une évaluation neuropsychologique puisque la molécule testée ciblait le système nerveux central. On apprend ainsi que l’un de sujets hospitalisés en janvier dernier présentait des antécédents de traumatisme crânien.
Deux autres sujets présentaient des facteurs de risques cardiovasculaires : une hypertension artérielle pour l’un et une petite anomalie de rythme cardiaque, pour le second. Les experts notent également un manque d’homogénéité parmi les âges des 90 volontaires recrutés qui allaient de 18 à 55 ans. Certains sujets étaient, selon le CSST, « relativement âgés par rapport à ce que l’on observe généralement dans des études de phase 1 ». Le volontaire décédé le 17 janvier, était lui âgé de 49 ans.
Un effet "hors-cible" plausible
Suggéré par plusieurs spécialistes dès les premiers jours après le drame, l’effet hors-cible ou « off-target » semble se préciser. Une hypothèse qui demande cependant d’être documentée, soulignent les experts, avant d’être avérée. Ils n'hésitent cependant pas à écrire que les éléments disponibles « suggèrent fortement un effet hors-cible pour expliquer l’accident survenu à Rennes ».
Le BIA 10-2474 ne serait pas assez spécifique. La molécule est bel et bien un inhibiteur de la FAAH (une enzyme du système endocannabinoïde), mais les experts relèvent qu'elle est « bien moins spécifique que les inhibiteurs de FAAH développés précédemment ». Le BIA 10-2474 pourrait ainsi interagir avec des dizaines d'autres protéines présentes dans le cerveau, et perturber leur fonctionnement.
Des données « complexes » à analyser
Le compte-rendu apporte des nombreux détails sur les phases pré-cliniques, réalisées chez l’animal, qui avaient récemment été source de critiques. Les experts indiquent cependant en préambule que les données dont disposait le comité lors de sa première réunion se sont avérées « complexes à analyser ». Des informations complémentaires « sur plusieurs points importants » ont donc été demandées au laboratoire Bial.
Les données confirment que deux chiens ont bien été sacrifiés. Mais les altérations pulmonaires dont souffraient ces animaux apparaissent « surprenantes par leur fréquence » pour les experts. Elles auraient été clairement visibles chez plusieurs autres chiens, non-décédés. Quant à l’explication fournie par Bial pour justifier ces atteintes, elle « a paru peu plausible aux experts du CSST » !
Les chiens ne sont pas les seuls à avoir présenté des réactions au BIA 10-2474. En tout 6 primates sont morts ou ont été euthanasiés pour « raison éthiques », dont une femelle après une escalade de dose.
Les experts sont surtout étonnés que les tests pré-cliniques aient été menés chez quatre espèces différentes, dont deux rongeurs. Un choix jugé « inhabituel », sur lequel le laboratoire Bial devra s’expliquer
Un objectif flou
Les experts ne manquent pas de s’interroger sur le but réel de l’essai clinique. Ils relèvent notamment un fait surprenant dans les protocoles réalisés sur les animaux. Alors que la molécule BIA 10-2474 était censée être développée pour ses vertus analgésiques, aucun test n’a été réalisé que ce soit chez le rongeur, le primate ou le chien, pour comparer les effets du BIA 10-2474 à ceux d’un analgésique de référence. « Ceci semble trop sommaire pour justifier la poursuite d’un développement, a fortiori chez l’homme », concluent le CSST !
Une escalade de doses problématique
Dernier point et pas des moindres les experts jugent sévèrement les doses testées. Selon leurs calculs, l’inhibition de la FAAH devrait être atteinte dès 5 mg de BIA 10-2474, voire même 1,25 mg. Bien loin donc de ce qu’ont reçu les différents groupes de volontaires en une ou plusieurs prises (20 à 300 mg). Même si le but d’une phase 1 est de tester la tolérance à la molécule, y compris au-delà de la dose thérapeutique, « ceci questionne sur la nécessité de tester une escalade allant jusqu’à 20 à 80 fois la dose inhibant la FAAH », commente le CSST.
Le choix de la première dose (0,25 mg) administrée aux premiers volontaires de l'essai, en juillet dernier, est jugée prudente par les experts. C'est la progression des dosages utilisés entre les différents groupes qui posent problème. Celle-ci est trop brutale, surtout entre les derniers groupes, « alors que l'inverse aurait été attendu», peut-on lire dans le rapport. Les doses ont ainsi été multipliées par 2,5 entre le groupe 4 et celui dans lequel est survenu l'accident. Elles n'avaient été que doublées entre les groupes 3 et 4.