Entre 1966 et 1996
Essais nucléaires en Polynésie : le tortueux chemin des indemnisations
Le président de la République a promis une révision de la procédure permettant d'indemniser les victimes des essais nucléaires en Polynésie.
« Je reconnais que les essais nucléaires menés entre 1966 et 1996 en Polynésie française ont eu un impact environnemental, provoqué des conséquences sanitaires ». Ces mots, prononcés par François Hollande à l’occasion de sa visite dans l'archipel du Pacifique sud, sont lourds de sens.
Pour la première fois depuis treize ans, un président français se rend sur ces terres abîmées par trente ans d’essais nucléaires – 193 en sous-terrain et 46 aériens, menés sur les atolls de Mururoa et Fangataufa. « Sans la Polynésie, la France ne se serait pas dotée de la force nucléaire, et donc de la force de dissuasion », a souligné François Hollande.
Maigre consolation, quand on évalue le prix payé par les populations exposées aux radiations. Alors que le dossier des indemnisations piétine – sur les 1 000 demandes, seules 20 ont été validées –, le président de la République a promis une révision des procédures permettant une reconnaissance du préjudice.
« Risque négligeable »
De fait, la loi Morin, du nom de l’ancien ministre de la Défense, exclut un certain nombre de dossiers d’indemnisation. En cause : la notion de « risque négligeable ». Pour obtenir réparation, les victimes doivent montrer qu’elles sont atteintes de l’une des 21 pathologies figurant dans la liste des maladies radio-induites, et qu’elles étaient présentes sur les lieux irradiés.
« Seulement, un dossier peut être rejeté si le risque est considéré comme négligeable, explique Bruno Barrillot, ancien délégué pour le suivi des essais auprès du gouvernement polynésien. Sauf que les cas d’indemnisation et les rejets de dossiers montrent que cette règle est interprétée de manière arbitraire. Le Comité rejette les dossiers, sous prétexte qu’il manque d’information sur les dosimétries. Mais comme la plupart des dosimètres portés par les travailleurs polynésiens et les vétérans de l’époque indiquaient des valeurs égales à zéro… »
Pour pallier ce manque d’information, l’association Moruroa e tatou, qui rassemble les victimes polynésiennes, préconise le recours à une procédure fondée sur le principe de présomption – si une personne exposée à l’époque des faits est atteinte d’une maladie radio-induite, alors le lien est présumé. La preuve n’est pas nécessaire pour obtenir réparation.
Déclassifier les dossiers
C’est cette notion de « risque négligeable » que François Hollande a donc promis de réviser. Sauf que les procédures risquent de se heurter au même problème : celui de l’accès aux données chiffrées sur les niveaux d’irradiation, les lieux exposés, les populations concernées… « A l’époque, l’armée a enregistré une quantité massive d’informations, précise le physicien Roland Desbordes, président de la Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité. Le problème, c’est que les archives sont classifiées ».
Et elles le sont pour toujours. Alors que les Etats-Unis ont publié les données sur les essais du Nevada cinquante ans après les faits, la France, elle, a amendé en 2009 le code du patrimoine. La communication d’informations liées au nucléaire est désormais impossible. « L’Etat demande aux victimes de prouver un lien, alors que c’est l’armée qui détient ces preuves », déplore Roland Desbordes.
Un grief repris par les associations polynésiennes. « Parmi ces informations classifiées, on trouve entre autres des dossiers médicaux auxquels les patients ne parviennent pas à avoir accès pour constituer leur demande d’indemnisation », dénonce Bruno Barrillot.
Cancers de la thyroïde : la science avance ses pions
De leur côté, les scientifiques tentent d’établir des liens permettant d’affiner la connaissance de l’impact des irradiations sur les populations exposées. Ainsi, l’Inserm s’est penché sur les excès de cancers thyroïdiens en Polynésie. Dans une étude parue en 2010 dans le British Journal of Cancer, les auteurs concluent que 10 % des cancers seraient liés aux essais nucléaires. « Mais les résultats ont été contestés car nous manquions de données dosimétriques, explique François de Vathaire, qui a dirigé les travaux. Au final, l’étude est très édulcorée ».
Face à la pression citoyenne, l’Etat a déclassifié en 2013 une soixantaine de documents issus des archives militaires. Une mine d’informations pour la science, qui permettra de lancer de nouveaux travaux. « Nous allons doubler la taille de l’étude, qui portera sur 400 cancers », précise François de Vathaire. Les chercheurs utiliseront la biologie moléculaire pour rechercher des marqueurs spécifiques sur les tissus tumoraux des patients, conservés dans des blocs de paraffine.« Ces marqueurs, s’ils existent, constitueraient une sorte de signature de la radio-induction ». Et faciliteraient forcément la reconnaissance du préjudice.