Rhumatologie
PR et tofacitinib : le sur-risque CV et oncologique redéfinit les indications
La publication de l’étude de sécurité Oral Surveillance confirme le sur-risque cardiovasculaire et oncologique du tofacitinib, un anti-JAK 1 et 3 per os, par rapport à un anti-TNF. Cette confirmation va probablement modifier les indications.
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Des signaux en faveur d’un sur-risque de cancers et de MACE avaient été déjà relevés dans les essais cliniques pivots du tofacitinib, ce qui avait conduit à leur mention dans la notice de cet anti-JAK 1 et 3 par voie orale (maladie thromboembolique veineuse, tumeurs malignes et affections lymphoprolifératives, cancers cutanés non-mélanomateux, risques cardiovasculaires…).
La publication dans le New England Journal of Medicine des résultats définitifs de l’étude Oral Surveillance, l’étude de sécurité post-mise sur le marché du tofacitinib (Xeljanz®) demandée par la FDA, l’agence de santé américaine, confirme ce sur-risque cardiovasculaire et oncologique du tofacitinib par rapport à l’adalimumab.
Sur-risque cardiovasculaire et oncologique
L'étude de sécurité Oral (Oral Rheumatoid Arthritis Trial) Surveillance est une étude de phase 4, prospective, randomisée, en ouvert, sur 4 362 patients de 50 ans ou plus, souffrant d’une polyarthrite rhumatoïde et ayant au moins un facteur de risque cardiovasculaire associé. Elle a comparé les patients, soit sous 5 ou 10 mg/jour de tofacitinib, soit sous traitement anti-TNF (adalimumab ou étanercept).
Dans Oral Surveillance, et par rapport aux polyarthrites rhumatoïdes de plus de 50 ans sous anti-TNF, les malades qui ont reçu du tofacitinib (5 ou 10 mg/jour = analysés ensemble) ont des taux significativement plus élevés de cancers (11,3 contre 7,7 pour 1 000 personnes-années d'exposition au médicament ; HR 1,48, IC 95% 1,04-2,09). Des taux plus élevés d'événements cardiovasculaires majeurs (MACE) sont également observés avec le tofacitinib (9,8 contre 7,3 pour 1 000 personnes-années ; HR 1,33, IC 95% 0,91-1,94).
L'efficacité est similaire dans les trois groupes, avec des améliorations dès le deuxième mois qui se maintiennent jusqu'à la fin de l'essai. L'incidence des infections opportunistes (y compris le zona et la tuberculose), de tous les cas de zona (graves ou non) et des cancers cutanés non-mélanomes, est plus élevée avec le tofacitinib qu'avec l’anti-TNF.
Quelle signification ?
Les chercheurs ont estimé qu'au cours des 5 années de traitement, 113 et 55 patients devraient être traités par le tofacitinib à la dose de 5 mg deux fois par jour pour avoir un MACE et un cancer supplémentaires, par rapport à un anti-TNF, respectivement.
Dans un éditorial associé à la publication, un expert analyse et pondère ces sur-risques. Il rappelle que la polyarthrite rhumatoïde est associée à un risque accru de MACE, qui varie entre +21% et +81% selon les études. L'utilisation d’anti-TNF et d'autres traitements de fond (DMARD) traditionnels et biologiques est associée à une réduction du risque de MACE, probablement par une réduction de l'inflammation. Une partie de la différence de risque de MACE entre le tofacitinib et l’anti-TNF dans ORAL Surveillance peut donc être due à une plus grande réduction du risque cardiovasculaire sous anti-TNF que sous tofacitinib… mais aussi à une augmentation du risque sous tofacitinib. L’absence de groupe contrôle avec un DMARD conventionnel dans cet essai empêche de trancher.
La différence de risque de cancer entre le tofacitinib et l’anti-TNF dans l'étude ORAL Surveillance est plus difficile à comprendre selon l’éditorialiste. La polyarthrite rhumatoïde augmente également le risque de cancer. L'utilisation d’anti-TNF pour traiter la polyarthrite rhumatoïde peut être associée à une légère augmentation du risque de cancer cutanés non-mélanome ou de mélanome, mais n'est pas associée à une augmentation globale du risque de cancer. Cet essai indique que ce risque est plus élevé avec le tofacitinib qu'avec un anti-TNF. D’après l’expert, cette constatation fait du tofacitinib un médicament à ne pas privilégier chez les malades souffrant de polyarthrite rhumatoïde et ayant des antécédents de cancer, un cancer en cours ou chez ceux qui ont un risque de cancer.
En pratique
Ces sur-risques cardiovasculaires et oncologiques du tofacitinib figurent déjà dans les précautions d’emploi de cet anti-JAK 1 et 3, mais pas dans celle des autres inhibiteurs de JAK, ce qui est le cas aux Etats-Unis, puisque la FDA considère qu’il s’agit d’un effet de classe.
Désormais, aux USA, le tofacitinib est réservé à la 3ème ligne, non seulement en cas d’échec d’un DMARD, mais également en cas d’échec d’un anti-TNF.
L’expert rappel dans son éditorial que les résultats de l’étude ORAL Surveillance ne s'appliquent pas directement aux sous-populations de patients souffrants de polyarthrite rhumatoïde qui n’ont pas été inclus dans l’étude : ceux âgés de moins de 50 ans, ceux âgés de 50 ans ou plus mais qui n’ont aucun facteur de risque cardiovasculaire supplémentaire, et ceux qui ont eu une réponse incomplète ou des effets secondaires inacceptables sous anti-TNF.
Ainsi, jusqu’à ce qu’une modification d’AMM survienne en Europe et en France, un anti-TNF devrait être préféré au tofacitinib chez les patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde qui ont une réponse incomplète au méthotrexate et qui ont une maladie active, en particulier chez les personnes âgées de 65 ans ou plus. Si un patient préfère absolument un DMARD par voie orale et qu’il est âgé de 50 à 64 ans, une discussion sur les risques est nécessaire entre le patient et le prescripteur et une prise de décision partagée seraient nécessaire avant de choisir le tofacitinib comme option thérapeutique.