Jean-François Clervoy
Vols vers Mars : "Il faudra supporter l'impesanteur plus de 18 mois"
ENTRETIEN - L'astronaute Scott Kelly a passé 11 mois à bord de l'ISS. Une mission longue qui anticipe celles vers Mars. Le spationaute Jean-François Clervoy revient sur les adaptations qu'impose la vie dans l'espace.
Le 2 mars dernier, l’astronaute Scott Kelly est rentré d’un séjour de 340 jours à bord de la station spatiale internationale (ISS). Pour mieux anticiper de futurs voyages vers Mars, les spationautes réalisent des missions de plus en plus longues, qui mettent leur corps à rude épreuve. Jean-François Clervoy, spationaute français pour l’Agence spatiale européenne (ESA), fait le point pour Pourquoidocteur sur le suivi médical des spationautes avant, pendant et après leurs missions.
L’américain Scott Kelly vient de passer 11 mois en orbite autour de la Terre, est-ce un record ?
J-F Clervoy : Non, mais seuls 3 astronautes ont mené des missions plus longues. Un médecin russe qui a effectué deux vols de 10 mois et 14 mois, et en 1988, deux astronautes étaient restés dans l’espace 366 jours d’affilée.
Scott Kelly l’a avoué, il a trouvé le temps long. Peut-on se préparer à un éloignement si long ?
J-F Clervoy : Même pour un vol plus court, c’est très important que les membres de l’équipage se disent : « Mon nouveau chez moi, ma nouvelle maison, c’est la station ». C’est d’ailleurs ce qu’a fait Scott Kelly, à son retour sur Terre il disait : « J’ai l’impression que j’ai quitté mon chez moi, que je ne suis pas sur ma planète». Si on se dit, « Je suis en mission dans une station, et un jour je rentrerai chez moi », alors on risque de gamberger !
.@StationCDRKelly is home after a historical #YearInSpace! Hear his 1st thoughts, plus hear from @DrBiden & others: https://t.co/0pdYOjp7bq
— NASA (@NASA) 3 mars 2016
Le grand public a découvert lors du retour de l’astronaute qu’il avait un frère jumeau. En quoi cela est-il intéressant pour la recherche ?
J-F Clervoy : Scott a effectivement un frère jumeau, Mark, qui est aussi astronaute pour la NASA. Les frères Kelly sont des vrais jumeaux, et ont donc le même patrimoine génétique. Ils ont suivi tous les deux le même programme de tests médicaux avant, pendant et après la mission. Cela va permettre de faire des comparaisons très fines pour discerner plus distinctement quelles modifications biologiques sont dues à l'impesanteur, et celles qui sont simplement le fait du vieillissement et du temps qui passe.
La vie en impesanteur impose à l’organisme de s’adapter, quels sont les changements majeurs qui surviennent ?
J-F Clervoy : Presque toutes les fonctions sont touchées ! La densité osseuse diminue, comme la masse musculaire, le sang se répartit d'une nouvelle manière, ce qui crée un déconditionnement cardiovasculaire, le coeur s'atrophie et le système immunitaire est déprimé. Mais toutes ces altérations n'empêchent pas les spationautes d'être en bonne santé à bord. C'est le retour qui est plus difficile.
Justement, toutes ces modifications sont-elles réversibles ?
J-F Clervoy : Toutes les modifications sont réversibles sauf trois, pour schématiser. La densité osseuse ne revient pas à la normale, mais on sait aujourd'hui comment faire pour qu'elle ne diminue pas trop. Un autre problème sur lequel les scientifiques planchent depuis une dizaine d'années, c'est l'acuité visuelle. Environ un quart des astronautes, après une mission, devront porter des lunettes à vie, alors qu'ils n'en portaient pas avant. Cela vient d'une déformation de la géométrie du globe oculaire. Enfin, ce qui n'est pas réversible du tout, c'est le cumul des rayonnements cosmiques. Dans l'espace nous sommes plus exposés que sur la Terre. Nous portons tous des dosimètres pendant les missions pour faire le cumul des radiations auxquelles nous avons été exposés au fil des vols. C'est arrivé que l'on dise à un astronaute «Tu ne pourras plus voler parce que tu te rapproches de la limite autorisée par le droit du travail. »
Comment cela se passe-t-il si un spationaute tombe malade au cours d'une mission ?
J-F Clervoy : Il y a toujours dans l’équipe deux Crew medical officers, qui ne sont pas forcément médecins mais qui se forment avant le départ pour être capables d’effectuer des gestes de médecine d’urgence en cas de besoin. Ils sont aptes à poser des sondes, réaliser des endoscopies ou poser un plombage. Et à bord, on dispose d’une trousse médicale à faire pâlir d’envie une clinique ! On a beaucoup d’instruments et toutes sortes de médicaments. Par ailleurs, chaque spationaute a un médecin référent sur Terre, qu’il peut joindre à tout moment en cas de besoin, via une communication cryptée.
En cas d’urgence, il est possible de ramener un des membres de l’équipage sur Terre ?
J-F Clervoy : On peut traiter beaucoup de problèmes à bord mais pour certaines situation d’urgence on peut ramener un équipage au sol. On ne ramène pas que la personne malade mais tout le monde, puisqu’on ne peut pas laisser à bord des astronautes sans chaloupe de sauvetage. Ca ne s’est jamais produit depuis que l’ISS fonctionne mais depuis la station MIR il est arrivé deux fois que des équipages soient rapatriés plus tôt que prévu pour raison médicale.
Les missions vers Mars sont le nouveau Graal de la conquête spatiale. Est-ce que l’organisme humain est apte à supporter un si long voyage ?
J-F Clervoy : Sur le plan purement médical, tous les enjeux sont aujourd'hui connus. Les incertitudes qui persistent concernent les radiations. Le rayonnement cosmique de l'espace interplanétaire n'est pas encore bien caractérisé. C'est donc un sujet qui reste à étudier avant d'y exposer les équipages. Pour ce qui est de la durée des missions, les premiers vols ne se poseront pas sur Mars, ils contourneront la planète ce qui signifie que les astronautes resteront en impesanteur pendant des périodes de un an et demi à deux ans. Et ça on ne l'a pas encore testé. Il faudra donc faire des missions encore plus longues pour préparer ces vols martiens.
L'astronaute Scott Kelly a passé 11 mois à bord de l'ISS. Une mission longue qui anticipe celles vers Mars.
Posté par Pourquoi docteur sur samedi 12 mars 2016