L'interview du week-end
Jean-Luc Romero : « Mon mari est décédé du chemsex, et je ne veux pas qu’il soit mort pour rien »
Suite au décès tragique de son mari, Jean-Luc Romero, adjoint à la Mairie de Paris et président d'ELCS (Élus locaux contre le sida), milite pour plus de prévention et d’information sur le chemsex, une nouvelle tendance qui consiste à prendre des drogues de synthèse pour avoir des rapports sexuels.
- Pourquoi docteur : Votre mari est mort dans des circonstances dramatiques. Pouvez-vous nous les raconter ?
Jean-Luc Romero - Mon mari est décédé du chemsex, c’est-à-dire qu’il a mélangé du GBL et de l’alcool dans le but d’avoir des rapports sexuels, avec une personne qui l’a laissé mourir en n’appelant pas les secours. Il est tombé dans le coma et ne s’est jamais réveillé.
- Le chemsex a commencé à se développer en France dans les années 2010. Comment votre mari est-il arrivé à cette pratique ?
Je n’en ai aucune idée, il ne m’en a jamais parlé. J’ai découvert qu’il pratiquait le chemsex le jour de sa mort, ce qui a été très violent et culpabilisant. Je n’avais perçu aucun symptôme de manque ou d’épuisement les mois qui ont précédé son décès. La seule chose que j’ai remarquée, c’est qu’il s’était mis à se lever très tôt, car il avait beaucoup de travail. Mais il devait bien prendre des produits de temps en temps, puisqu’on a retrouvé des traces de drogues dans ses cheveux...
- Vous ne pratiquiez donc pas le chemsex tous les deux ?
Non, je ne consomme aucune drogue.
- Selon un nouveau rapport, le chemsex se pratique de plus en plus dans les milieux homosexuels. Environ 200 000 hommes se drogueraient régulièrement en France dans le but d’avoir des rapports sexuels avec d'autres hommes. Est-ce effectivement quelque chose que vous constatez dans votre entourage ?
Oui. Il suffit d’aller sur Grinder (l'équivalent de Tinder pour les gays, NDLR) pour le voir : de nombreux profils indiquent que la personne pratique le chemsex, et, si ce n’est pas mentionné, il suffit généralement de deux/trois échanges pour que votre interlocuteur vous demande si vous prenez des produits. C’est sidérant.
- Pourquoi une telle augmentation ?
Je trouve que cette pratique s’est énormément développée sur Paris avec la crise sanitaire et les confinements anti-covid. Comme ils ne pouvaient plus sortir, les gens ont pris l’habitude de s’enfermer du vendredi au dimanche dans des appartements pour avoir des rapports sexuels en prenant des substances.
L’augmentation et la multiplication des drogues de synthèse comme les cathinones sur notre territoire joue aussi un rôle. Dans les grandes soirées gays, de plus en plus d’hommes font la fête avec des bouteilles d’eau et non plus de l’alcool, ce qui indique qu’ils ont certainement pris un produit (les deux substances sont incompatibles, NDLR). Aujourd’hui, il est très facile de s’en procurer rapidement avec l’aide de son téléphone, et ça ne coûte pas grand-chose.
- Que recherchent les personnes qui pratiquent le chemsex ?
Cela décuple les sensations sexuelles, et cela leur procure aussi une forme d’affection, puisque les drogues de synthèse désinhibent les sentiments.
- Avez-vous vous-même été tenté ?
A force d’entendre des « chemsexeurs » ou d’anciens pratiquants me raconter leurs trips avec des étoiles dans les yeux, je me suis déjà dit que cela avait l’air tellement merveilleux qu’il fallait que j’essaye. Mais j’ai vu cette pratique détruire tellement de vies que cela me retient.
- Justement, quels sont les dangers du chemsex ?
Déjà, c’est une pratique extrêmement addictive, car elle nourrit deux dépendances : celle au sexe et celle aux drogues. Ensuite, lorsqu’elle est pratiquée dans des partouzes ou entre deux personnes qui ne se connaissent pas ou peu, les individus ne sont pas vigilants lorsqu’un homme s’endort, alors qu’il peut être en train de sombrer dans le coma. Les gens ont aussi, par peur de l’arrivée de la police, tendance à ne pas appeler les secours lorsqu’une prise de drogue se passe mal. Il y a également des individus qui se piquent directement le sexe, ce qui peut déclencher des abcès.
Et pour les personnes qui arrêtent de pratiquer le chemsex, en se rendant compte qu’elles n’arrivent plus à travailler par exemple, beaucoup ont du mal à reprendre une vie sexuelle et amoureuse normale. J’ai par exemple un ami qui n’a pas eu de rapports depuis 4 ans.
- Vous travaillez actuellement à la Marie de Paris sur une campagne de prévention et d’information pour tenter de réduire l’impact du chemsex sur la santé. La mort de votre mari a-t-elle joué dans votre engagement sur le sujet ?
Oui. Avant son décès, je connaissais bien sûr le phénomène, mais je n’avais pas réalisé son ampleur. Je voulais aussi qu’il ne soit pas mort pour rien.
- Savez-vous ce que va contenir cette nouvelle campagne ?
Pour le moment, rien n’est tranché. Nous avons déjà fait un état des lieux, et nous sommes actuellement en train de consulter les associations confrontées à la problématique du chemsex. Certaines militent pour qu’elle soit uniquement adressée aux homosexuels, et d’autres, constatant que cette pratique se répand dans de plus en plus de milieux (notamment chez les femmes), pour qu’elle soit conçue pour un public plus large.
Dans tous les cas, je pense qu’il faut exclure l’axe de la moralisation, car on sait que cela ne fonctionne pas.
- Quand pensez-vous la lancer ?
Le comité stratégique a été mis sur pied récemment. Donc si tout va bien, au mois de juin. Et le plan de prévention global s’étendra sur quatre ans.
- Pensez-vous qu’il faille mettre en place d’autres actions pour prévenir des dangers du chemsex ?
Je pense qu’il faut former les professionnels de santé à ces nouvelles addictions, et aller vers une dépénalisation de tous les produits psychoactifs. De nombreuses villes comme Lyon, Lille, New York ou Montréal sont aussi dans l’attente de voir ce que nous allons mettre en place, pour potentiellement nous emboiter le pas.
- Certaines associations évoquent un «sida numéro 2», tout comme le New York Times , qui a récemment fait le parallèle entre le chemsex et l’épidémie de VIH apparue dans les années 80. Qu’en pensez-vous ?
C’est un raccourci, mais il y a effectivement beaucoup de séropositifs qui pratiquent le chemsex. Et je ressens chez eux la même honte à dire qu’ils se droguent que celle que l’on peut encore avoir à dire aujourd’hui qu’on est séropositif, comme moi.